jeudi 28 août 2014

La naissance d'Airbus (3/3)

Après le problème de la production, Félix Kracht va devoir s'atteler à un nouveau problème : celui de la logistique. Comment acheminer les tronçons dont certains font presque 6 mètres de diamètre jusqu'à Toulouse pour assemblage final ? Tâche compliquée par le fait que Toulouse ne dispose d'aucun port ! En effet, à part Toulouse, tous les grands sites de production sont à proximité de la mer, la solution de barges de transport semble alors la plus simple et la plus réaliste…mais il demeure un problème pour Toulouse. On ne va quand même pas construire un canal jusqu'à Toulouse spécialement pour Airbus ? (Cette solution, aussi farfelue soit-elle a été proposée et étudiée !).

Félix Kracht va trouver le transporteur des airs dont Airbus à besoin.


Heureusement, Félix Kracht va avoir l'idée : en 1967, le CNES avait reçu une proposition d'emploi d'un avion "Mini-Guppy" pour transporter ses tronçons de fusées. L'idée n'avait pas été poussée plus loin, mais le "Mini-Guppy" était venu au salon du Bourget de 1967 où il avait fait forte impression. Aero Spacelines, son concepteur, se préparait à lancer la construction d'un Mini-Guppy encore plus gros, et Sud-Aviation avait demandé à ASI d'étudier la faisabilité d'un Super-Guppy "transport public" reprenant le gabarit du Super-Guppy de la NASA (7,8m de diamètre intérieur) tout en demandant un plancher élargi comme le Mini-Guppy. Le tout donnera naissance au premier "Super-Guppy Turbine 201" immatriculé N211AS. En Août 1969, Félix Kracht est en déplacement à Santa Barbara, siège d'ASI, où il annonce son intention d'acheter l'appareil au nom d'Airbus. Félix Kracht n'a en réalité pas le droit de faire une telle offre qui n'a pas encore été validée par le conseil de surveillance, mais on lui pardonnera ! Il faut savoir que cette  intention d'achat était vitale pour ASI, presque en défaut de paiement, qui risquait de mettre la clé sous la porte avec un appareil à moitié terminé ! Le financement d'Airbus permettra de maintenir la construction du N211AS à flot, ce qui va permettre à Airbus de disposer d'un Super-Guppy, le F-BTGV. Un second sera commandé début 1973 et livré fin Août 1973. Félix Kracht à trouvé la solution au problème de transport d'Airbus.

Le 28 septembre 1972, Airbus fait son show au côté d'Aerospatiale à Toulouse : une grande cérémonie réuni à la fois l'A300B et un Concorde en face à face, les deux produits forts de la société. Les journalistes jouent des coudes pour photographier Concorde, mais boudent l'Airbus qui n'a "rien d'exceptionnel".

Septembre 1972 : l'avenir est en marche à Toulouse

Airbus dispose d'un avion…mais il faut des équipages pour le faire voler : une fois de plus ce sera un combat et un dialogue de sourd. Au démarrage du programme, il est envisagé de les confier à Sud-Aviation, mais André Turcat, le patron des essais en vol d'Aerospatiale y est opposé : Airbus devra donc trouver sa propre solution, et embaucher ses propres équipes d'essais en vol, sous la houlette de Bernard Ziegler, fils d'Henri Ziegler (dont la carrière et les accomplissements au sein d'Airbus vous feront vite comprendre qu'il a été engagé pour ses compétences et non pour son nom !). Les équipages appartiendront donc à Airbus, mais les moyens d'essais seront sous-traités à l'Aerospatiale, curieux mélange qui va devenir un cauchemar comptable !

Premier décollage de l'A300...peu de monde au bord des pistes pour immortaliser l'évènement !

Début 1972, Airbus accélère le pas en vue du premier vol qui approche : en mars, le moteur CF-6 est certifié, fin juillet, le premier simulateur d'A300 est livré et va permettre l'entrainement des équipages,  et enfin, début octobre, l'avion est déclaré bon pour le vol. Le premier vol est prévu pour le 27 octobre 1972, mais devra être retardé d'une journée en raison d'un fort vent d'autan…finalement, le 28 octobre, tout est prêt, et l'A300 peut faire son premier vol qui sera un grand succès, malgré un atterrissage par fort vent de travers. Le vol aura comme même lieu avec un mois d'avance par rapport au calendrier initial ! Cela faisait trois ans et cinq mois que le proramme a été lancé, ce qui n'est pas mal du tout au vu de la difficulté de l'entreprise.

Dans le même temps, les essais statiques démarrent au CEAT à Toulouse. La partie arrière de l'appareil va faire du bruit (au propre comme au figuré) en explosant sur le centre d'essais en janvier 1973…les allemands vont reprocher aux français d'avoir détruit leur tronçon de test, alors que les français accusent les allemands de l'avoir mal conçu ! Les calculs vont alors prouver que le fuselage n'a pas été testé dans de bonnes conditions et il n'y aura pas de retard sur le programme.

L'A300B1 en cours d'assemblage final...

Quelques semaines plus tard, c'est l'aile qui fait parler d'elle : l'aile britannique est soumise à des flexions pour aller jusqu'à la rupture. Avant d'arriver à la valeur fatidique des 150%, elle commence à craquer de manière sinistre, laissant présager le pire…pourtant elle va tenir et tenir jusqu'à sa valeur limite. Les test devant aller jusqu'à la destruction, on continue de les tordre cm par cm…les anglais sont livides et les français rigolent dans leur coin en pariant sur la valeur à laquelle cette aile malfichue va lâcher. Soudain, l'aile se désintègre avec un bruit d'explosion violente. Il faut attendre quelques minutes que la poussière retombe pour aller juger des dégâts…et là, c'est la consternation côté français : ce n'est pas l'aile qui a lâchée, mais le support de l'aile, fabriqué par l'Aerospatiale !

Au niveau des essais en vol, les choses avancent à toute vitesse : premier vol de l'avion 2 le 5 février 1973, puis de l'avion 3 le 28 juin et enfin l'avion 4, le premier au standard B2 prévu pour équiper Air France et Lufthansa, le 20 novembre. Hormis un aterissage très dur qui va demander 18 jours d'immobilisation, le programme d'essais progresse avec une absence de problème remarquable ! En mars 1974, l'Airbus arrive au bout de son programme de vols pour sa certification, et le 15 mars, les autorités délivrent le précieux sésame : le certificat de navigabilité de type (ou CDN) pour l'A300B2 : il peut désormais transporter des passagers ! Le 30 mai, c'est au tour de la FAA de valider le certificat de type de l'A300. Deux autres étapes sont franchies avec l'autorisation d'atterrissage tout temps obtenue fin septembre, et la certification de la version B4 le 30 avril 1975.

Maintenant, il faut séduire les clients !

L'A300 est donc sur les rails, prêt à voler pour des compagnies civiles, mais ces mêmes compagnies sont encore frileuses vis-à-vis de ce nouvel avion. L'équipe commerciale d'Airbus qui se met en place à partir d'éléments détachés par Aerospatiale et HSA principalement, cherche d'abord à séduire les compagnies des pays membres du GIE. Air France, après avoir longtemps hésité s'est finalement décidé pour la version B2 : elle commande 6 avions plus 10 options…mais sans trop y croire. Idem en Espagne : Ibéria commande à reculons : 4 commandes + 8 options. Reste Lufthansa, qui est la compagnie la plus courtisée, car la plus indépendante vis-à-vis de son gouvernement. La compagnie se décide tardivement, passant commande seulement en mai 1973 pour 3 avions + 4 options, permettant ainsi à d'autres, comme Air France d'avoir les premiers avions, et donc les soucis de jeunesse qui vont avec. Pire encore, les contrats de vente comportent une clause imposée par les clients, appelée "clause sauvage" : un client peut annuler sa commande sans frais si le carnet de commandes d'Airbus n'atteint pas 50 commandes dans les 6 mois suivants leur commande…or vous avez bien compté : on est à 13 commandes fermes…encore 37 appareils à placer…

D'autres compagnies vont rejoindre le club : Air Inter en décembre 1975, KLM en 1979. Malgré tous les efforts des commerciaux d'Airbus, UTA ne commandera jamais d'avions Airbus…malgré le fait qu'elle a transporté toutes les pièces de tous les avions Airbus à l'exception du n°1 grâce aux 2 Super-Guppies !

Dans l'ensemble, les commerciaux d'Airbus découvrent vite le plus gros défaut de l'appareil : le manque de crédibilité de son constructeur : personne ne sait qui est Airbus, et cette société juridiquement très étrange ne donne pas confiance. Il faut donner confiance en montrant les qualités de l'appareil. L'avion numéro 1, une fois sa carrière d'avion d'essais terminé, va donc être employé comme "avion publicitaire" en partant faire le tour du monde. Même si ces tournées ne débouchent pas toujours sur des commandes, elles permettent de montrer qu'Airbus existe et fait un bel appareil.

Air France sera très satisfaite de ses A300B2

De manière générale, on peut distinguer les compagnies clientes d'Airbus en 3 catégories :
  • Celles pour qui l'Airbus répond à un besoin immédiat. (Korean Airlines, Indian Airlines)
  • Celles de petites tailles qui espèrent trouver plus d'indulgence chez Airbus que chez Boeing en matière de délais et de prix (TEA, SATA, Sterling) : ces contrats sont souvent sans suite.
  • Celles qui se servent d'Airbus pour faire pression sur leurs fournisseurs américains habituels (National, Western, Quantas).
Au moment de la fin du développement de l'A300, Airbus possède un carnet de commande de 16 avions fermes, un peu moins de 3% du carnet de commande mondial…il y a encore beaucoup de chemin à faire ! De plus, après avoir essayé de vendre l'A300 en quatre monnaies différentes, les compagnies interviennent, et demandent à n'avoir qu'un prix en dollars, comme la concurrence ! Si cela arrange les compagnies, c'est un problème pour Airbus qui dès lors devient tributaire des taux de changes internationaux…un problème qui perdure encore aujourd'hui…

Le début d'une très longue aventure !

1974 permet ainsi à Airbus de rentrer dans la cour des grands : son nouvel appareil vole, mais maintenant il faut le vendre ! D'un pur produit politique, Airbus est devenu un produit industriel, voilà déjà un beau pas en avant, le tout jeune avion reste fragile  : comme souvent dans cette jeunesse d'Airbus, l'euphorie sera suivie de temps difficiles : nous sommes en 1974, c'est l'époque des chocs pétroliers et d'une crise économique, la plus grave depuis la Guerre, dont la conséquence la plus notable est l'explosion des coûts du pétrole. Ce sera le début d'une crise profonde chez Airbus que l'on appellera plus tard "la traversée du désert"…mais c'est une autre histoire !

lundi 25 août 2014

La naissance d'Airbus (2/3)

1969 : Airbus est au point mort : les Anglais sont partis, les Français n'y croient plus, et l'Allemagne commence à se détourner du projet…et pour ne rien arranger Rolls est en quasi faillite suite à ses concessions dans le programme L1011...à moins d'un miracle, l'Airbus est condamné à plus ou moins court terme…

Quelques configurations étudiées pour Airbus

Et pourtant, des miracles, il va y en avoir en 1969 !

Le retrait britannique permet de chercher une autre solution pour la motorisation de l'avion que Rolls…au niveau international, le seul fabricant qui s'en sort à peu près pour les moteurs double flux de forte poussée est General Electric qui vient de mettre au point le TF-39, moteur du C-5 "Galaxy". La version civile extrapolée, le CF-6 (18 tonnes de poussée, avec marge pour aller 22 tonnes), permettrait de motoriser le nouvel Airbus à condition de réduire quelques peu sa taille pour la porter à 250 places, d'où la dénomination interne d'"A250". L'accueil de cette nouvelle solution est timide, mais Henri Ziegler est convaincu que c'est la seule solution, et va donner à Roger Béteille les moyens de continuer ce projet. Parallèlement, il officialise ce nouveau projet qu'il appelle "A300B" pour maintenir la filiation avec l'A300…et emporte l'adhésion des partenaires.

C'est le CF-6 de General Electric qui va emporter l'adhésion d'Airbus
De leur côté, les britanniques et BAC en particulier s'est engagé sur un nouveau programme : le BAC311, version agrandie du BAC111, mais qui possède le même défaut : trimoteur, il ne peut pas rivaliser avec un bimoteur en terme de prix de revient…mais les britanniques s'y accrochent. Heureusement, les gouvernements français et allemands s'accrochent à l'A300B : à l'issue de la réunion du 17 janvier 1969, les ministres des transports des deux pays auront cette réponse restée célèbre : lorsqu'on leur demande si Airbus va continuer, ils répondent "kein Airbus, kein communiqué !" "Pas d'Airbus, pas de communiqué !"

Nouvel annonce à la fin janvier 1969 : Le consortium accepte que la firme anglaise Hawker Siddeley Aviation (HSA) garde sa place au sein d'Airbus. En revanche, HSA s'engage dans cette aventure  titre privé contrairement aux autres partenaires, mais sa participation signe le retour des Britanniques dans le consortium.

Autre point positif : General Electric prend position en faveur de l'A300B. Le motoriste espère prendre sa revanche grâce à son avance acquise dans le cadre du programme C-5, et détrôner Pratt & Whitney de sa position de quasi monopole. Une coopération avec la SNECMA achève ainsi de convaincre les membres d'Airbus que même si le moteur est américain, il est indispensable d'obtenir le CF-6 pour l'A300B !

L'A300 sera mis en avant au salon de 1969
C'est au salon du Bourget qu'est signé l'accord intergouvernemental de réalisation de l'A300B, le 29 mai 1969. Ce texte est le premier des quatre textes fondateurs d'Airbus.  La rapidité de signature de l'accord surprend : il a été rédigé et signé en moins de deux mois, un record pour un texte aussi important ! On s'apercevra par la suite que certaines parties de l'accord étaient en contradiction avec les lois de la cour des comptes…mais qu'importe : ce qui avait été signé avait permis de  lancer la machine ! Cet accord fixe les montants et méthodes de paiements : le financement est apporté par les Etats sous forme d'avances remboursables, le remboursement s'étalant sur la base d'un programme de 360 avions, avec remboursements progressifs pour tenir compte des amortissements de débuts de série. On notera que HASA est en grande partie financé par les gouvernements français et allemand sous ce régime. On note également que cet accord prévoit un bureau de certification dédié pour faciliter les modalités de certification du nouvel appareil !

Le nouvel A300B sera propulsé par des CF-6 américains de chez General Electric, seule motoriste intéressé par la coopération, mais qui n'a pas le soutien des allemands (toujours pro-Rolls) ni des Français (pro Pratt&Whitney, partenaire de la SNECMA) : General Electric est donc obligé de faire une offre attractive pour décrocher le marché, grâce au CF-6-80 de 21,3 tonnes de poussée, mis au point pour la version long-courrier du DC-10. La livraison de nacelles du DC-10 et un accord de sous-traitance avec la SNECMA va achever de faire pencher la balance en faveur de GE

L'A300B sera capable de transporter 250 passagers par rangées de 8 sièges, la largeur du fuselage est prévue pour pouvoir emmener 2 conteneurs standards LD3 côté à côte en soute sous le plancher, ce qui conduit à un diamètre de 5,64 mètres  ou 222 inches, diamètre retenu pour tous les gros-porteurs Airbus. Le fait de pouvoir emmener deux conteneurs LD3 est un enseignement tiré de Caravelle, dont l'exigüité des soutes avait été critiqué par les compagnies, obligeant à charger les valises une à une d'où une perte de temps non négligeable en escale.

Vue en coupe de l'A300 : la capacité d'emmener des containers sera très appréciée !
L'A300B pourra donc non seulement transporter les bagages avec une vitesse de chargement déchargement rapide, mais aussi du fret ! Dans le domaine aéronautique, il n'y a pas de petit profit : la capacité de transport de fret permet d'arrondir les fins de mois des compagnies ! On retrouve ici l'influence de Frank Kolk, l'influent directeur technique d'American Airlines : ce qu'il avait proposé sans succès pour le L1011 et qui n'avait pas été retenu servira à la base de l'A300B, et le succès commercial de ce dernier montrera la justesse des vues de Kolk !

La voilure pose plus de soucis : il faut jongler entre créer une bonne voilure pour l'A300B, mais qui permettra de faire évoluer le fuselage par la suite. Finalement, Airbus décide de parier sur l'avenir et prévoit une large voilure capable de transporter 35% de masse en plus que l'A300B. C'est ainsi que l'A300-600 possède la même aile que son ancêtre.

La conception de la cabine n'est pas laissée au hasard !
Au niveau de l'avionique, l'Aerospatiale à la chance de s'appuyer sur toutes les études menées par Concorde : aménagement du poste de pilotage, commandes hydrauliques fiables, système d'atterrissage tout temps (initié sur Caravelle) : sans Concorde il n'y aura pas eu d'Airbus aussi bien pensé dès l'origine ! Airbus ne manque pas de tirer les enseignements des erreurs d'autres constructeurs : la conception des portes de soute sera soignée pour ne pas connaître les même déboires que le DC-10, et les trois circuits de commandes de vol sont séparés entre le haut et le bas du fuselage pour éviter toute perte totale hydraulique suite à une unique défaillance.

Pendant que le bureau d'étude avance sur la conception de l'avion, les avocats avancent sur les bases juridiques d'Airbus. Il faut en effet savoir qu'à cette époque Airbus est encore une coquille vide : comment la nouvelle organisation va pouvoir fonctionner économiquement parlant, c'est tout le problème. La solution sera arrêtée dès avril 1969 : ce sera un GIE, un Groupement d'Intérêt Economique. Bien, mais qu'est ce donc ? Il s'agit d'une union entre les partenaires mais qui agit en tant qu'entité distincte de chacun d'eux : les clients disposent donc d'une interface unique, facteur de crédibilité commerciale, et le Gie est une personnalité juridique complète, qui peut vendre, contracter ou se pourvoir en justice. Le Gie ne possède pas un très gros capital, mais dispose d'une responsabilité conjointe et solidaire de ses membres vis-à-vis des clients et fournisseurs.

Il faut non seulement assembler le puzzle...mais aussi le financer et le vendre... (ici l'A300-600)


La définition du modèle financier à été longue à venir à cause de la différence entre Aerospatiale qui met tout son outil industriel au service d'Airbus, garanti par l'état français, et Deutsche Airbus, qui est l'équivalent d'une SARL, garanti uniquement par son capital de 50 millions de marks…une telle disproportion ne peut mener que à des soucis, et il faudra l'intervention de l'état allemand qui met en place une garantie de 1,5 milliards de marks pour contrebalancer la puissance d'Aerospatiale.

Le Gie est surtout un ovni juridique incompréhensible pour le monde extérieur, les américains en particulier ! Airbus devra donc user d'une communication très ciblée pour faire comprendre à ses futurs clients que le Gie n'est pas dangereux. Point appréciable : les concurrents sous-estiment l'efficacité de la formule et ne considèrent pas Airbus comme une menace ! Autre avantage, un Gie ne peut quasiment pas mettre la clé sous la porte tellement les procédures sont complexes et peu connues. Point négatif : Airbus est donc subordonné aux entreprises industrielles ce qui posera parfois des soucis.

La coopération, quasi morte fin 1968 à réussi en l'espace d'une année une remontée spectaculaire ! Ce sera le miracle de l'Airbus ! Pourtant, tout n'est pas encore gagné !

1971 arrive, et le statuts du GIE sont déposés au tribunal de commerce de Paris, qui donne l'immatriculation définitive le 23 février 1971 : Airbus existe enfin d'un point de vue commercial. Le nouveau siège de la société est situé au 160 avenue de Versailles à Paris, dans l'ancien siège de Nord-Aviation, l'Aerospatiale ayant pris l'ancien siège de Sud-Aviation situé à quelques kilomètres de là, boulevard Montmorency. Peu de temps après, un nouveau partenaire entre au sein d'Airbus : il s'agit de la société espagnole CASA, qui entre dans Airbus à hauteur de 4,2%, le tout associé à une commande de la compagnie nationale Ibéria de 30 appareils Airbus.

Airbus est de nouveau sur les rails !

Au niveau organisationnel, Airbus possède trois niveaux de pouvoir comme prévu dans l'ordonnance de 1967. 

  • Une assemblée des membres, regroupant les industriels, chacun votant à hauteur de la participation du pays dans le GIE
  • Un conseil de surveillance regroupant cinq représentants pour chaque pays membre (mais un seul pour CASA vu sa participation). Franz Josef Strauss est nommé président. Surnommé le taureau de la Bavière, dont il est député, il sera un des plus important partisan d'Airbus. Nommé à ce poste en 1970, il y restera jusqu'àà son décès en 1988 ! Charles Cristofini, ancien PDG de Nord-Aviation est nommé vice président.
  • Un administrateur gérant, nommé pour 5 ans, qui est chargé de la gestion opérationnelle du GIE. C'est lui le patron au jour le jour d'Airbus, que ce soit pour les aspects techniques, opérationnelles ou fiancier. Le 18 décembre 1970, c'est Henri Ziegler qui est nommé à ce poste

En complément de l'administrateur gérant, quatre directeurs sont nommés pour gérer les quatre grandes branches d'Airbus, deux venant de la SNIAS (Aerospatiale) et deux de Deutsche Airbus :

  • Roger Béteille est chargé de la direction technique du programme
  • Félix Kracht est responsable de la dirction de la production
  • Didier Godechot est à le direction commerciale
  • Krambeck puis Friedrich Feye à la tête de la direction financière.


Les moyens d'Airbus, quasiment nuls au début de l'aventure, vont s'étoffer petit à petit : les effectifs passent de 10 à 200 personnes en fin de développement, en provenance des partenaires, mais Airbus fera bientôt des embauches directes. Le siège parisien s'avère rapidement inadapté, car trop proche de siège de la SNIAS et trop éloigné de Toulouse. Un nouveau site est choisi en 1972 à côté de l'aéroport de Blagnac. L'administrateur gérant restera toutefois sur Paris pour assurer les contacts politiques à haut niveau.

Roll-out officiel de l'A300...il n'y avait pas grand monde à Toulouse ce jour là...

Dans le même temps, Airbus planche sur des versions dérivés de son A300, conscient que passé la certification de l'A300B, d'autres clients voudront des A300 mais avec une portée plus grande ou une capacité plus importante. Ayant participé à Caravelle et ayant constaté qu'il faut définir des appareils avec les compagnies si on veut qu'elles les achète, Roger Béteille pousse l'étude de pas moins de 11 variantes, dénommées B1 à B11, qui préfigurent déjà l'offre d'Airbus dans le domaine des longs courriers pour les années à venir ! C'est ainsi que sont étudiés progressivement :

  • A300B1 (base) : 259 sièges, 1 200 nm et 132 tonnes au décollage ;  
  • A300B2 (en service en 1974) : 280 sièges, 1 200 nm et 138 tonnes ;  
  • A300B3 : 280 sièges, 1 600 nm et 138 tonnes ;  
  • A300B4 (en service en 1975) : 280 sièges, 2 000 nm et 146 tonnes ;  
  • A300B5 : version cargo de l’A300B4 appelée ultérieurement A300F ;  
  • A300B6 : version convertible de l’A300B4 ;  
  • A300B7 : 296 sièges, 1 600 nm et 146 tonnes ;  
  • A300B8 : (version dite « américaine ») : 212 sièges, 500 nm et 120 tonnes ;  
  • A300B9 : (précurseur de l’A330) : 350 sièges, 2 000 nm ;  
  • A300B10 : (précurseur de l’A310) : 220 sièges, 1 200 nm et 125 tonnes ;  
  • A300B11 : (précurseur de l’A340) : quadriréacteur long courrier.  
L'A300 commence à prendre sa forme définitive

Mais avant de construire toutes ces versions, il faut assembler et tester les avions d'essais : ils seront au nombre de 4 : les avions numéro 1 et 2 seront construits au standard B1, le numéro 3 est un B2 mais qui possède des systèmes B1, et l'avion 4 construit directement au standard B2.

En France, Allemagne et Angleterre, les travaux de réalisation avancent. Chaque site conçoit et produit un tronçon équipé, prêt pour l'assemblage final…mais la taille des éléments est telle que le transport jusqu'à Toulouse qui ne possède aucun port important est un casse-tête...ce serait trop bête d'avoir autant travaillé pour concevoir cet A300 et ne pas pouvoir l'assembler pour une bête question de logistique...

Heureusement, Félix Kracht va trouver la réponse !

jeudi 21 août 2014

La naissance d'Airbus (1/3)

Airbus…un nom, un symbole et une entreprise mondialement connue…Pourtant ce ne fut pas toujours le cas…retour au début des années 60 pour mieux comprendre la naissance d'Airbus.

Retour sur la naissance d'Airbus
Le début des années 60 fut une période clé pour la construction européenne, avec la création de la CEE dès 1957 et son entrée en vigueur 10 années plus tard. Il y eut également la réconciliation franco-allemande en 1963. L'aviation est alors en plein dans un "âge d'or" : le trafic est en forte hausse, de 15 à 20% par an, et les avancées technologiques issues de la Guerre commencent à donner naissance à des produits matures et fiables.

L'Europe est alors dans un environnement monétaire favorable et les pays européens veulent unir leurs forces dans le domaine économique face aux Etats-Unis : c'est la période de "Concorde" avec la signature du traité franco-britannique du 29 novembre 1962. Pourtant, au fur et à mesure que la décennie avance, il commence à émerger que le transport supersonique n'est peut-être pas la meilleure des solutions : les compagnies s'orientent plus vers des avions gros porteurs, de l'ordre de 200 à 300 passagers, adaptés à des dessertes inter-européennes.

Le Boeing 747 qui va donner une position de monopole à son constructeur
L'impulsion va venir des Etats-Unis, et de Boeing en particulier qui va donner naissance à une version civile de son modèle de transport militaire géant qui a perdu le concours de l'USAF face au C-5 "Galaxy" de Lockheed : c'est le 747, qui va devenir le long-courier de référence. Il reste le moyen courrier : une fiche programme établie par American Airlines  va devenir une référence : 250 places sur 2500km, adapté aux lignes intérieures américaines. Cette solution est proposé par un homme très influent : Frank Kolk, directeur technique d'American Airlines : l'appareil visé est un bimoteur avec des réacteurs à double flux. Pourtant les fabricants américains vont se détourner du bimoteurs, préférant développer des trimoteurs, ceci afin de satisfaire les compagnies qui veulent faire du "coast to coast" ou celles qui opèrent depuis des aéroports en altitude ou avec des pistes courtes. En janvier 1968, Douglas lance ainsi le DC-10 et Lockheed le L-1011 "Tristar" .

Il y a donc un trou dans l'offre américaine : pas de bimoteur civil moyen courrier. C'est une chance à saisir pour l'Europe : développer un "autobus des airs" ou encore un "aérobus".

Le "Comet" britannique

En Europe, l'Angleterre souffre : son avance acquise lors de la mise en service du Comet à été balayée par les accidents qui ont suivis. Les dernières versions du Comet sont techniquement très réussies, mais les américains ont inondés le marché avec le Boeing 707, plus avancé. Sur les 36 modèles d'appareils de transport civils que la Grande-Bretagne a produit depuis la fin de la Guerre, seulement 8 ont dépassés la centaine d'exemplaire ! La France n'est pas mieux : après l'aventure de la Caravelle, Sud-Aviation peine à lancer un nouveau programme. La nomination d'un certain Maurice Papon comme gestionnaire de Sud-Aviation après sa mise en cause dans l'affaire Ben Barka ne fait pas du bien : gestionnaire absent, son immobilisme paralyse la société nationale. En parallèle, Dassault ne s'engage pas sur le marché gros porteur, mais préfère se cantonner sur un avion purement franco-français qui allait devenir le Mercure. En Allemagne, les sociétés aéronautiques n'ont que très peu d'activité depuis la fin de la Guerre : de la sous-traitance et de la fabrication sous licence principalement, et l'Allemagne veut sortir de ce schéma pour retrouver une activité de bureau d'étude, mais sa situation est fragile : hors de question de se lancer seul dans un programme aéronautique.

Un semi-succès français : la Caravelle

L'Allemagne va agir la première : elle décide de rassembler ses différents moyens de production au sein d'un comité commun : le "Studiengruppe Airbus", nous sommes en 1965. L'année suivante, une nouvelle entreprise est crée en Allemagne pour parler d'une seule voie face aux autres pays européen : Deutsche Airbus GMBH, et le dirigeant de Bölkow en devient le premier président : le Dr Bernhart Weinhard. Deutsche Airbus commence à étudier un quadriréacteurs à aile haute dans l'optique de lancer un long courrier.


Nord Aviation et Breguet étudient le HBN-100, un "wide-body"

En France, les dirigeants de l'aviation civile réfléchissent à lancer un nouvel appareil moyen ou long courrier, mais le projet n'est pas vu d'un bon œil par le ministère des Finances, qui après Concorde ne veut pas se lancer dans un nouveau programme "coûteux et voué à l'échec". Seul un grand programme en coopération peut faire avancer un nouveau projet d'avion civil. Sud-aviation et Dassault décident d'unir leurs forces pour produire deux appareils : Dassault sera maître d'oeuvre du Mercure avec Sud comme sous-traitant, et Sud sera maitre d'oeuvre d'un grand moyen-courrier bimoteur, appelé "Galion" dont Dassault sera sous-traitant. Pourtant, des contacts commencent à se nouer entre la France d'une part et l'Angleterre d'autre part, qui accepte de participer à condition que Rolls Royce obtienne la motorisation.

Le projet "Galion" de Sud-Aviation et Dassault

Ainsi à l'été 1966, France et Grande Bretagne annoncent leur intention de lancer un nouveau programme d'avion civil, qui sera développé en consortium par Sud-Aviation et Hawker-Siddeley Aviation. Pourtant les deux pays vont rapidement s'apercevoir que l'Allemagne partage aussi ce but commun, et les trois pays acceptent de s'associer. C'est ainsi que le 26 septembre 1967, est signé à Londres le "protocole  d'accord lançant la phase de définition du projet d'Airbus européen" entre les trois ministres de l'industrie. Le projet à un nom et des participants, mais c'est à peu près tout. Concrètement personne ne sait comment faire, mais c'est un premier pas !

L'accord de septembre 1967 marque le premier pas vers le lancement d'Airbus
L'Airbus doit répondre aux critères suivants : une capacité de 250 à 300 sièges, avec un confort "spartiate", un rayon d'action à pleine charge de 2000km au moins, le tout avec des coûts d'exploitation qui doivent être de 30% inférieurs à ceux de l'étalon de l'époque, le Boeing 727-100, le tout pour une mise en service au printemps 1973.

Côté sous, les travaux doivent se répartir à hauteur de 25% pour Deutsche Airbus, 37,5% pour Sud-Aviation, désigné maître d'œuvre, et 37,5% pour Hawker Siddeley, désigné politiquement "contractant associé. Le financement est fait sous forme d'avance remboursable par les gouvernements, et les gouvernements doivent décider au plus tard le 30 juin 1968 si le projet peut continuer ou pas.

A Toulouse, l'avenir est à Concorde...
Pourtant, du côté industriel, le projet démarre difficilement : entre Concorde, le BAC111, le Mercure ou encore le F-28, l'Airbus n'a pas la priorité. Du côté de l'Aerospatiale à Toulouse, il est même mal vu de travailler sur ce nouveau projet : l'avenir c'est Concorde, et pour beaucoup, travailler sur l'Airbus n'est qu'une voie de garage. Pour preuve, le projet de l'Aerospatiale s'appelle le "Galion" mais il est plus connu par son surnom de "grosse Julie".

On notera qu'à cette époque, il n'y a pas de bureau d'étude unifié : chaque partenaire étudie son propre projet, le meilleur étant retenu à la fin…cette méthodologie ne durera pas ! Cependant, l'industrie européenne va s'inspirer des choix de Boeing pour l'Airbus : un fuselage de large section à ailes basse et moteurs installés dans des nacelles sous les ailes. En 1966, le design évolue dans les trois pays vers cette configuration, non pas parce que Boeing l'a retenue, mais parce qu'elle est la mieux optimisée. C'est ainsi que l'avant projet de l'A300 ou Airbus 300 sièges voit le jour à la mi-1966.

Roger Béteille, alias Monsieur Airbus, qui porte sa traditionnelle cravate blanche
Les partenaires vont alors désigner trois hommes clés pour la suite du programme : Roger Béteille devient directeur du programme et représentant de la France, alors que Jim Thorne, directeur de l'usine de Hatfield est nommé représentant de Hawker Siddeley, et enfin Félix Kracht est nommé directeur de Deutsche Airbus. Ces trois hommes partagent une vision européenne de l'aviation, et ils ne quitteront Airbus que pour partir à la retraite ! On peut vraiment les considérer comme les "pères fondateurs" d'Airbus, et leur présence sera un facteur très important de la réussite d'Airbus par la suite. D'autres structures se mettent en place sous la direction de Roger Béteille : une équipe de direction à paris, un groupe technique à Toulouse sous la direction de Paul Ducassé et une équipe de "salesmen" détachés des trois partenaires au sein de la société "Airbus International" crée pour la commercialisation de l'Airbus.

Félix Kracht, autre père fondateur d'Airbus
L'année 1968 est marquée par le combat de Félix Kracht pour trouver une répartition industrielle viable. Tenant compte des enseignements de Concorde, ses règles sont les suivantes :
  • Production en source unique (pas de doublon)
  • Une unique chaîne d'assemblage finale (et non 2 comme Concorde)
  • Des interfaces simples n'impliquant que 2 des partenaires, jamais 3 !
Félix Kracht va se battre pour trouver la bonne répartition et la faire accepter par les partenaires, ce qui n'était pas une mince affaire. Il parvient cependant à une répartition qui sera conservée sur tous les programmes futurs à quelques modifications près :
  • l'avant de l'avion est fabriqué en France (comme sur Concorde)
  • Le fuselage et la queue en Allemagne (comme sur Transall)
  • Les ailes en Angleterre (spécialiste reconnu des voilures complexes !)
Tous les éléments doivent ensuite converger vers Toulouse pour leur assemblage final et la livraison de l'avion au client final.

Le puzzle industriel complet se met en place (ici pour l'A310, mais il était similaire pour l'A300)

Le client final justement : dès 1968, Airbus se rend compte que le confort "spartiate" décrété à la base n'est pas du tout du goût des compagnies, qui veulent un confort "minimum" sans atteindre le luxe des avions d'après-guerre pour autant. Il faut repenser la "grosse Julie" : le poids de l'avion augmente, et la rentabilité par siège diminue : on dépasse alors l'objectif du protocole d'accord !

Les Anglais et Rolls Royce ne se plaignent pas : le moteur RB207 prévu pour Airbus pourra être poussé à 25 tonnes de poussée, bien plus que  le RB-211 prévu pour le Lockheed Tristar…et Rolls espère bien que l'Europe va payer tous les dépassements budgétaires du RB207 et du RB211. Il faut en effet savoir que pour décrocher le contrat de motorisation du Tristar, Rolls à accepté des concessions financières très importantes qui mettent la société au bord de la faillite : le RB207 est vu comme l'occasion de "se refaire" pour Rolls…Or l'état major d'Airbus n'est pas dupe du jeu britannique : tout le programme dépend de ce moteur dont les coûts ne font que grimper : bientôt, Rolls aura l'audace de facturer les deux RB207 de l'Airbus au même prix que les 3 RB211 du Tristar !

Ecorché du RB211 de Rolls qui fera couler tant d'encre...


En 1968, les pouvoirs publics français commencent à être frileux à propos de ce nouvel avion : le gouvernement français s'engage en faveur de Dassault et du Mercure, mais pas d'Airbus. L'efficacité du constructeur privé étant réputé meilleur qu'une société publique, le Mercure commence sa longue route vers sa débâcle. On notera également que 1968 est une année électorale, ce qui ne fait qu'accentuer le problème : Dassault peut financer un parti politique, Sud aviation ne peut pas ! De plus les grèves de 1968 vont retarder tous les jalons prévus pour l'Airbus : seule la partie technique avance ! Il faut même dans l'urgence déménager une partie de l'état-major D'Airbus à Bruxelles pour pouvoir organiser les réunions dans le calme !

Pourtant, les événements de mai 68 vont avoir des conséquences inattendues : Maurice Papon est élu député en juin, et démissionne de son poste de président de Sud -Aviation : pour le remplacer, le gouvernement fait appel à un expert de l'aéronautique : Henri Ziegler. Seul problème : le gouvernement lui demande d'abandonner Airbus et lui ne veut pas, ce qui va retarder sa nomination…un sursis de 6 mois arraché aux forceps va permettre de garder Airbus quelque temps…le temps qu'Henri Ziegler s'installe dans son nouveau fauteuil et remette le projet d'Airbus sur les rails !

Si le Mercure a les faveurs du gouvernement, ce n'est pas le cas d'Airbus...

L'année 1968 est également marqué par ce que les toulousains vont appeler la "trahison anglaise" : la perfide Albion ayant gagné son marché avec Lockheed commence à affirmer sur tous les toits que la coopération européenne n'en vaut pas la chandelle : les compagnies anglaises passent des commandes pour le "TriStar" de Lockheed, mais aucune pour Airbus ! Le climat se détériore, et début 1969, le gouvernement de sa majesté annonce qu'il se retire du projet d'Airbus. Aucune compagnie britannique ne passera commande à Airbus…il faudra attendre 1999 pour que British Airways commande des A320, devenant le premier client anglais d'Airbus !

Rolls se prononce en faveur du Tristar...


Pour ne rien arranger, le marché aéronautique se dégrade très fortement dès 1969 : il y a une surcapacité au sein des compagnies, et les commandes commencent à ralentir…un autre mauvais point pour l'Airbus ! Pourtant, il faut comprendre que tout le monde est touché par cette conjecture, américain compris : Boeing à investi près de 2 milliards de dollars pour produire son nouveau 747…et ses caisses sont vides ! Le géant américain est donc dans l'incapacité de réagir, et les perspectives de l'Airbus étant pour le moins mauvaises, il ne s'intéresse même pas au problème ! Cette erreur va assurer la survie d'Airbus sur le long terme !

Cependant en Europe, c'est la crise : l'Angleterre est partie, la France veut se retirer, ce n'est que l'obstination d'Henri Ziegler qui maintient le bateau à flot, et l'Allemagne ne se voit pas continuer avec des partenaires aussi peu fiables et cherche d'autres alliances. Un rapprochement avec Fokker au Pays-Bas donne naissance à VFW-Fokker, et d'autres rapprochements au sein de l'industrie allemande donnent naissance à MBB, Messerschmitt-Bölkow-Blohm, chacun se lançant dans de nouveaux projets.

Alors même que tout semble perdu, Airbus va renaître de ses cendres...
Ainsi début 1969, on s'attend à un décès rapide de l'Airbus, preuve que les alliances politiques ne marchent pas dès qu'il s'agit de faire du Business…et pourtant, l'Airbus allait quand même voire le jour grâce à l'obstination de ses pères fondateurs…

lundi 18 août 2014

Echec total : les Convair 880 et 990

Vous connaissez tous le Boeing 707, le premier jet moderne intercontinental qui a révolutionné le transport aérien, et vous connaissez sans doute le Douglas DC-8, qui fut son concurrent pendant très longtemps, mais savez vous qu'il existe un troisième appareil aux caractéristiques de vol très similaires ? Retour sur un programme méconnu que son concepteur à préféré oublier parce qu'il a perdu dans l'affaire près du quart de son capital, à savoir un demi-milliard de dollars : cet appareil c'est le Convair 880/990

Un Convair 990 de la Swissair...un appareil extérieurement proche des 707 qu'il ne put jamais remplacer...


Au cours des années 50, la firme Convair était l'une des plus grande de l'industrie américaine, avec à son actif des appareils particulièrement réussis : on pourra citer le F-102 "Delta Dagger" et son cousin, le F-106 "Delta Dart", mais aussi l'imposant B-58 "Hustler", et un peu plus en arrière, l'immense bombardier B-36 "Peacemaker".

Toujours au cours des années 50, après les catastrophes du "Comet", l'industrie américaine se lance dans les jets à fond, donnant naissance chez Boeing au 707 et chez Douglas au DC-8. Convair avait beaucoup de contrat militaire sur les bras, et ne souhaitait pas se lancer dans une aventure civile…pourtant quelques mois plus tard, constatant que toutes les compagnies voulaient des jets, et que Boeing et Douglas avaient du mal à en livrer en quantité suffisante. Howard Hughes, propriétaire de la TWA  y voit une opportunité, et va souffler que ce serait une excellente idée pour Convair de se lancer dans l'aventure. Le 22 mars 1955 a lieu une réunion secrète entre Convair et la TWA pour discuter de l'idée de lancer un long-courrier. Hughes, ingénieur ayant une forte expérience insiste pour contribuer au projet, et sa contribution est le premier clou sur le cercueil qui allait se refermer sur ce nouvel appareil : il y aura des rangées de 5 sièges uniquement…ce qui veut dire que à longueur égale, il y aura une allée de passagers payants en moins qu'un 707 ou DC-8.

Des rangées de 5 sièges...ce sera le plus gros handicap de l'appareil...

Côté Convair, les responsables des programmes militaires sont opposés à tout lancement d'avion civil, estimant que Convair ne pourra jamais rivaliser avec Boeing et Douglas sur le marché civil, mais ils ne sont pas écoutés. Il  faut savoir que Convair traverse aussi une crise de gouvernance : son charismatique président, Jay Hopkins est décédé brutalement quelques mois auparavant et il a été remplacé par Franck Pace, qui n'arrive pas à trancher ni à se faire écouter. La conséquence ne se fait pas attendre : la division "avions civils  décide de se lancer dans l'aventure et de mettre au point son propre avion de ligne long-courrier à réaction. Nous sommes en avril 1956, et l'appareil prend le nom de "Skylark 600", avant d'être redésigné "Golden Arrow" trois mois plus tard. Convair annonce alors triomphalement avoir reçu 30 commandes de la part de la TWA et 10 de la part de Delta : c'est suffisant pour lancer le projet.

Vue éclatée de ce qui allait devenir le Convair 880


Une autre explication sera donnée sur le choix du nom "Golden Arrow" ("flèche dorée") : c'était à la fois pour symboliser la vitesse du nouvel appareil, mais aussi parce que Convair avait décidé d'innover en utilisant un finish doré pour l'appareil, au lieu de l'habituel finish aluminium, à l'aide d'un procédé d'anodisation complexe. Quatre mois après cette annonce, convair fut bien forcé de constater que ce nouveau procédé serait complexe et coûteux sans rien apporter…et l'idée fut mise au placard. Il était cependant trop tard pour certains équipements qui avait déjà été commandés couleur or, ce qui allait jurer sur les nouveaux appareils, mais c'était là un moindre mal…La désignation de "Golden Arrow" sera également abandonné, remplacé par la désignation officielle de "Convair 880", en raison de la vitesse ascensionnelle de l'appareil estimée à 880 pieds par minute.

écorché du Convair 880


Le travail de design commence, avec le choix du moteurs J79, équipant déjà le "Hustler", avec la même disposition que 707 ou le DC-8.

La maintenance sera facilitée par la présence d'une aile basse...


L'appareil semble promis à un bel avenir, mais rapidement, les analystes financiers se rendent compte que le prix de lancement de l'avion de 4,5 millions de dollars couvrait à peine le prix des moteurs et de l'avionique de bord…Cette tentative de dumping de la part de Convair allait donner de très bons résultats..sur le court terme ! Alléchés par un prix de vente aussi bas, de nombreuses commandes vont arriver de la part de KLM, United et American Airlines.

Le prototype du Convair 880 fait son premier vol le 27 janvier 1959. Le programme d'essais en vol se déroula sans problème notable, hormis un incident où le prototype perdit une bonne partie de son gouvernail au cours d'essais de "buffeting". Les quatre prototypes termineront rapidement leurs programmes de vol, le FAA délivrant le certificat de type dès le 1er mai 1959 : l'appareil était une réussite !

Le Convair 880 décolle pour un vol d'essai...


Réussite ou pas : les nuages vont vite arriver au dessus de Convair, et le premier problème va venir de Howard Hughes et de la TWA : La TWA était en difficulté financières, et ne pouvait pas payer ses appareils…Howard Hughes non plus. Pour ne rien arranger, dans un épisode digne d'un feuilleton comique, Hughes va refuser à Convair la permission d'utiliser "ses" avions pour les essais en vol : il va donc…séquestrer ses deux premiers appareils (qu'il n'a pas encore payés !) dans un hangar gardés jour et nuit. En représailles, Convair va cesser le travail sur les 18 exemplaires suivants destinés à la TWA et les remorquer sur le parking de l'usine, où ils seront exposés aux éléments, et vont s'abîmer de semaine en semaine…Finalement, la TWA arrivera à trouver un financement suffisant pour payer ses appareils, et le travail pourra reprendre dessus. Problème cependant : les archives concernant ces 18 appareils ont tout simplement disparues au moment de reprendre le travail, ce qui fait que personne ne sait plus trop quels équipements ont été montés sur tel avion… ils devront tous être entièrement recâblés, le tout à un coût considérable pour un programme qui ne roulait déjà pas sur l'or…

Un salon tel que le proposait Convair à ses clients...


La TWA réceptionne finalement son premier appareil en janvier 1961, avec un an et demi de retard. Ce sera le premier de 27 appareils, soit juste trois de moins que sa commande d'origine ! Delta de son côté aura beaucoup moins de soucis, et pourra même obtenir ses appareils à l'heure, le convoyage de son premier appareil de San Diego à Miami permettra même d'établir un record transcontinental de vitesse, le premier d'une longue série pour le Convair 880 ! Delta va recevoir au final 17 appareils, mais malheureusement pour Convair, aucune autre compagnie américaine ne passera jamais commande du 880… Une autre commande signée avec Capital aurait du aboutir, mais la compagnie en difficulté financière devra renoncer à sa commande.

Une chaîne d'assemblage à plein régime...mais les clients ne se bousculent pas

Un facteur expliquant ce manque d'intérêt est l'arrivée sur le marché d'un nouvel appareil, le Boeing 727, qui va être vendu par Boeing à prix cassé, en capitalisant sur le succès du 707 : le 727 jouait dans la même gamme que le 880, et l'appareil de Convair sera le grand perdant du match.

Un Convair 880 qui va être livré à la TWA au premier plan.

Après ces commandes, Convair mis sur le marché une version modifiée, le 880M en visant le marché à l'étranger. Il s'agit d'une version plus puissante, avec un fuselage rallongé et un train renforcé. Il n'y aura en tout et pour tout que 18 exemplaires de commandés : 9 pour Japan Airlines, 3 pour VIASA, 2 pour Cathay Pacific et d'autres commandes de un ou deux appareils pour des compagnies plus modestes. Malheureusement, la durée de vie de ces appareils sera courte : dès le début des années 70, les premiers appareils commenceront à être revendus ou mis à la retraite en stockage dans le désert de Mojave. Quelques appareils seront rachetés pour faire du fret, mais la plupart seront simplement stockés : les compagnies ne veulent pas d'un appareil peu répandu et avec un fuselage étroit pour transporter du fret ! Le 38ème appareil trouvera cependant une seconde vie : il sera racheté par Elvis Presley et utilisé pour ses tournées, nommé le "Lisa-Marie" en hommage à sa fille. Il se trouve aujourd'hui dans le musée de Graceland. Il s'agit à l'heure actuelle (2014) du seul Convair 880 qui est proprement préservé.

Aux commandes du 880


De manière générale à la fin des années 80, la plupart des Convair 880 ne volaient déjà plus. Il restait moins d'une douzaine d'appareils convertis en avions cargo, dont utilisé par la FAA pour entraîner ses inspecteurs…qui sera d'ailleurs détruits quelques années plus tard dans une explosion…un entrainement qui c'est mal passé sans doute. 65 appareils furent produits, le bilan total du programme s'élevant à 425 millions de dollars…de pertes pour Convair, un échec coûteux. La chaîne d'assemblage ne fonctionnera que pendant à peine trois années !

Malgré une communication agressive, l'appareil n'aura jamais un franc succès...


Pourtant après l'arrivée du 727, Convair avait lancé en première urgence le 880M, mais préparait sa revanche : le Convair 990 était sur la planche à dessins. Utilisant la structure du 880, mais avec des réacteurs à double flux (les premiers jamais montés sur un avion commercial) CJ805 et un fuselage rallongé et une voilure agrandie. Le Convair 990 devait afficher une consommation moins élevée (40% de moins annoncé par le constructeur) et un niveau de bruit moindre, tout en offrant une charge utile plus importante. Mais l'engouement des compagnies ne se faisant pas sentir, Convair va alors être prêt à tout pour placer son nouvel appareil auprès d'une compagnie majeure américaine. C'est ainsi que Convair va reprendre les vieux DC-7 d'American au double de leur valeur, alors qu'ils étaient au bout du rouleau. Pire encore : Convair va vendre le 990 à peine plus cher que le 880 : 4,7 millions de dollars…somme qui ne permettait même pas de couvrir le prix d'un 880 ! American passera ainsi une commande de 25 appareils et ce sera la seule commande significative.
American Airlines aura la seule commande significative...

Pour ne rien arranger, le Convair 990 n'aura pas de prototype : Convair lance la chaîne d'assemblage directement, persuadé qu'avec l'expérience du 880 il n'y aura pas de surprise…hélas, il va y en avoir une et de taille : Le premier appareil vole le 24 janvier 1961 depuis San Diego, et quelques semaines plus tard, lorsque les essais à haute vitesse commencèrent, il apparut rapidement que la trainée de la voilure devenait trop importante : la vitesse maximal n'était que de 935 km/h au lieu des 1000 prévu, mais surtout la surconsommation de carburant était telle que la traversée des Etats-Unis devenait impossible sans escale : un immense retour en arrière ! Pour ne rien arranger, les moteurs extérieurs vibraient et les ailerons étaient en partie inefficaces. L'appareil était un vrai désastre : au lieu de prendre les atouts du 880 pour faire un meilleur appareil, Convair avait fait un appareil moins bien en en prenant tous les défauts.

Particulièrement moches, les carénages des ailes seront le seul moyen de corriger l'aérodynamisme du Convair 990...


American Airlines voulait résilier sa commande, mais avait désespérément besoin d'augmenter ses capacités de transport : elle accepta d'acheter les avions avec leurs défauts, mais du coup son plan de ne l'exploiter qu'en première classe avec un supplément justifié par le silence de l'appareil et sa rapidité tomba à l'eau…

Swissair réceptionna ses 8 appareils à partir de 1962 et en fut satisfait. Ils furent baptisés "Coronado", en référence à une île de l'océan pacifique, et seront utilisés jusqu'en 1975 sur les routes d'Amérique du sud ou d'extrême orient.

Swissair, un des rares clients contents de ses Convair 990...

Convair va alors s'embarquer dans un programme de modernisation pour permettre d'atteindre les spécifications promises : des gros carénages seront installés en arrière des ailes pour donner un meilleur écoulement aérodynamique, même si en fait c'est toute la voilure qu'il aurait fallut refaire. Même avec des modifcations "à minima", ce sera tout de même un programme de 30 millions de dollars, que Convair devra payer de sa poche…pire encore, la capacité "coast to coast" ne sera jamais vraiment réalisée : la forte consommation des moteurs (beaucoup plus que prévu).

Autre vue d'un "Coronado" de la Swissair


Le premier Convair 990 sera mis en service en 1962, et le premier appareil modifié un an plus tard. Les derniers exemplaires de la commande d'American Airlines seront vendus directement à la Garuda et Aerolineas Peruanas au Pérou…Comme le Convair 880, le 990 fut un échec : sa carrière fut brève et ils furent vite revendus à des compagnies charters ou pour du fret. En compéition directe avec le 727 ou le 720 (une version modifiée du 707) de Boeing, l'appareil ne trouva jamais d'autres acheteurs. La compagnie espagnole Spantax racheta d'ailleurs 14 Convair 990, et le dernier vola en 1987. Il n'y eut donc au total que 37 "Coronado" de produits, ce qui faisait un total de 102 appareils si on additionne les 880 et 990 : un échec complet, qui causa la perte de plus d'un demi-milliard de dollars à Convair, à l'époque la plus grosse perte jamais enregistrée par une firme privée…

Bien conçu, mais mal pensé...on pourrait résumer le 880 ainsi...

Ainsi se terminèrent les ambitions de Convair sur le marché du transport aérien civil, qui ne fabriqua plus jamais d'avion de transport civil. Les pertes furent durement ressenties par la société, mais grâce à ses nombreux contrats militaires, la firme à réussi à survivre, et deviendra sous-traitante de Douglas pour la construction de fuselage de DC-10 entre autres. Il reste aujourd'hui assez peu de Convair 880/990 et aucun n'est encore en état de vol. On peut signaler la présence d'un "Coronado" de la Swissair qui est exposé au musée des transports Suisse de Lucerne.

Un appareil qui va finir par disparaître dans l'indifférence générale...