lundi 30 mars 2015

Fox Two ou l'histoire du AIM-9 Sidewinder

L'histoire d'un missile développé quasiment dans le secret, mais qui s'avéra si performant qu'il sera construit à plus de 110 000 exemplaires, et sera utilisé par quasiment toutes les nations de l'OTAN et de leurs alliés car il est le missile le plus efficace et le moins cher que possède l'oncle Sam : c'est l'étonnante histoire de l'"Air Interception Missile Mark 9" plus connu sous le nom d'AIM-9 "Sidewinder" !

Fox Two !


A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, la principale arme entre avions était la mitrailleuse…pourtant, avec l'arrivée des premiers jets, il devenait de plus en plus difficile voire impossible de viser et encore moins d'abattre un autre appareil de cette manière, et pour l'artillerie au sol, le problème était similaire : il fallait trouver autre chose. C'est alors que certaines recherches allemandes remontant à la Guerre vont refaire surface : développer un missile guidé suffisamment léger pour qu'un avion puisse en emporter plusieurs, et suffisamment précis pour garantir la probabilité d'un coup au but sur un appareil ennemi à courte portée. Les recherches allemandes avaient déjà exploré la piste du radar, mais cela menait à des équipements chers et peu fiables : l'US Navy se mit donc en chasse d'un missile plus fiable et plus léger que ses appareils pourraient embarquer sur porte-avions.

Un missile appelé à devenir célèbre...


L'un des établissements chargés de la mise au point de tout ce qui était roquette et missiles était l'établissement de China Lake, une base située dans le désert du Mojave à 200km au nord de Los Angeles. Pourtant, en 1948, le centre de China Lake n'avait pas réussi à mettre au point de système de guidage efficient : frustrée, l'US Navy ordonne d'arrêter les travaux sur les missiles guidés et de se concentrer sur d'autres projets plus prometteurs…

L'histoire aurait pu en rester là, mais le directeur de China Lake est conscient de l'importance de ces recherches, et il va donc ordonner de continuer les recherches en secret. Il charge le Dr William McLean de former une petite équipe d'experts et de travailler à mi-temps sur un projet de système de guidage pour missile.

Le docteur William McLean, le père du Sidewinder


McLean reprend les recherches depuis la planche à dessins. Conscient qu'il faut un système fiable, robuste et surtout miniaturisé : il écarte d'emblée tous le sytème de guidage radar ou télévision : il faut se concentrer sur le détection infrarouge, c'est-à-dire la détection de la chaleur émise par le réacteur des avions ennemis : des recherches très prometteuses sont faites sur un capteur au sulphide de plomb (PbS) qui grâce à un circuit électronique amplificateur peut guider le missile. Autre décision qui semble couler de source, mais qui à l'époque était nouvelle : ce missile serait entièrement électrique, éliminant ainsi le besoin d'un circuit hydraulique lourd et complexe. Il manque alors un générateur électrique qui puisse alimenter le missile, mais la solution va vite venir d'un des membres de l'équipe : un générateur électrique alimenté par les gaz du moteur du missile : simple et brillant ! Une liaison ombilical permet à l'avion de fournir l'énergie électrique au missile, et une fois son moteur mis à feu, celui-ci devient autonome !

La détection infrarouge est la plus prometteuse..

Les réalisations de l'équipe remontent vite aux oreilles des inspecteurs du "BuORD", le bureau des armements de l'US Navy, qui vont voir tout cela d'un très mauvais œil et vont vouloir réprimander le directeur de China Lake…mais celui-ci avait demandé à McLean d'organiser un briefing qui sera tellement convaincant qu'au lieu de réprimander l'équipe, il vont passer un contrat pour la réalisation de ce missile qui tire l'expérience de tous les échecs précédents. On voit une fois de plus qu'une petite équipe d'experts en dehors de toute hiérarchie et en partant de la feuille blanche on fait mieux que des bureaux d'études partant de projets existants !

Le projet XAAM.N7 vient de naître et le 27 novembre 1950, il est officiellement nommé "Sidewinder", nom d'un serpent à sonnette mortelle que l'on trouve dans le désert de Mojave. Le débloquement de fond pour la mise au point de ce nouveau missile va même permettre de le miniaturiser davantage que prévu ! L'équipe parvient ainsi à faire tenir son missile dans un tube de seulement 12cm de diamètre !

"Ne pas secouer ou faire tomber"...merci du conseil !


Autre défi à relever : la fusée de proximité : contrairement à ce que l'on croit souvent, les missiles ne sont pas fait pour exploser au ocntact d'un avion ennemi, mais bien exploser juste à côté pour le cribler d'éclat : cela demande une fusée de proximité, qui va détecter lorsque le missile passe à une certaine distance de l'avion cible. Il ne restait plus qu'a déterminer l'explosif à embarquer à bord du missile : après de nombreux essais, l'équipe de China Lake va déterminer qu'un pain de (seulement) 2,2kg d'explosif donnerait un rayon létal de 12m. Un moteur fusée à poudre sera monté à l'arrière, qui va donner en seulement 2,5 secondes de combustion une vitesse de Mach 2,5 au missile, le tout pour une portée de 3,2 km.

Après 3 années de développement séparés sur la tête chercheuse, le corps explosif et le moteur fusée, il était temps d'assembler les trois élements et de passer à des essais "grandeurs nature". Le premier essai aura lieu le 11 septembre 1953, lorsqu'un F-9 "Cougar" va décoller de China Lake avec deux XAAM.N7 sous ses ailes. La cible sur ce vol est un QF-80, c'est-à-dire un vénérable P-80 "Mustang" radiocommandé. Le "Cougar" va venir se placer 600 mètres en arrière de la cible avant d'activer le missile…le pilote va alors entendre le "bip" dans ses écouteurs lui indiquant que le missile à trouvé une cible. Il appuie alors sur la détente, ce qui largue le missile en mettant son moteur à feu.

Cible détruite ! ici un QF-4


Le missile va tomber pendant une fraction de seconde avant de remonter en prenant de la vitesse et il va venir frapper le QF-80…comme le missile n'est pas équipé d'une vraie tête explosive, il va juste le toucher, mais ce premier essai est capital : le missile peut se verrouiller sur une cible et se diriger vers elle ! Il s'agissait du premier tir réussi au monde d'un missile guidé passivement.

Au cours des mois qui vont suivre, les pilotes de China Lake vont tirer de nombreux missiles dans toutes les configurations possibles…dans l'ensemble tout ce passe bien, sauf la tendance du missile à tournoyer juste après le lancement, ce qui réduit sa capacité de guidage. Une fois de plus, l'équipe de McLean va trouver une solution innovante : le "rolleron". Il s'agit d'une petite hélice entrainée par le vent relatif, qui est située au sommet des dérives de contrôle du missile. Cette hélice est suffisamment grande pour entrainer un effet giroscopique qui va venir stabiliser le missile. Ce "rolleron" sera très efficace, au point qu'il sera utilisé sur d'autres missiles par la suite.

Le rolleron permet la stabilisation du missile au départ de l'avion

L'autre problème principal était la faculté du missile à perdre sa cible si on lui présentait une source de chaleur plus intéressante…comme le soleil par exemple ! On a aussi vu des missiles se diriger sur la réflexion du soleil sur un lac ou une cheminée…sans parler des performances par mauvais temps qui étaient médiocres pour ne pas dire plus…ce qui restera un problème sur toutes les premières versions du missile.

Le Sidewinder ne se composait pas seulement du missile, mais aussi du système de tir du missile, composé d'un point d'attache sous les ailes ainsi que d'un boitier de contrôle. Une fois de plus, l'équipe de China Lake va faire appel à une solution simple et fiable.

Comment est ce que ça marche ?

Le missile est actif dès le décollage de l'avion  : sa tête chercheuse est déjà en action. Elle détecte toutes les sources infrarouges dans un cône de 40° environ en avant du missile, sur une portée de plusieurs kilomètres. Lorsque le pilote active le guidage du missile, un son intermittent lui indique lorsque une cible est en cours d'acquisition…lorsque la cible est verrouillé, le son devient continu. A ce moment, dès que le pilote identifie la cible comme hstile, il appuie sur la détente située sur son manche. Cela à pour effet de démarrer le générateur de gaz du missile, qui va rendre le missile électriquement autonome, tout en fournissant la puissance pour démarrer le moteur principal.

Le missile glisse le long de son rail...


Dès le démarrage du moteur principal, la poussée fait glisser le missile le long de son rail de guidage, tout en coupant la liaison ombilical avec l'avion porteur. Le missile accélère ainsi à Mach 2,5 en moins d'une seconde. Pendant tout le vol, la tête chercheuse active donne la déviation de trajectoire du missile pour le garder vers sa cible, et l'explosion a lieu soit lorsque la fusée de proximité se déclenche, soit lorsque l'impact avec l'avion est détecté…l'explosion peut ainsi avoir lieu jusqu'à 10 mètres de la cible…ce qui est suffisant pour être fatal sur la plupart des appareils.

A la fin de 1954, l'US Navy donne un contrat à la firme Philco pour la production du missile en grande série, sous le nom de N7. C'est ainsi que le F-9 "Cougar" sera le premier appareil équipé. Au début de 1955, l'US Navy reçoit ses premiers missiles, et la mise en service va se dérouler de manière remarquable : quasiment aucun problème, les armuriers vont vite apprécier ce nouveau missile qui ne leur demande que très peu d'entretien !

L'AIM 9L, ne es versions la plus produite


La Navy est équipé d'un missile air-air compact, alors même que l'US Air Force met en service son propre missile, l'AIM-4 "Falcon", un missile bien plus gros et complexe. Dès octobre 1956, l'USAF commande également des "Sidewinder"  sous le nom de GAR-8, et abandonnera définitivement le Falcon après ses scores décevants contre les MiGs au Vietnam. En 1956, Philco avait déjà livré plusieurs milliers de missiles à la Navy, au coût "unitaire de 3600$" selon un rapport au congrès. Ce chiffre est sans doute sous-évalué, mais il montre clairement que le Sidewinder était le missile ayant le meilleur rapport-qualité-prix de toutes les forces armées US !

La demande des forces armées sera telle que d'autres compagnies vont recevoir des contrats pour produire le missile. GE reçoit ainsi un contrat de pas moins de 17 millions de dollars en 1958 pour produire le missile. Il va également recevoir une dénomination commune pour tous les utilisateurs : l'"Air Interception Missile Mark 9" ou tout simplement AIM-9, nom qu'il porte encore aujourd'hui.

La première génération d'AIM-9


En septembre 1958 va avoir lieu une grande première : le premier "kill" d'un Sidewinder : un F-86 "Sabre" de la Chine nationaliste va abattre un MiG de la Chine communiste. Cet engagement avait eu lieu par temps clair et à haute altitude, dans les bonnes conditions donc… Au cours de ce conflit entre les deux "Chine", le Sidewinder sera utilisé de manière très intensive…mais aussi très efficace : au cours d'une seule journée, pas moins de 14 MiG seront abattus au Sidewinder…un record ! L'expérience acquise au dessus de la Chine va également être mise à profit pour améliorer les capacités du "Sidewinder" : d'autres versions vont voire le jour : l'AIM-9 va progressivement être décliné en 9A et 9B. En 1960, le principal fabricant de ce missile était la société Philco, suivi de près par Raytheon  à cette date, pas moins de 81 000 missiles avait été livrés ! Le "Sidewinder" était également produit en Europe par un consortium mené par l'allemand BGT qui va produire 15 000 missiles !

Inspection du missile avant un départ en mission...

Pour la petite histoire, la CIA va découvrir que le missile russe équivalent, le AA-2 "Atoll" est en fait une copie pirate de l'AIM-9B, ce qui prouve que le design de McLean et de son équipe était sans doute un des meilleurs produit...

La première grande modification du missile va également intervenir au début des années 60, pour tacler le problème de la portée trop limitée du missile : un nouveau moteur plus puissant va faire passer la portée de 3 à 17 km, rendant le missile beaucoup plus dangereux. Pour le rendre plus manoeuvrable, on va également lui donner des ailerons plus grand et plus aérodynamiques. Ce nouveau missile sera produit en deux versions, qui se différenciaient par leur système de guidage :
L'AIM-9C, produit par Motorola, possédait un nouveau détecteur radar semi-actif…mais ce sera un échec complet : le système n'était plus robuste du tout..
L'AIM-9D, produit par Ford (qui avait racheté Philco), incorporait un guidage infrarouge, mais avec un détecteur PbS refroidi à l'azote, lui donnant un temps de réponse beaucoup plus faible : ce sera un immense succès !

Seconde génération de missiles...


A la fin des années 60, le consortium européen va développer une nouvelle tête chercheuse encore plus avancée, refroidie au CO2, et fonctionnant avec des semi-conducteurs : l'électronique faisait son apparition, et cette nouvelle tête nommée FGW MOD1 était plus performante, et une version américaine sera également mise au point : elle donnera naissance à l'AIM-9E, qui sera ensuite suivie par les versions -F , -G et -H  à quelques années d'intervalles, ce sera la deuxième génération de Sidewinder.

Mais la vraie révolution aura lieu avec la troisième génération dans les années 1970, avec un nouveau détecteur refroidi à l'argon (grâce à une bouteille pressurisée à 35 Mpa !) et fonctionnant avec des circuits intégrés : ce sera le AIM-9L, ses petites ailettes de guidage en delta sont caractéristiques, et le "Lima" est souvent reconnu comme étant le meilleur missile courte portée jamais produit…il sera donné en urgence aux forces britanniques pour la guerre des Falklands, et sera crédité de près de 25 victoires au cours du conflit ! D'un point de vue industriel cependant, on notera que le AIM-9L ne partage plus beaucoup de pièces communes avec les versions précédentes !

AIM-9J/P


En 1987, l'AIM-9R est mis en chantier, mais il sera annulé, car son nouveau détecteur n'offrait des améliorations de détecion que de jour, mais pas de nuit, ce qui posait problème. Il sera donc décidé d'abandonner cette version pour mettre au point une nouvelle version avancée : le AIM-9X, qui va incorporer les dernières technologies : un explosif surpuissant, avec un moteur plus performant et ne produisant presque plus de fumée, ce qui rend le missile difficilement détectable par sa cible, et pour la première fois, il va incorporer une poussée vectorielle, le rendant encore plus manœuvrable, mais sa grande nouveauté reste un nouveau capteur infrarouge à plan focal ou FPA "Focal Plane Aray" qui permet selon la pub de suivre une cible située à 90° du plan du missile !   Le premier prototype du AIM-9X sera tiré d'un F/A-18 Hornet en 1999, et il entrera en service en 2003. Un "Block II" sera encore mis au point en 2008 pour lui permettre d'aquérir sa cible après le lancement, ce qui le rend compatible avec l'emport en soute interne comme sur le F-22 ou le F-35.

Fleuron technologique de l'USAF, le F-22 emportera encore le Sidewinder pendant longtemps !

En 2010, Boeing a même remporté un contrat pour assurer le suivi industriel du missile jusqu'en 2055 ! Et il est même probable que le Sidewinder reste en service plus longtemps que cela…je ne serai donc pas surpris de voir le Sidewinder dépasser le siècle d'utilisation opérationnelle ! Pas mal pour un missile conçu dans le secret sans aucun financement officiel !