jeudi 12 juin 2014

Le Gulfstream qui se prenait pour une navette spatiale

Quel est la différence entre un Gulfstream et une navette spatiale ? La navette spatiale ne pense pas qu'elle peut voler comme un Gulfstream !

Une descente plutôt sportive pour ne pas dire plus.

Descendre de 8400 mètres au sol en un peu plus d'une minute, avant de se poser, après avoir ouvert les "reverse", inverseurs de poussée, en plein vol, demandez à n'importe quel pilote, il vous dira que le fait de penser à une telle chose est déjà de la folie…et pourtant, pendant plus de trente ans, de nombreux pilotes l'ont fait de manière quasi journalière, à bord d'avion d'affaires modernisés : les STA ou "Shuttle Trainer Aircraft"

Au milieu des années 70, la mise au point de la navette spatiale bat son plein. Rapidement, les ingénieurs de la NASA vont se rendre compte que la phase la plus délicate du vol reste l'atterrissage, et qu'il faut trouver un moyen d'entrainer les pilotes avant le vol, car aucune simulation ne peut reproduire parfaitement les sensations de l'atterrissage.  Il n'est pas question bien sûr d'utiliser une vraie navette pour ces approches, et la NASA pense donc utiliser un de ses appareils qui possède déjà l'avantage de posséder deux cockpits : le Boeing 737 numéro 1.

Le 737 numéro 1...trop cher !


Mais rapidement, la NASA se rend compte que cette solution n'est  pas viable : devant le nombre de vols envisagés, il faudrait au moins trois appareils identiques, et ils voleraient autant que des appareils commerciaux tout en étant soumis à un stress beaucoup plus important. Financièrement, la solution 737 n'est donc pas envisageable, surtout dans un contexte de crise pétrolière et d'envolée du prix du carburant. Il faut trouver autre chose.

Le Gulfstream II


Le choix de la NASA se pose donc sur un jet d'affaire qui pourra "encaisser" des descentes aussi brutales que celles de la navette, tout en étant moins chers de l'heure de vol : le Gulftream II, dont la NASA va acquérir quatre exemplaires qu'il va falloir modifier.

Gulfstream II vs navette...une belle différence de taille


La structure extérieure de l'appareil est renforcée pour survivre à la violence des approches, et le cockpit entièrement reconstruit : toutes les commandes de vol du Gulfstream sont placées à droite pour qu'il soit pilotable à une personne, et une réplique du cockpit de la navette est construite à gauche. Quand je dis réplique, c'est très proche de la vraie navette : la vision est la même, et on trouve une planche de bord et même les sièges de la navette. Les astronautes peuvent s'entrainer en bras de chemise, mais souvent ils s'entrainent en portant la "pumkin suit", la combinaison orange qu'ils utilisent lors de l'atterissage de la navette, afin d'être dans les mêmes conditions  que pour un vrai vol.

Le cockpit du STA, navette à gauche et avion classique à droite (ici avec le cockpit "écrans plats" de la navette).
Les quatre appareils ainsi modifiés sont basés au dépôt d'El Paso, actuelle maison du Super-Guppy de la NASA. L'équipage du STA est au minimum de trois hommes : un pilote, un ingénieur de vol et l'élève, futur pilote ou commandant de navette. Les simulations se font sur la piste de White Sands ou directement sur celle du centre spatial kennedy.

L'entrainement à bord du STA est plus qu'intensif, avant un vol de navette, son commandant aura effectué plus de 800 approches (au minimum !) avec cet appareil d'entrainement, souvent à raison de dix approches par vol, contrairement à la navette qui ne possédant aucun moteur lors de l'approche n'a le droit qu'à un seul essai !

La première mouture du STA utilisait les commandes d'origine de la navette, avec les écrans cathodiques monochromes
En revanche, si la navette à largement été décrite comme une "brique volante", il en va tout autrement du Gulfstream qui possède des qualités de vol très agréables comme on peut s'y attendre d'un avion d'affaire. Manœuvrable et bon planeur, il faut détruire toutes ces qualités pour faire une brique d'un gulfstream !

Pour obtenir cela, il faut avant  d'entamer la descente :

  • Sortir le train principal
  • Actionner les inverseurs de poussée
  • Descendre les volets
Comment transformer un bel avion en brique volante ?

Tout ceci ne prend que quelques secondes, le temps d'actionner quelques boutons. Soudainement votre tête semble plus légère avant que ne débute la descente qui ressemble plus à une chute contrôlée. Le résultat est spectaculaire : il faut neuf minutes de vol pour monter à 9000 mètres et juste une minute pour en descendre…avec une pente sept fois supérieure aux avions commerciaux : presque 20° de descente, le tout à une vitesse de presque 600km/h, c'est un peu effrayant à voir, et pourtant tout est sous contrôle. Un rapide coup d'œil par les hublots latéraux montre l'horizon incliné plus que raisonnable…le manque d'habitude sans doute !


Dans le cockpit, on ne voit plus du tout le ciel, que le sol, et il se rapproche de de seconde en seconde… L'astronaute ne commande pas l'avion directement : ses commandes sont reliées à l'ADAS ou "Advanced Digital Avionics System", un ensemble d'ordinateurs qui reproduisent le modèle de vol de la navette dans les moindres détails. Ils sont couplés au "Direct Lift Control", un calculateur qui commande les reverse des moteurs et les volets lorsque l'avion est en mode "navette". La partie "Shuttle" du cockpit répond ainsi aux sollicitations du pilote, en lui donnant sa vitesse, son altitude et surtout son "HUD", le Head-up Display, afficheur tête haute situé devant le pilote, bien différent d'un modèle d'avion commercial.

En tenue, il ne manqe plus que le casque !


La pente de 20° est ce que l'on appelle l"Outer Glide Slope", c'est une descente directe qui vise un point imaginaire à 2km avant le début de la piste. À 500 mètres du sol, il est temps de redresser : la pente n'est plus que de 1,5° lorsque l'appareil passe à 90 mètres du sol : c'est l'"Inner Glide Slope". 

La roulette avant du STA n'est pas sortie en début de run à cause des contraintes aérodynamiques, mais elle est sortie lorsque l'appareil est à 50 mètres du sol, non pas pour se poser, mais juste pour éviter un accident. Il faut en effet savoir que sur la navette, le cockpit est situé à presque 6 mètres du sol…alors que le cockpit du Gulfstream est situé à 2 mètres à peine. Le STA ne va donc pas se poser, mais va juste "simuler" le Touchdown, en volant au niveau de la piste à 5 mètres du sol, pour donner à l'élève la vue correcte qu'il aura aux commandes du "Shuttle". Si la vitesse est bonne de même que l'altitude, un voyant vert s'allume sur la planche de bord indiquant à l'élève qu'il s'est posé sans casse !


Le STA remonte donc la piste, et lorsque c'est bon, le "vrai" pilote reprend les commandes, rentre les volets et remet les gaz avant de remonter…c'est parti pour un nouveau "run" ! Le STA ne doit normalement jamais se poser lors d'une approche simulée de navette, et lors de chaque vol, l'élève peut faire jusqu'à 10 "run" en mode navette, avant que l'instructeur ne revienne poser l'appareil.

Les quatre appareils utilisés par la NASA étaient : N944NA (sn144), N945NA (sn118), N946NA (sn146) et N947NA (sn 147). Ils sont actuellement en attente de trouver une place dans des musées ou sur des sites de la NASA.

La famille STA au grand complet
Tout au long de leur carrière, les STA ont été basés à El Paso, les équipages de la NASA faisant le déplacement en T-38 pour la journée, le temps de faire une dizaine d'approche, avant de repartir à Houston le soir. Pour des entrainements plus réalistes, la NASA envoyait un STA ou deux au centre spatial Kennedy, permettant ainsi aux astronautes de s'entrainer aussi sur la "vraie" piste de la navette afin de se familiariser avec l'approche et le terrain. C'est ainsi que le dépôt d'El Paso à joué un rôle crucial pour l'entrainement des astronautes tout au long du programme de la navette spatiale, pendant plus de 30 ans. La presse n'en a pas souvent parlé, mais les témoignages de remerciements des astronautes envers le staff d'El paso sont accrochés sur les murs…et il y en a beaucoup ! On estime que les astronautes ont pratiqués près de 100 000 approches depuis les débuts de la navette.

De jour comme de nuit, les équipes de la NASA étaient à pied d’œuvre pour l'entrainement des astronautes

Avec le départ des STA, il ne reste que le Guppy et les T-38 à El Paso

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