lundi 16 février 2015

Les 796 de juin 1940

Le 10 mai 1940, la redoutable machine de guerre allemande se met en marche vers l'ouest. Belgique et France sont grandement menacés, et l'armée française va se retrouver prise dans un combat bref et brutal, mais si cette courte guerre a été couverte d'un point de vue terrestre, que faisait la toute jeune armée de l'air ? Est-ce que le ciel était vide, laissant le champ libre à la Luftwaffe ? C'est l'impression que l'on avait au moment de l'armistice. Pourtant après la Guerre, on parlera volontiers des "1000 victoires" de l'armée de l'air sur la Luftwaffe, alors qu'en penser ?

L'Armée de l'Air pendant la drôle de guerre...


Comme souvent, nous verrons que la réalité se situe entre les deux : le chiffre de 1000 victoire est grandement exagéré, mais l'armée de l'air va se battre férocement tout au long de la campagne de France.

En ce 10 mai 1940, contrairement à ce qui a beaucoup été dit, l'armée de l'air aligne une force moderne et nombreuses : 28 groupes de chasse au total, dont 15 sur Morane Saulnier MS.406, 8 sur Bloch MB.151/152, 4 sur Curtiss H-75, et le groupe 1/3 sur Dewoitine D.520, sans compter plusieurs escadrilles qui volent sur Potez 631. Au total, cela fait pas moins de 637 appareils, dont près de 610 sont de conception récente ! Il est vrai que l'approvisionnement et le convoyage de ces appareils depuis leurs usines de fabrication pose problème : ce sont souvent les pilotes eux-mêmes qui doivent aller les chercher. Il y avait au moment du déclenchement des hostilités une centaine d'appareils qui attendaient des hélices à Chateaudun par exemple !

Une paire de Hawk 75A patrouille avec des MS406. Il était en effet courant de mixer les appareils restants...


Un immense effort de modernisation avait été entrepris entre septembre 1939 et juin 1940 pour mpermettre à l'armée de l'air d'affronter la Luftwaffe dans de meilleures conditions. Certains de ces appareils comme le MS.406 ou le MB.152 sont largement surclassés par les Messerschmitt Bf 109E, mais les Curtiss H-75 et surtout le Dewoitine D.520 ont des performances bien supérieures, proche des appareils de la Luftwaffe.

L'armée de l'air pouvait également compter sur la motivation et la compétences de ses 796 pilotes de chasse. Tout au long de la drôle de guerre, ils avaient accumulés pas moins de 80 victoires, pour une perte de 63 appareils. Ce sont eux qui allaient subir l'assaut initial allemand, qui commença comme en Pologne et en Norvège par des attaques aériennes en masse sur les aérodromes belges, français et néerlandais : or grâce à la préparation de l'armée de l'air, la plupart des appareils ont été abrités ou ont pris l'air : la Luftwaffe ne parviendra à détruire qu'une quarantaine d'appareils français au sol, et beaucoup de pistes demeurèrent intactes, ce qui va permettre aux appareils de l'armée de l'air de continuer à opérer.

Briefing d'escadrille par un commandant entouré des lieutenants chefs de patrouille...


Les journées suivantes vont se dérouler dans une mêlée confuse au cours de laquelle l'héroïsme des pilotes français sera remarqué par les chefs d'escadrilles et l'état-major de l'armée de l'air. C'est par exemple le cas du groupe de chasse I/1 volant sur MB.152. Placé sous le commandement du groupe de chasse 23, chargé d'appuyer les opérations terrestres depuis l'aérodrome de Couvron, il allait se retrouver confronté aux forces allemandes en plein cœur du centre de la bataille de mai 1940 : face à la ruée des panzers contre Namur et Tirlemeont dans les Ardennes. Ils affrontent pour la première fois en masse les chasseurs allemands dans la région de Dinant, qui était encerclée par les panzer allemands. Au cours de combat aériens tournoyant, les pilotes français firent preuve d'habileté hors pair. A la fin de la journée, le I/1 pouvait revendiquer 7 victoires dont deux probables !



Le même jour, le II/5 affronte également l'ennemi. L'escadrille est dotée de Curtiss H-75 basé à Toul-Croix de Metz. La journée commence mal pour les aviateurs : une patrouille se perd et rentre presque à court de carburant. Le sergent Hémé doit même se poser en panne sèche dans un champ : son Curtiss va dévaler une pente, traverser une route, passe sous des fils téléphoniques avant que son aile ne coupe un poteau…son appareil s'arrête enfin, totalement détruit…heureusmeent le jeune sergent n'a rien…mais malheureusement cela fait déjà un bon avion de moins. La chance tourne cependant l'après-midi : une triple patrouille tombe sur une formation de 9 bombardiers escortés par 17 Bf-109 et 110. Le capitaine Destaillac se distingue en envoyant un Bf-109 au tapis dès les premières minutes du combat. Au  terme d'un combat féroce de 45 minutes, 4 appareils allemands sont envoyés au tapis, et deux appareils français ont été descendus, mais leurs deux pilotes ont pu sauter en parachute.

Le MS406, principal intercepteur français...


Le groupe II/5 n'en est pas à son dernier fait d'armes : le 3 juin 1940 aura lieu l'un des plus fort combat de cette courte guerre : 27 bombardiers Do-215 escortés par une trentaine de Bf-109 et 110 sont interceptés par deux patrouilles françaises au dessus de la Champagne. Les pilotes de l'armée de l'air attaquent par derrière en faisant un straffing sur les bombardiers, en endommageant un d'entre eux…mais les Bf-109 contre-attaquent immédiatement, attaquant les Curtiss français…pendant la demi-heure qui va suivre, c'est une mêlée tournoyante et confuse, près d'une demi-douzaine d'appareils allemands sont abattus.

Malgré la faiblesse des appareils français, les pilotes bien entrainés et très motivés font des miracles : pas moins de 35 victoires sont revendiqués pour la seule journée du 12 mai !



Le 16 mai à midi, le II/6 est attaqué sur son terrain de Maubeuge-Elesmes par une formation de Do-17…en 20 minutes, 4 des appareils ont été totalement détruits, 10 sont endommagés, de même que la piste. Il faut en urgence incendier les appareils qui ne peuvent prendre l'air, et l'ensemble de la base est évacuée par la route vers Chateauroux, où les pilotes seront reformés sur Bloch MB.152…il n'y a plus de Curtiss disponible en remplacement. Le II/6 est de nouveau attaqué le 5 juin par des Heinkel 111. Alerté, le groupe prend l'air, et revendiquera trois victoires.

Pendant ce temps là, le groupe de combat II/7, stationné à Luxeuil, va être équipé de l'appareil le plus moderne de l'armée de l'air : le Dewoitine D.520. L'un de ses pilotes, le sous-lieutenant Pomier-Layrargues va se distinguer le 5 juin : en patrouille dans le secteur de Compiègne et Estrées Saint-Denis, il se retrouve ainsi que son groupe face à des dizaines de Bf-109 : l'une des patrouille française est très rapidement anéanti. Une seconde patrouille, commandée par le capitaine Hugo, s'interpose, et Pomier-Layrargues cabre son D-520 en montant vers la patrouille de Bf-109, tirant une longue rafale qui met en feu le moteur du Bf-109 de tête. Il vient de descende le Hauptman Mölders, un as allemand au 34 victoires, qui allait être fait prisonnier par les forces françaises. Hélas, Pomier-Layrargues ne saura jamais qui il a abattu : pourchassé par 5 Bf-109 qui ne lui feront aucun cadeau, son appareil s'écrase en flamme au sol quelques minutes plus tard.

Chargement de bombes de 10kg à bord d'un Amiot 143...


On le voit à travers ces récits, les pilotes français ne restèrent pas à se tourner les pouces pendant cette courte campagne de France : pilotant des appareils souvent inférieurs à leurs adversaires, avec une infériorité numérique manifeste, ils se battirent comme des lions face à l'envahisseur. Du 10 mai au 25 juin 1940, c'est pas moins de 733 avions ennemis qui furent abattus, plus une centaine par la DCA, la Luftwaffe accusant la perte de près de 853 appareils au total . La plupart des victoires furent obtenus sur la période du 1er mai au 10 juin 1940, l'armée de l'air devant évacuer ses bases par la suite de l'avance terrestre allemande.

L'armée de l'air aura perdu au cours de cette campagne près de 850 appareils, dont la moitié en combat aérien. Mais les conséquences furent encore plus lourde pour la Luftwaffe qui se retrouva privée d'une force précieuse au moment de la bataille d'Angleterre. Le Feldmarshall Kesselring lui-même reconnu que l'engagement ininterrompu de la Luftwaffe lors de la campagne de France avait mis à genoux personnel et équipements, certaines unités tombant à 50% de leurs effectifs théoriques trois semaines après le début du conflit.

L'aviation de bombardement ne sera pas en reste...


La grande question qui se pose est combien d'appareils allemands ont été abattus par l'armée de l'air ? Durant la Guerre et jusqu'au milieu des années 70, on parlera volontiers des "mille victoires" de l'armée de l'air. Il semble cependant que ce chiffre soit une exagération de Vichy pour redorer le blason des aviateurs mis à mal par la défaite. Ce n'est qu'à partir de début des années 80 que des estimations plus réalistes ont commencé à émerger. Saluons au passage le travail d'Arnaud Gillet, le grand spécialiste de cette période qui au terme d'un travail d'enquête très minutieux est arrivé au chiffre de 355 avions abattus par la chasse française (et uniquement la chasse, pas la DCA)

Bien que l'on soit loin des "1000 victoires" revendiquées, l'Armée de l'Air se batit avec force et courage, et on peut constater que le sacrifice des pilotes de chasse français n'avait pas été vain : ils ont tout de même réussi à abattre en moyenne 9 appareils par jour…même si on constate que les pertes ont été plus lourdes que les victoires. Rendons hommage à ces fidèles aviateurs qui se donnèrent sans compter, et furent pour beaucoup oubliés une fois la victoire passée.

La fin... beaucoup d'appareils français seront utilisés par les allemands pour faire diversion et créer de faux aérodromes pour leurrer les alliés..


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