lundi 8 décembre 2014

Constellation : le mythe

Le plus gros, le plus puissant, le plus cher…beaucoup d'avions ont pu gagner l'un ou l'autre de ces titres au fil des années, peu ont pu gagner les trois d'un coup, auquel s'ajoute un quatrième avec le recul : le plus mythique…Cet avion mythique est bien connu sous le nom de "Constellation" ou simplement "Connie". Il fut l'un des appareils les plus réussi de son temps, capable de franchir de grandes distances à haute altitude, apportant alors un confort encore jamais égalé aux passagers chanceux (et fortunés) volant à son bord.

Vu au Bourget, le son d'une époque révolue..


Pour connaitre la genèse de cet appareil, il faut remonter au 23 juin 1938 : c'est ce jour là qu'est voté la loi McCarran de réorganisation de l'aéronautique civile américaine. Pour les constructeurs américains, il s'agissait de gagner un maximum de part de marché vis-à-vis des compagnies civiles. Boeing possédait le 307 "Stratoliner" et Douglas le DC-4…et Lockheed empêtré dans ses programmes militaire comme le P-38 n'avait rien…si ce n'est un projet d'avion de transport nommé "Excalibur" qui ne sera jamais construit. Lockheed possédait en outre de l'expérience en matière de cabine pressurisée avec le XC-35, et décide donc de combiner les deux pour lancer un projet encore plus ambitieux.

La saga du "Connie" est liée à celle de la TWA


Le projet avance doucement jusqu'au 9 juin 1939, et la visite d'un PDG de compagnie aérienne. Il ne s'agit pas de n'importe qui : la compagnie s'appelle la TWA, et son PDG n'est autre que Howard Hughes en personne, qui vient de racheter la majorité des parts de la compagnie. La TWA est en difficulté, et peine à se démarquer des autres compagnies. Hughes est persuadé qu'avec un avion à long rayon d'action pressurisé, il peut offrir un confort encore jamais vu, permettant même d'offrir la traversée d'est en ouest des États-Unis sans aucune escale !

La naissance d'une silhouette peu ordinaire...


C'est très ambitieux : un avion de 24 tonnes à vide, qui doit être propulsé par quatre moteurs de 2200cv, assurant une traversée à une vitesse moyenne de 485 km/h…tous les constructeurs refusent de s'engager sur un projet aussi ambitieux, sauf Lockheed, qui va charger deux de ses meilleurs ingénieurs de relever le défi : Hall Hibbard et Kelly Johnson. Ils firent plusieurs proposition, annonçant à Howard Hughes que l'opération allait lui coûter 425 000 dollars…Le milliardaire, conscient des difficultés de la TWA va alors prendre une décision historique : il sait que la compagnie n'est pas en bonne santé financière, et qu'elle ne pourra jamais financer une telle opération. Hughes va donc répondre cette phrase devenue célèbre "La TWA n'a pas les moyens, ce n'est pas grave, je vous en commande 40, et je les paierai de ma poche"

La plus grosse commande d'avions civils de l'époque...


C'est une des plus grosse commande d'avion civil de l'époque…et la plus grande commande de tous les temps pour un particulier ! Mais Lockeed peut ainsi lancer le programme en toute sérénité. Pour la petite histoire, le comptable d'Howard Hughes failli en tomber de sa chaise lorsqu'il reçu la facture de Lockheed…le milliardaire n'avait pas pris la peine de le prévenir…

La cabine a été pensée pour des passagers, mais peu aussi transporter du fret...


Nous sommes en pleine guerre, et le programme n'est pas prioritaire par rapport aux programmes de l'US Army. Malgré tout, Lockheed parvient à s'attacher les services du pilote d'essai Eddie Allen, qui va faire décoller le prototype de l'appareil Lockheed 49 le 9 janvier 1943…mais cet appareil, le NX67900 et les suivants ne porteront jamais les couleurs de la TWA : ils seront tous livrés à l'US Army Air Force, sous la désignation de C-69. L'USAAF recevra ainsi 22 Constellation pendant la Guerre, les 9 premiers étant "réquisitionnés" sur la commande d'Howard Hughes, les 13 autres venant d'une grands commande de 180 appareils achetés par l'USAAF en 1942…L'USAAF annula d'ailleurs sa commande le lendemain de la fin de la Guerre, mettant l'usine Lockheed de Burbank en presque faillite.

Les premiers constellation seront donc militaires.

Il faut savoir que Burbank était une usine appartenant à l'armée : tous les outillages et les cellules en cours d'achèvement était la propriété du gouvernement. Lockheed, sentant venir le vent du boulet, rachète à très bon prix les outillages ainsi que toutes les cellules en cours d'achèvement au gouvernement qui veut de toute façon s'en débarrasser. Ainsi naquit le Lockheed L-049 "Constellation", version civile du C-69 en version de série. En à peine neuf jours, ce n'est pas moins de 75,5 millions de dollars de commandes portant sur 103 "Constellation" de la part des huit plus grandes compagnies aériennes du pays que va recevoir Lockheed.

La TWA prend enfin livraison de ses appareils.


La TWA peut enfin prendre livraison de ses appareils en décembre 1945. Le certificat de navigabilité de l'avion étant signé le 11 décembre, son exploitation commerciale commence  début février 1946. Lockheed venait ainsi de placer sur le marché civil un avion ultra moderne, presque dix mois avec les célèbres DC-6 ou Boeing "Stratocruiser". L'arrivée sur le marché de C-69 déclassés par l'armée permettra à Lockheed d'honorer ses contrats encore plus rapidement, sa décision de racheter outillage et cellules de Burbank s'avérant une excellente affaire.

Aménagement commerciaux de la TWA, avec des rangées de 5 de front


Rapidement, une nouvelle version va voir le jour : le L-1049 "Super-Constellation", qui fait son premier vol le 13 octobre 1950, avec un fuselage rallongé de presque 6 mètres, et avec des hublots carrés. La version passager sera le L-1049C, qui va enfin permettre à la TWA de desservir New-York - Los Angeles sans escale ! La puissance accrue fournie par les moteurs Wright turbo compound rendant l'appareil plus rapide et moins gourmand. Cette version sera également vendue aux militaires en tant que C-121C à l'USAF et R7V1 pour l'US Navy, pour un total de 90 exemplaires.

Version transport de troupe pour l'USAF

Lockheed fournira encore une nouvelle version, dite "Super G" ou "Starliner", encore une fois sur demande de la TWA. L'idée était de rallonger encore un peu l'autonomie du L-1049 pour lui permettre de rester dans la compétition avec un nouveau conccurent qui s'annonçait comme dangereux : le DC-7 de Douglas. Cette fois changer les moteurs ne suffisait pas : le fait de monter des "Turbo-Compound" ayant deux fois la puissance des Wright d'origine se traduisait par des vibrations très élevées et un niveau de bruit assez insupportable. Lockheed va donc devoir mettre au point une nouvelle voilure, plus grande et qui pouvait du même coup accueillir des réservoirs de carburant supplémentaires. Ce nouveau modèle, le L-1649A sera mis en service sur les lignes atlantique nord de la TWA le 1er juin 1957. Il eut une vie plutôt courte : l'arrivée des premiers quadriréacteurs long courrier allait mettre un terme aux avions à moteurs à pistons. Les 707, DC-8 et autres allaient dorénavant régner en maître sur le marché.

Un des clients du "Starliner" sera la "Trans Canada Airline", futur Air Canada !


Lockheed avait investi 60 millions de dollars pour réaliser ce "Starliner", et ne les rentabilisa jamais, malgré la vente de 10 avions à Air France. Au total seulement 44 "Super G" furent produits. La production cessa peu de temps après, Lockheed ayant tout de même produit près de 856 appareils, dont 578 "Super Constellation". Certaines compagnies comme Ibéria exploitèrent leurs "Connies" un peu plus longtemps, mais ils disparurent très rapidement du paysage.

Mais le "Connie" n'était pas encore mort : il allait rester en ligne encore de nombreuses années au sein de l'US Navy et de l'US Air Force dans plusieurs versions différentes, dont plusieurs versions de guerre électronique.


Coupe du EC-121D, radar aéroporté monté sur Constellation, aussi surnommé "Willie Feud"
Si les forces aériennes US utilisaient le Constellation sous le nom de C-69 depuis 1943, ce n'est que en 1949 que l'US Navy commence à s'intéresser au fait de placer un radar de grande dimension sur un appareil. C'est le 9 juin 1949 que le premier L-749 modifié prend l'air, équipé de deux radômes volumineux situés au dessus et en dessous du fuselage. Désigné PO-1W, l'appareil va rapidement être mis en service, avant d'être désigné WV-1. Rapidement, une deuxième version est commandée, le WV-2, qui se base sur le L-1049 "Super Constellation" plus volumineux, et pouvant embarquer un radar plus important. Le WV-2 sera également commandé par l'USAF pour la détection aéroportée lointaine sous le nom d'EC-121D.

L'USAF sera l'autre grand client du "Connie"


L'EC-121D se compose d'un radar 2D AN/APS-45 sous son radôme supérieur, ainsi qu'un radar de veille aérienne AN/APS-20 sous son radôme ventral. Avec un équipage de 18 hommes, dont 6 opérateurs radar, l'appareil devient ainsi une véritable station radar volante, qui offre les mêmes capacités qu'une station terrestre, voire même mieux, car l'altitude permet au radar de voir et donc de détecter des cibles à une distance beaucoup plus importante qu'un radar terrestre qui est limité par l'horizon visible; à cause de la rotondité de la Terre, les cibles à basse altitude ne peuvent être détectées que à courte distance…l'EC-121D permet de s'affranchir de cette contrainte.

La silhouette particulière de l'EC-121D


142 WV-2/EC121D seront commandés, avec la livraison des premiers appareils intervenant en 1953. le WV2 sera communément appelé "Willy Victor" par ses équipages. Les Willy Victor seront utilisés de 1956 à 1965 comme "piquet radar" par la Navy, patrouillant à plusieurs sur des altitudes différentes aussi bien sur les côtes est et ouest des Etats-Unis, de manière à étendre la couverture des radars terrestres d'alerte avancée (la fameuse "DEW line". Les appareils volaient sur des missions durant entre 6 et 12 heures, volant parfois jusqu'en Islande pour étendre encore davantage la couverture radar disponible pour l'US Navy. En 1962, avec la standardisation des désignations des aéronefs, ils deviendront des EC-121K. 13 de ces appareils deviendront des appareils de guerre electronique ou EC-121M, caractérisé par l'ajout de grandes antennes le long du fuselage. Avec l'arrivée des premiers AWACS de nouvelle génération et de radars plus modernes, les vols de piquet radar cessent en 1965.

Une scène classique : 2 F-104 escortant un EC-121D...


L'USAF de son côté va employer les EC-121 d'abord dans un rôle similaire aux piquets radar de l'US Navy, puis progressivement, les appareils seront employés au Vietnam, au sein du 553rd Reconnaissance Wing. Basés en Thaïlande, les EC-121 vont effectuer des missions "Bat Cat" de 1967 à 1970.Le principe de ces missions était de patrouiller au dessus de la fameuse piste Ho-Chi-Minh en surveillant toutes les émissions électromagnétiques le long du chemin, pour détecter les activités ennemies. Pas moins de 30 ex-Connie de l'USN seront rachetés et modifiés pour ce rôle, qui n'était pas sans danger pour les équipages : lourd, peu manœuvrant, et visible de loin, les EC-121 étaient des cibles faciles pour la chasse nord-vietnamienne. Les EC-121 seront remplacés à partir de 1970 par un drône, le QU-22 Pave Eagle.

Opérateurs au travail à bord d'un EC-121D...


Pourtant, la contribution de l'EC-121 à la campagne du sud-est asiatique ne s'arrête pas là : ils seront également utilisés comme AWACS tout au long du conflit, patrouillant pendant de longues heures au dessus du golfe du Tonkin et plus tard au dessus du Laos, ils seront utilisés pour guider les vagues de bombardiers et dans une moindre mesure les chasseurs vers les MiG. Un mot sur ces missions AWACS : le radar du Connie était très mal adapté pour voir vers le bas, à cause des nombreux échos parasites dus à la réflexion des ondes sur l'eau et la végétation qui créait des échos parasites, cependant les opérateurs des appareils avaient développés une technique en surveillant l'espace aérien au dessus de Cuba : en volant à basse altitude et en utilisant le radar ventral, ils pouvaient faire rebondir les ondes radar sur l'eau pour détecter les appareils à haute altitude ! La portée pratique de ce bidouillage était de 150km, juste ce qu'il fallait pour l'USAF ! Un autre outil viendra aider encore un peu plus les équipages : un interrogateur IFF. l'IFF est le transpondeur des avions militaires : interrogés par un radar, il va répondre un code permettant de déterminer si l'appareil est ami ou ennemi (friend or foe). La NSA ayant réussi à craquer le code IFF des MiG cubains, et ayant constatés que les MiG vietnamiens utilisaient le même, il sera décidé en 1967 de monter les fameux transpondeurs sur les Constellation pour permettre une meilleure identification du trafic aérien dans les zones les plus denses. Le système n'était cependant pas parfait : il était très difficile de séparer deux échos très proches, et il était impossible d'identifier rapidement des appareils amis ou ennemis avec ce système : les consoles des opérateurs affichaient des images radar brutes, et il fallait toute leur expertise pour décoder ce que le radar affichait, et il fallait ensuite recouper avec l'affichage du transpondeur de l'IFF ! A basse altitude, avec la chaleur produite par les équipements du radar, la climatisation ne pouvait pas suivre, ce qui faisait des missions longues et difficile à supporter pour l'organisme, sans parler du risque de se faire abattre ! Cependant, le gain de renseignement était tel que pour ces missions, des contrôleurs aériens et des commandants de groupes de combat participaient également à ces missions.  Pour limiter les risques, une paire de F-104 accompagnait souvent les EC-121 au cours de leurs missions.

Les deux radômes caractéristiques de l'EC-121D


En 1975, l'USAF retire de première ligne tous les EC-121, en les remplaçant par le nouveau E-3 "Sentry", beaucoup plus moderne, reversant les EC-121 à des unités de réserve. Le dernier vol d'un EC-121 a lieu le 25 juin 1982, alors que les E-2 et E-3 sont déjà en service depuis de longues années, mais l'USAF avait préféré garder les EC-121 en service pour les réservistes et l'entrainement des opérateurs. D'autres appareils serviront d'appareils de mesure contre les tornades, en prenant des mesures à distance de sécurité des perturbations.

Le dernier vol commercial d'un "Constellation" aura lieu en 1993, lorsque la FAA interdira de vol la compagnie de la république dominicaine de voler aux Etats-Unis. Il s'agissait de la dernière compagnie exploitant des Constellation. Aujourd'hui, le Constellation fait partie de la légende

Le Super Constellation de Breitling, toujours majestueux

1 commentaire:

  1. J'ai eu mon baptême de l'air (à 20 ans) sur un constellation Paris/Azore/Terre-Neuve/New York vers Paques 1947.
    Les constellations nous disait-on était d'anciennes "Forteresses volantes" de la guerre. Louis Cerdan disparut sur le même trajet à peu près au même moment.
    J'ai gardé le souvenir des flammes s'échappant du moteur près de ma fenêtre. Que c'était beau . JDL

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