jeudi 9 octobre 2014

B-52 : la saga du BUFF (1/3)

Pour mieux comprendre la genèse du B-52, il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le 23 novembre 1945, l'Air Material Command émet les spécifications pour un nouveau bombardier intercontinental "capable d'accomplir sa mission sans dépendre de terrain situé sur d'autres pays" : il faut pouvoir aller bombarder un objectif en Europe ou en Asie depuis les Etats-Unis: il faut un rayon d'action de près de 8 000km, le tout pour un appareil volant à 10 400m à près de 480km/h. Plusieurs firmes  vont répondre à cet appel d'offre, et c'est Boeing qui est déclaré vainqueur en juin 1946, avec son projet "Model 462", un immense hexaréacteur à ailes droites, propulsés par des Wright T-35. L'appareil doit peser 160 tonnes à pleine charge, mais n'aura un rayon d'action que de 5 000 km, malgré cette limitation, il correspond à la meilleure réponse à l'appel d'offre.

Le XB-52, premier d'une très longue série...


Le 28 juin 1946, Boeing reçoit officiellement un contrat pour la construction d'un "mock-up", une maquette à l'échelle 1 de l'appareil (un contrat d'1,7 millions de dollars tout de même !). Devant cet appareil qui prend forme, l'Army change plusieurs fois d'avis : dans un premier temps l'appareil leur semble trop lourd, puis pas assez autonome…Boeing doit revoir sa copie plusieurs fois. Le général le May va également demander un appareil plus rapide, capable d'emporter des armes atomiques, ce que Boeing va accommoder, mais rapidement, l'Army se rend compte que le XB-52 ne va rien apporter de nouveau par rapport au B-36 déjà en service à cette époque : le nouvel appareil sera démodé avant même d'entrer en service !

Qui dit intercontinental dit grandes réserves de carburant...


Le besoin du XB-52 semble s'évaporer, et la toute jeune US Air Force veut annuler tout le projet, mais le président de Boeing va directement aller voir le secrétaire de l'USAF. Bill Allen rencontre ainsi Stuart Symington et va le convaincre de ne pas annuler le contrat, mais de laisser Boeing adapter son projet pour répondre aux nouvelles exigences. En janvier 1948, Boeing reçoit donc l'ordre d'explorer les nouvelles technologies pour son bombardier : réacteurs, ailes en flèche, électronique, tout y passe !

L'obsession du secret à l'égard de ce nouvel appareil mènera parfois à des situations risibles...


En avril 1948, Boeing présente un plan de 30 millions de dollars pour modifier son appareil et en faire un bombardier moderne. Les performances vont ainsi être augmentées de manière significative : l'appareil pourra voler à près de 820 km/h à 10 700 mètres grâce à de puissants turbopropulseurs Westinghouse J40 ! Le jeudi 21 octobre, ce projet est présenté au colonel Peter Warden, chef de projet des bombardiers lourds sur la base de Wright-Patterson à Dayton dans l'Ohio. Ce dernier est déçu par la proposition de Boeing : il s'attendait à une version équipée de réacteurs plus modernes.

Le B-52 tel qu'il fut construit sera conçu au cours d'un long week-end....


L'équipe d'ingénieurs se retrouve alors le soir dans une suite de l'hôtel où ils sont logés, accompagnés par Ed Walls, le responsable ingénierie de Boeing. En une nuit, ils vont convertir leur projet en un grand projet quadriréacteurs, avant de retourner voir Warden le lendemain, un vendredi. Warden va regarder le projet, mais estime que Boeing peut faire mieux, et leur explique qu'il attend une meilleure proposition pour le lundi suivant ! Retour à l'hôtel pour les quatre hommes, qui vont solliciter l'aide de deux autres ingénieurs de Boeing qui sont en visite dans la ville. Les six hommes vont consommer beaucoup de papier ce soir là : il faut redessiner tout le projet ! C'est ainsi que va naître le projet 464-49 : en reprenant la configuration générale du B-47 "Stratojet", Boeing adopte une aile en flèche de 35° ainsi qu'un ensemble de huit moteurs regroupés par nacelles de deux, un train d'atterrissage monotrace avec des balancines en bout d'ailes . Les ingénieurs vont également rajouter la possibilité de décaler l'axe du train d'atterrissage de 20° de part et d'autres de l'axe central du fuselage pour permettre un meilleur contrôle lors d'atterrissage par fort vent de travers. Nous sommes toujours vendredi soir, et les hommes vont aller faire quelques courses : de quoi construire une petite maquette du nouvel appareil !

Après un weekend de travail, le B-52 va acquérir sa forme définitive...

La journée du samedi est mise à profit pour finaliser les calculs de poids et de performances, le tout à la règle à calcul, et le dimanche, les ingénieurs vont venir une secrétaire au pied levé pour venir taper sur machine la nouvelle proposition de Boeing. Le lundi matin arrive, et ils peuvent retourner voir Warden avec une proposition relié de 33 pages ainsi qu'une maquette de 30cm de long : c'est ainsi qu'en un week-end, six ingénieurs de Boeing ont définis les grandes lignes d'un appareil qui vole encore 60 ans après !

Arrangement général d'origine du B-52


Warden est convaincu, et plus important encore, le général Curtis LeMay est convaincu par le nouvel appareil. Le nouveau patron du Strategic Air Command voit dans ce bombardier la réponse qu'il faut apporter aux soviétiques ! Un premier contrat est rapidement passé avec l'USAF pour une livraison de 13  appareils B-52A et 17 pods de ravitaillement. Ce contrat est attribué le 14 février 1951. Avant toutefois, il est demandé à Boeing de réaliser deux prototypes et un appareil de pré-série : deux XB-52 et un YB-52. Malgré des retards à cause de la mise au point des moteurs, la mise au point continue. Beaucoup plus gros que le B-47, l'appareil pose des problèmes aérodynamiques encore jamais vu, mais force est de constater que malgré quelques modifications mineures, le design prévu durant le fameux week-end en Ohio n'a presque pas été modifié !

L'arrangement du cockpit est aussi inspiré du B-47 : un cockpit en tandem, avec les navigateurs, radariste et bombardier en dessous


Le B-52 est fortement inspiré du B-47, que ce soit au niveau des ailes, de l'agencement de la motorisation ou des commandes de vol. Contrairement au B-47, il va retenir un élément datant de la Guerre : un canon de queue, avec un cannonier pour le manier. Le B-52 sera également équipé de sièges éjectables comme sur le B-47 : les membres d'équipage s'éjectent soit vers le haut ou vers le bas suivant leur position dans la cabine. Le canonnier doit éjecter la tourelle avant de sauter.

Le cockpit d'origine du XB-52 avec le cockpit en tandem

Un élément va changer cependant sur l'appareil : Boeing avait prévu de mettre un cockpit en tandem comme sur le B-47, avec un arrangement comme sur un chasseur, pilote et copilote ne pouvaient pas communiquer autrement que par radio. LeMay n'est pas convaincu par cette disposition qu'il ne connait que trop bien sur le B-47; dans un souci d'efficacité et de meilleure communication avec l'équipage, il demande à ce que le cockpit soit modifié avec un arrangement côte à côte comme sur les avions de ligne. Boeing va accumuler pas loin de 670 jours d'essais en soufflerie et 130 jours de tests au sol avant de trouver la bonne formule pour son bombardier.

Le nouveau cockpit, inspiré des avions de ligne...

Le premier appareil, XB-52 qui comporte encore le cockpit en tandem fait son roll-out dans la nuit du 29 novembre 1951, suivi quelques semaines plus tard par le second prototype qui sera le premier à voler. Pour la petite histoire, l'USAF était tellement paranoïaque que la construction des deux premiers exemplaires se fera dans le secret le plus absolu, et le roll-out de l'appareil se fera en pleine nuit, après avoir pris soin de le recouvrir de grandes bâches blanches pour masquer ses formes…en vain, un appareil de la taille d'un B-52 ne se camoufle pas aussi simplement, et malgré les bâches, les dimensions et formes de l'appareil apparaissent très clairement !

Roll out du premier B-52, caché sous des bâches...
Le premier appareil à voler sera le deuxième produit, officiellement pour permettre à Boeing d'installer plus d'équipements d'essais à bord du premier appareil, mais officieusement, c'est parce que quelques semaines avant le premier vol, lors d'un test du système pneumatique à haute pression, une valve va se coincer, et toute une partie de l'aile va exploser ! L'appareil aura ainsi besoin de retourner au hangar pour réparations, pendant que le deuxième appareil est préparé pour le vol inaugural. L'USAF, toujours dans sa paranoïa de ne pas dévoiler les capacités de son nouvel appareil, va même demander à Boeing d'effectuer le premier vol…de nuit ! Heureusement l'équipe des essais en vol de Boeing va convaincre l'Air Force que son idée est stupide et dangereuse ! Le vol inaugural à finalement lieu le 15 avril 1952, avec Tex Johnson aux commandes comme pour le premier B-47. C'est un vol sans histoire, qui permet de prendre en main l'avion : Johnson est persuadé d'être tombé sur un excellent appareil.

Décollage du XB-52 pour son premier vol


Après le XB-52, Boeing produira directement un YB-52. Stable et manœuvrable, l'USAF trouvera peu de choses à redire sur l'appareil, qui est rapidement apprécié par les pilotes chargés de l'évaluer. L'USAF va donc passer une nouvelle commande : elle va passer de 13 appareils à 282 dans une version améliorée ! C'est une excellente nouvelle pour Boeing qui s'empresse de mettre les bouchées doubles pour livrer les premiers exemplaires le plus rapidement possible.

L'appareil suivant à prendre l'air sera le B-52A

Après deux années de tests intensifs, l'USAF reçoit ses premiers exemplaires en 1954. Boeing ne livrera que 3 B-52A au final, les 50 exemplaires suivants étant livrés au standard B-52B. Le modèle "B" sera la première version opérationnelle, qui entre officiellement en service au sein du 93rd Bomb Wing à Castle AFB en Californie dès juin 1955. Le "B" se distingue du "A" par un système de bombardement plus évolué, le MA-6A. Une fois les B-52B livrés, Boeing va récupérer les trois B-52A pour s'en servir d'appareils d'essais. L'un d'entre eux, le 52-0003 ou "Balls 3" sera transformé en NB-52, il sera utilisé pour larguer l'avion fusée X-15 après avoir été modifié.

Balls 3, un NB-52A sera utilisé pendant de longues années par la NASA

Boeing va devoir trouver de la place pour fabriquer tout ces appareils : si les B-52A, B et C sont fabriqués à Seattle, mais les riverains se plaignent beaucoup du bruit des réacteurs, et Boeing va rapidement délocaliser son centre d'essais sur la base Larson AFB, à 250km de là. Chaque vol inaugural de B-52 sert à convoyer l'appareil à Larson, où il pourra ensuite être testé tranquillement avant livraison. Le B-52 est un immense puzzle industriel : plus de 5000 firmes américaines assemblent en sous-ttraitance pas moins de 41% de l'appareil. Avec l'arrivée des versions suivantes, l'usine Boeing de Wichita dans le Kansas sera également reconvertie pour produire des B-52, puis à partir de 1957, tous les B-52 seront assemblés à Wichita, ce qui permet de libérer l'usine de Seattle pour l'assemblage des 707 civils dont la demande explose. La ligne d'assemblage de Wichite ferme en 1962, après que Boeing ait livré 744 appareils à l'USAF, dont deux prototypes.

L'arrivée du B-52B fait entrer l'USAF dans une nouvelle ère

Le dernier B-52B est livré le 31 Août 1956, il sera ensuite remplacé par le B-52C, qui avait fait son premier vol le 9 mars 1956. Extérieurement identique aux versions précédentes, à l'exception de réservoirs de carburant supplémentaires, il disposait toutefois d'une suite avionique entièrement repensée et modernisée. Seulement 35 "C" seront livrés, car Boeing va continuer de faire évoluer son appareil, et va surtout devoir le renforcer pour mieux supporter les vols à basse altitude : cette version renforcée deviendra le B-52D, qui fait son premier vol le 14 mai 1956. Le modèle "D" sera ainsi pendant de nombreuses années la version la plus répandue du B-52 au sein du SAC : que ce soit pour la dissuasion nucléaires dans les années 60, ou pour bombarder le Vietnam à la fin des années 60, le B-52 connaîtra à la fois son rôle de bombardier nucléaire, mais aussi un rôle de bombardier conventionnel au cours du conflit dans le Sud-Est asiatique.

Les B-52B seront rapidement retirés du service...mais cela ne signifiait pas la fin de la carrière du B-52 !


Appareil né dans l'urgence, mais dont la conception était soignée, le B-52 était destiné à avoir une longue carrière...

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