lundi 17 mars 2014

Un appareil nommé "Vautour" (1/2)

L'après-guerre en France correspond à un véritable renouveau en matière aéronautique. Après une brève période occupée à terminer des projets d'avant-guerre ou à reprendre des projets allemands, l'industrie aéronautique française va progressivement s'embarquer dans de nouveaux programmes, plus ambitieux, et surtout plus modernes. C'est ainsi qu'en 1951, la SNCASO (Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud Ouest) va s'embarquer dans la réalisation d'un avion d'attaque au sol et de bombardement. Il se nommera le SO4050…mais tout le monde le connait sous le nom de "Vautour"

Le "Vautour", ici un IIB (des Ailes Anciennes Toulouse)


En juin 1951, l'état major de l'armée de l'air passe commande pour un chasseur/bombardier. Bimoteur de fabrication française de préférence, il devra remplir des missions de chasse de nuit, attaque au sol (on ne parlait pas encore "d'appui tactique" à l'époque…

La SNACSO répond présent, et son bureau d'étude dirigé par Jean Charles Parot se met au travail. Ils repartent d'un projet déjà existant : le SO4000, un bombardier moyen dont les études avaient été lancées, mais la commande jamais réalisée.

Le SO4000 sera un fiasco...mais il servira de base pour le SO4050 "Vautour"


Le SO4000 était un projet d'avion entièrement métallique très en avance sur son temps. Il ne sera jamais réalisé, mais deux maquettes de vol seront mises au point : les SO.M1 et SO.M2. L'expérience gagnée avec ces deux maquettes permet à la SNCASO de découvrir les avantages de l'aile en flèche et de se frotter aux problème aérodynamiques inhérents à ce design. Aucune commande ne viendra cependant pour le SO4000 et le projet sera abandonné. Au vu de son besoin de moteurs puissants, il n'est pas sûr que l'appareil aurait eu un grand succès…Pourtant, Parot pense tout de suite à repartir de ce projet lorsqu'il lui faut mettre au point un avion beaucoup plus petit, un bombardier léger d'attaque au sol.

Un avant goût du "Vautour", les moteurs en moins : c'est ainsi que l'on pourrait définir le SO4000

En partant de cette base, Jean Charles Parot va concevoir non pas un appareil, mais plusieurs déclinaisons du même appareil : un fuselage, des moteurs et des ailes communs, avec un nez différent suivant qu'il s'agit d'une version de chasse de nuit ou de bombardement. Les trois modèles ont cependant près de 90% de leurs pièces en commun.

Le moteur choisi est de fabrication française, avec l'aide d'ingénieurs allemands : le SNECMA "Atar" 101, qui n'a encore jamais tourné au banc, mais dont on espère beaucoup. Parot est prudent : en cas de problème, il pourront être substitués par des moteurs américains ou anglais. Le moteur pose cependant problème : les moteurs français sont de technologie inférieure à celle des moteurs britanniques…leur poussée est donc moindre. Qu'importe, il faudra faire avec : la solution nationale prime (la SNCASO étant société publique…certains choix ne sont pas vraiment ouverts à discussion…)

L'ATAR-101 : fiable...mais un peu limité en puissance pour l'appareil...


Finalement, le SO-4050 se déclinera en trois versions :

  • Vautour "A" : version d'attaque au sol, monoplace
  • Vautour "B" : version biplace de bombardement, avec un nez vitré
  • Vautour "N" : version de chasse nocturne (ou tout temps) biplace, équipé d'un radar.
  • Une version Vautour "R" de reconnaissance photo avait été envisagée, mais sera abandonnée par l'état major de l'Armée de l'air.


Présentation du Vautour "N" avec son radar en pointe avant


Les trois versions possèdent cependant une silhouette commune : un grand train principal monotrace (une roulette avant et une roulette arrière), ainsi que des balancines sur les ailes pour donner de la stabilité à l'appareil. La formule retenue est similaire à celle du B-47 américain par exemple, et possède le même défaut : les pilotes veulent poser l'appareil "à plat"…or si le diabolo avant touche le sol avant le diabolo arrière, l'appareil va rebondir sur la piste : une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, on dit aussi un "atterrissage de commandant" en référence au nombre de galons ! Le summum étant l'"atterrissage de colonel", 5 rebonds ! Sans casser l'avion, c'est rare ! Oui, au bout d'un certain nombre de rebond, on peut casser le train…pour un jeune pilote, c'est le début d'une longue journée… Les quatre pneus étaient de typa basse pression, ce qui devait permettre au Vautour d'opérer à partir de pistes sommairement aménagées. Les balancines étant cependant plus fragiles, je ne sais pas si le Vautour aurait tenu longtemps sur ce type de terrain...

Le train atterrissage monotrace est complété par des balancines sous les nacelles moteurs...

L'avantage du train monotrace est qu'il laisse beaucoup de place sous le ventre de l'appareil, ce qui permet de loger une importante soute à bombe (ou roquettes). Les versions "A" et "N" emportaient également quatre canons D.E.F.A. de 30mm. La construction des prototypes est confiée à l'usine de Courbevoie de la SNACSO. Les appareils sont ensuite acheminés démontés par la route jusqu'à Villaroche pour les essais. Le plan prévoit la réalisation de trois prototypes (un de chaque type), numérotés 001, 002 et 003. Ils seront suivis par six avions de présérie numérotés 04 à 09, avant de lancer la production en série.

Octobre 1952, seulement 16 mois après l'émission de la fiche programme, le "Vautour" N.001  (F-ZWRU) décolle de la piste de Melun Villaroche, équipés de deux Atar 101B qui ont été à la hauteur des espoirs placés en eux. Nous sommes le 16 octobre 1952, et Jacques Guignard est en place avant, secondé par Michel rétif en place arrière viennent de faire voler un des premier appareil de conception 100% française (cellule et moteurs…mais il y a tout de même quelques éléments indigènes à bord !). Lors de son 30ème vol, cet appareil deviendra la premier appareil européen à franchir le mur du son en léger piqué !

Les commandes de vol sont classiques avec des servocommandes hydrauliques


Nous sommes encore dans une époque pré-numérique et pré-simulation : l'avion 001 est encore un prototype qui va subir de nombreuses modifications : passage à un pare-brise plan pour une meilleure vision, ajout d'une arête dorsale, ajout de la quille ventrale qui va devenir standard sur Vautour, logement du parachute frein redessiné etc… Ces modifications donneront ainsi naissance au Vautour A, le 002, monoplace, qui effectue son premier vol plus d'un an après, le 16 décembre 1953, avec des ATAR 101C.

Encore une année plus tard, le premier Vautour "B" vole le 5 décembre 1954, ce qui permet de compléter la famille, tout en lançant la réalisation des appareils de pré-série. C'est ainsi qu'entre 1954 et 1955 ce ne sont pas moins de neuf appareils qui vont se partager le programme des essais et de mise au point. Et malgré tout le soin apporté à la conception de l'appareil, plusieurs mauvaises surprises vont se faire jour au niveau aérodynamique : modification de l'empennage, pour une meilleure stabilité à Mach critique, ainsi que le montage de cloison d'ailes plus importants pour améliorer la manœuvrabilité à basse altitude. Ces cloisons d'ailes présentaient la particularité d'être collées, grâce à un nouveau procédé de collage métal/métal, inventé par SNCASO. Ce fut d'ailleurs un semi-échec, plusieurs événements d'arrachage de ces cloisons ayant été signalés par les pilotes.

Plan 3 vue du "Vautour"


Pendant ce temps, le 001 sera essayé par des pilotes des pays de l'OTAN, qui seront favorablement impressionnés…pourtant l'appareil ne décroche aucune commande d'export de la part des pays de l'OTAN. Le 001 aura pourtant une carrière plutôt courte : le 12 décembre 1954, il se pose durement sur la piste de Villaroche, et passera 4 mois en immobilisation…mais le répit sera de courte durée : le 16 mai 1956, l'avion part en vrille à haute altitude…l'équipage s'éjecte mais  l'appareil s'écrase au sol.

L'armement du Vautour était très diversifié.


Les premiers avions de série sortent dès 1956 des usines de la SNCASO, principalement Saint Nazaire, société qui devient Sud Aviation en 1958. Cette même année, le bureau d'étude va introduire une nouvelle forme d'aile : plus de générateurs de tourbillons, des cloisons d'ailes rapprochés du centre du fuselage, et surtout un bord d'attaque très cambré, améliorant la vitesse de décrochage. Cette nouvelle voilure était beaucoup plus stable que l'ancienne, et tous les avions déjà produits durent revenir en usine pour recevoir la nouvelle voilure.

La dérive "monobloc" signe distinctif du Vautour II

L'armée de l'air, même si elle voulait le Vautour, changeait d'avis très souvent quand au nombre et aux modèles à commander : de 300 appareils en 1953, dont 140 en version "N", les restrictions budgétaires touchant la France en 1958 (oui, déjà !) vont faire annuler une bonne partie de la commande : plus de version "A" au-delà de celles déjà livrés, et une commande ramené à 160 exemplaires. Au final, les chaines d'assemblage vont en produire un peu moins que cela : 140 appareils de série, soit un total de 149 Vautour si on compte les prototypes. Le dernier exemplaire sera livré à l'armée de l'air en 1959. Les Vautour "A" seront numérotés 1 à 30, les Vautour "N" de 301 à 370 et enfin les Vautour "B" de 601 à 640.

On notera que cette période 1957 - 1958 correspond à une compression budgétaire très lourde qui va toucher tous les programmes d'armements, à l'exception de ceux des forces stratégiques…le "Vautour" sera cependant maintenu malgré une réduction drastique des commandes, contrairement à d'autres programmes tel le Leduc 022. D'un autre côté, les américains, peu enclins à voir une industrie étrangère concurrencer la leur, vont vendre à la France 200 chasseur F-84F "Thunderstreak", à prix que l'on qualifierait de dumping aujourd'hui…Ainsi équipée, l'armée de l'air n'avait plus besoin de Vautour en si grande quantité…ce sera d'ailleurs la fin du Vautour IIA. Dans le même temps la Belgique qui réfléchissait à une commande de "Vautour" va s'équiper en CF-100 canadien.

L'avant du Vautour "IIB" avec le logement du bombardier, et la vue imprenable vers l'avant...

Grâce à son aile cambrée et son empennage monobloc (modifications valant à l'avion le nom de Vautour II), le Vautour pouvait atteindre la vitesse remarquable pour l'époque de mach 1.2, avec un armement très diversifié : canon ou panier à roquettes, bombes classiques, ainsi que quatre points d'attache sous la voilure, le tout donnant une capacité d'emport de près de 1,8 tonne sous les ailes…et 4 tonnes dans la soute à bombe. L'utilisation de structures en nid d'abeilles permettait d'alléger la structure. L'appareil possédait un excellent rayon d'action, grâce à d'immenses réservoirs d'une capacité de 10 700 litres au total. Cependant tout n'est pas si rose : en réalité les contraintes sont telles qu'il faut choisir entre bombes ou carburant : charge offensive ou rayon d'action…on ne peut pas avoir les deux ! Trois heures d'autonomie sans chargement ou presque…ou armé jusqu'au dents, avec une heure d'autonomie à peine…

Le plafond maximum, dicté par la résistance de la verrière, était de 48 000 pieds tout de même ! Même à cette altitude, l'avion était particulièrement stable, et très agréable à piloter au dire des pilotes. Le pilotage au servo-commandes venait très vite, même pour les pilotes qui avaient toujours connus des appareils classiques à câbles.

Planche de bord du pilote


L'appareil était bien conçu au niveau aérodynamique, mais question équipements, il pêchait d'un certain nombre de défauts de conception impensables aujourd'hui : le bombardement était effectué grâce à..un viseur Norden, héritier des bombardiers américains de la Guerre…d'une précision toute relative à l'ère du radar. Côté équipage, la principale plainte était la climatisation : même à pleine puissance, à haute altitude, la cabine était froide…vraiment froide : un pilote curieux emporta un jour un thermomètre…qui descendit à -17°C pendant le vol. De la même manière rien n'avait été prévu pour les besoins naturels…sur des missions de trois voire quatre heures c'est un peu limite…les équipages se débrouillaient donc avec des sacs en plastiques…posé contre la cloison, le "contenu" gelait en quelques minutes ! Système D quand tu nous tiens…

Dernier problème : les moteurs : malgré tout le soin apporté à leur conception, les ATAR ne pouvaient rivaliser avec les "Avon" britannique : le Vautour était donc sous-motorisé..et ce malgré le fait que l'appareil de pré-série 09 avait été testé avec les "Avon" : il fallait une motorisation "nationale", donc Snecma : seuls une amélioration tardive des ATAR permettra de redonner de la puissance à l'appareil.

Le Vautour "N" sera très apprécié par le CEV

Malgré ces quelques défauts, les Vautour vont jouer un rôle déterminant dans la mise au point des forces aériennes stratégiques, les Vautour B servant d'avion d'entrainement au bombardement pour les futurs équipages de Mirage IV, et les Vautour N servant à la mise au point des procédures de ravitaillement en vol avant l'arrivée de C-135. Dans ce cadre, les Vautour serviront aussi bien de ravitailleur que de ravitaillé, notamment grâce à des nacelles Douglas équipées d'un système de tuyau souple. Les pilotes pourront ainsi s’entraîner sur Vautour, avant de passer sur Mirage IV.

Pour beaucoup de pilotes, le Vautour représentait le nec plus ultra, et des dizaines d'équipages feront leur transformation de moteurs à pistons au réacteur sur cet appareil. L'arrivée du "Vautour" va permettre la mise à la retraite du "Meteor" NF-11 qui équipait plusieurs escadres de chasse à l'époque. C'est en juin 1957 que le 3/30 "Lorraine" sera la première escadre transformée sur "Vautour", bientôt suivi par le 1/30 "Loire" et 2/6 (plus tard 2/30) "Normandie-Niemen".

Essai de ravitaillement d'un Mirage IV par un Vautour


En 1965, l'avion aura les honneurs de la presse lorsqu'un "Vautour" intercepte un F-101 "Voodoo" de l'US Air Force qui s'était "accidentellement perdu" au dessus de l'usine de Marcoule, centre de production de plutonium militaire, cette incursion va créer un incident diplomatique car les pilotes du "Vautour" ont eu tout le loisir d'identifier l'intrus et de le reconduire chez lui…

C'est également en 1965 que l'escadron "Loire" est dissous, et ses "Vautour" seront versés en partie à des unités de calibration, en partie au Centre d'essais en vol et en partie au groupe de marche 85, stationné à Mururoa, sur la base de Hao. Les avions affectés à Mururoa devaient prélever des échantillons de poussières dans les nuages radioactifs juste après un tir nucléaire, ces échantillons permettant de confirmer le bon fonctionnement de l'arme nucléaire.

Plusieurs Vautour sont restés là-bas, immergés dans le lagon au vu de leur radioactivité…le traitement des pilotes de ces appareils fait encore aujourd'hui polémique…

Un vautour "radioactif" à Mururoa...avec ses caissons de prélèvements d'échantillons


La carrière du Vautour IIN en première ligne se termine vers 1973, avec l'arrivée d'appareils plus modernes comme le Mirage F1, et en 1978-79, c'est le retrait des versions IIB. Pourtant le Vautour restera encore de nombreuses années en service pour l'armée de l'air, que ce soit comme banc d'essai volant au CEV ou comme "plastron" remorqueur de cible à Cazaux, ou encore comme avion d'entrainement pour les équipages de bombardiers, et ce jusqu'au milieu des années 80.

Ainsi s'est terminée la carrière de cet appareil de transition fiable et robuste, qui a permis à la France d'aborder des domaines de vol qui ne seront pleinement maîtrisés qu'avec l'arrivée des mirage III, IV et F1…

Pourtant je ne vous ai pas encore tout dit sur le Vautour…j'ai "oublié" le fait que le "Vautour" avait eu une commande à l'export…et le fait que le "Vautour" à connu le baptême du feu…mais ce sera l'objet d'un prochain article

Une retraite bien méritée...

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Savez vous dans quel musée de l'aviation a été rapatrié de l'atoll de Hao en 2000, le Vautour 302 qui était sur une stèle à l'entrée de la base aéroportuaire ?. En effet, j'ai appris que suite à l'arrêt des activités militaires, la municipalité de cet atoll l'avait fait reprendre par la Métropole.
    Très cordialement.
    Michel PELOSO (EVSOM 1977)

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    1. Essayez le musee de Monsieur Pons au chateau de Savigny les beaune en Bourgogne. En dehors du Bourget, c'est certainement le plus important musée de warbirds de l'armée de l'air.
      Il possède 2 vautour (1N et 1B).

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