jeudi 27 mars 2014

Quel avenir pour les boites noires ?

Le 1er juin 2009, le vol AF447 d'Air France s’abîme en mer. Il faudra plus de trois années pour comprendre l'origine de ce crash, qui n'a pu être pleinement élucidé que grâce à la découverte des fameuses "boites noires"

Les "boites noires" que vous connaissez bien, il s'agissait d'ailleurs d'un des premiers article de ce blog.

Les boites noires sont logés dans la queue de l'appareil

Avec la disparition récente du vol MH370 de Malaysia Airline, la question est tout de suite revenue sur le tapis dans les médias et sur les réseaux sociaux : comment, en 2014, peut-on perdre un avion ? Alors que je peux retrouver mon Iphone à distance, un avion de plusieurs centaines de millions de dollars peut se volatiliser purement et simplement ?

La réponse est malheureusement simple : oui, même avec toute la technologie dont nous disposons, un avion complet peut se volatiliser…croire que l'on peut suivre en temps réel tous les avions du monde est une illusion...du moins à l'heure actuelle...

Dans les mois qui ont suivi le crash d'AF447, aussi bien en France qu'aux Etats-Unis , des groupes de travail ont commencé à réfléchir à une question simple : comment éviter de "perdre" un avion sans aucun signal de détresse ?

Une recherche souvent longue et frustrante...


Ces travaux avait duré plusieurs mois et mobilisés de nombreux experts : leur conclusion était unanime : les boites noires, qui ne font qu'enregistrer les principaux paramètres du vol sont devenus archaïques. Dans le cas d'un crash au dessus de la terre ferme, on peut retrouver ces fameuses boites noires facilement dans la plupart des cas…mais dans le cas d'un crash dans l'océan, c'est une autre paire de manche…or nous allons le voir, il existe des pistes d'améliorations, certaines complexes et chères, que l'on ne verra pas de sitôt…mais d'autres qui sont implémentables facilement pour un coût assez modeste…

Pourquoi est-ce que les recommandations concernant le crash de l'AF447 n'ont pas été appliquée ? Tout simplement parce qu'il n'existe aucune réglementation qui a rendu ces recommandations obligatoires ! Face à une dépense importante pour lutter contre un risque qui a un taux d'occurrence faible, les compagnies aériennes ont tendance à ne pas investir...La sécurité des passagers n'a pas de prix…mais malheureusement elle a un coût…

L'enregistreur à bande magnétique a été remplacé sur la plupart des avions en service par des modules mémoires...mais le format de la boite noire n'a pas évolué...


Quelles sont donc les solutions techniques pour éviter une nouvelle disparition de la sorte ?

Face aux différentes options, on peut distinguer deux voire trois axes d'améliorations :

  • Améliorer les boites noire pour pouvoir les retrouver plus facilement
  • Transmettre les données de vol en temps réel à des stations au sol
  • Si par malheur un crash survient quand même, il est important, tant pour les familles que pour l'enquête de retrouver l'épave. Comment dès lors améliorer les moyens de localisation d'une épave ?


Voyons donc d'un peu plus près ce qu'il serait possible de faire :

Amélioration des boites noires

La boite noire sous sa forme actuelle n'a pas connu beaucoup de changement depuis sa conception, même si la cassette a été remplacée par un enregistreur numérique, il s'agit toujours d'un caisson blindé, censé résister à l'eau et au choc d'un crash…l'unique moyen de localisation incorporé est son émetteur à ultrasons d'une durée de vie de 60 jours…ce qui est peu dans le cas d'une disparition en mer…

Malgré son apparence, cette boite noire à joué son rôle...le module mémoire est encore intact !


Serait-il possible d'améliorer le concept des boites noires ? Il s'agit pourtant d'un boitier tout ce qu'il y a de plus résistant : imaginez un peu, il doit résister à une accélération de plus de 3400G pendant 6,5 millisecondes, et supporter un feu de 1100° pendant 30 minutes au minimum. Progressivement les vieilles cassettes sont remplacés par des puces mémoire (comme des clés USB)…mais rien n'est indestructible : il est déjà arrivé que les boites noires soient tellement endommagées qu'aucune donnée exploitable n'a pu en être récupéré (cas de l'A320 du mont Saint Odile, qui témoigne de la violence du choc)...

Est-ce qu'il existe une autre approche ?

La réponse est oui…et l'industrie y planche depuis plus longtemps que vous ne le pensez : cela fait plus de 40 ans que les avions militaires sont équipés de boites noires éjectables (1967 pour être précis). Il existe même des modèles certifiés pour l'aviation civile depuis 1997 ! Le principe de cette boite noire est d'être montée dans un logement du fuselage équipé d'un ressort, et en cas de problème (forte décélération, impact etc..), la boite noire est éjectée de l'appareil. Elle a ainsi de plus grande chance de survie, et surtout elle est équipée d'un flotteur qui l'empêche de couler avec l'épave, ce qui permet de la localiser beaucoup plus rapidement.

L'ELT ou balise de détresse est installée dans l'avion, mais souvent détruite en cas de crash...


Ces "DFIRS" ou "Deployable Flight Incident Recorder Set" sont capables de flotter et possèdent un "ELT" ou "Emergency Locator Transmitter", c'est-à-dire une balise de secours qui envoie un signal radio et/ou satellite pour qu'on puisse la localiser facilement. Avec cet équipement il n'est plus simplement question pour l'enregistreur de survivre au crash, mais bien de l'éviter…quitte à ne pas être au même endroit que l'épave de l'avion…il faut mieux retrouver un enregistreur à 100km du crash que de chercher des milliers de km carrés d'océan pour trouver une épave au fond. Ces enregistreurs sont parfaitement opérationnels, ayant accumulés plusieurs dizaines de milliers d'heures de vol à bord des F-18 "Hornet" voire même à bord des F-104 "Starfighter". Même le F-35 doit recevoir un DFIRS de dernière génération  avec largage électromagnétique en moins de 50ms pour un poids total de 2,25kg. Le DFIRS est plat, et ne dépasse pas du fuselage, il est intégré dans la structure de l'appareil, et se déploie à la manière d'un aérofrein, le tout grâce à une cartouche de gaz ou un ressort, ce qui va le séparer de l'avion et lui permettre de retomber à proximité immédiate du lieu du crash…

Un boitier blindé entoure les cartes mémoire pour les protéger d'un impact trop rude avec le sol…car il arrive que le DFIRS ne se déploie pas avant le crash, il importe donc qu'il soit protégé pour survivre à un crash.

Un DFIRS après crash et avant analyse...


Un DFIR équipé d'un émetteur satellite aurait sans doute permis de clore le dossier du crash de l'AF447 deux années plus tôt..en économisant des millions d'euros au passage…De nombreuses voix s'étaient alors élevées dans la communauté aéronautique pour que ce système soit adapté sur les avions commerciaux pour éviter pareille mésaventure à l'avenir…force est de constater que cela ne fut suivi d'aucun effet…

En 2012, Airbus avait même proposé un système novateur, ne nécessitant aucune électricité ou charge pyrotechnique. L'idée est simple : un enregistreur de vol est posé dans un logement et bloqué par une grille. La grille est conçue de manière à se rompre au-delà d'une certaine force, elle-même calculée en fonction de l'accélération maximale que peut subir l'avion sans dommages. L'enregistreur est ainsi littéralement "arraché" si les contraintes deviennent trop violentes…mais ça ne marche pas dans toutes les positions…un parachute se déploie ensuite pour que l'enregistreur arrive intact au sol.

Un DFIRS pour hélicoptère, avec module mémoire protégé et émetteur radio


Le coût du rétrofit est estimé à entre 25000 et 30000€ par avion pour un enregistreur de vol compatible ED-112 ("Minimum Operational Performance Specification for Crash Protected Airborne Recorder Systems" ou la norme qui spécifie ce que doivent supporter les boites noires), et permet de remplacer une boite noire et une balise de détresse par appareil par un DFIR combinant les deux. Le coût serait sensiblement inférieur pour un enregistreur de vol suivant la norme ED-155 (une norme moins contraignante que la ED-112)

Transmission des données en temps réel

L'autre cheval de bataille qui semble indispensable aujourd’hui, c'est la transmission des données en temps réel…on en parle, mais est-ce faisable ?

La réponse est "ça dépend" : quelles données transmettre ? A quelle fréquence ? Faut-il transmettre une fois par minute ou 10 fois par seconde ?

On peut distinguer trois catégories de données : les données de vol, la piste audio du cockpit et les images vidéo du cockpit (recommandé par les organismes de certification, mais pas obligatoire).

La transmission doit se faire via la liaison satellite de l'avion, déjà utilisée aujourd'hui sur de nombreux vols long-courriers pour que les passagers puissent avoir le WiFi…il suffit de rajouter une liaison montante et un centre de recueillement des données au sol (au siège de la compagnie, par exemple).

L'A350 MSN2 au décollage : la bosse blanche sur le dos abrite l'antenne SATCOM...de plus en plus d'appareils sont équipés...


Les études montrent que pour transmettre une vidéo du poste de pilotage à raison de 4 image par seconde, avec un bon algorithme de compression, il faudrait un débit entre 256 Kbit/s et 8 Mbits/s, ce qui est trop pour les systèmes actuels : il faudrait une antenne directive qui doit bien "viser" le satellite..mais si l'avion bouge soudainement, on risque d'interrompre la liaison…or un appareil va souvent prendre des positions inusuelles avant un crash…ce qui rendrait le système inutile dans bien des cas…

On se heurte au même soucis avec la transmission d'un flux audio depuis le cockpit : il faudrait un débit de 256 Kbit/s pour une piste audio de qualité convenable, le cockpit étant un environnement bruyant.

Quid des données de vol ? On arrive à un niveau de données "raisonnable" pour être transmis en temps réel…disons une fois par seconde. Si on veut transmettre l'intégralité des données de vol, il faut envoyer à peu près 1024 mots, et un débit de 12,3 Kbits/s…on a déjà divisé par 10 le volume de données à transmettre. Si on envie que les 64 mots les plus essentiels, on tombe à 0,8 Kbit/s et si on ne transmet que la position GPS, il ne faut plus que 0,072 Kbits/s…autant dire rien à l'échelle de l'avion…à condition qu'il soit déjà équipé d'une antenne satellite ! Dans le cas contraire il faudrait en installer une, ce qui évidemment à un coût important.

On peut aussi imaginer ne pas transmettre ces données en temps réel, mais uniquement si un événement est détecté (forte accélération, alarme générale, perte d'alimentation électrique etc…) mais les critères de déclenchement sont encore à définir…il y a également un risque que l'antenne ne puisse émettre, si la liaison est interrompue (avion dans une position inusuelle par exemple). Concrètement, le déclenchement sur événement n'est pas mature : il reste encore trop de cas ou l'appareil pourrait disparaître et ne pas envoyer de données…un peu bête.

l'ADS-B permet de connaitre les appareils dans un environnement proche.


Il existe encore une autre technologie qui gagnerait à être utilisée : l'ADS-B. L'ADS-B ou "Automatic Dependent Surveillance-Broadcast" est un système de surveillance coopératif des avions. Par coopératif s'entend chaque avion est équipé

  • soit d'un émetteur radio qui transmet ses données de vol (position GPS, altitude et vitesse une fois par seconde) (ADS-B "out")
  • soit d'un émetteur/récepteur qui transmet les données de vol et reçoit les données de vols des appareils à proximité (ADS-B "in")
Le but de l'ADS-B est de remplacer les radars conventionnels par un système en réseau où les avions communiquent entre eux et avec des stations sol pour un suivi en temps réel. L'équipement est assez simple à monter à bord de l'avion : il se compose d'une unité GPS et d'un transpondeur modifié opérant à 1090MHz. L'ADS-B "in" est plus complexe à installer car il faut traiter les échos renvoyés par les autres avions aux alentours, mais ça ne demande pas de revoir toute l'avionique non plus !

L'ADS-B "out" est très répandu aux Etats-Unis à l'heure actuelle où il deviendra obligatoire en 2020 pour tous les avions commerciaux...mais ce système reste encore facultatif ailleurs dans le monde. Le point faile du système étant qu'il faut être à portée radio d'une station sol équipée d'un décodeur ADS-B pour que ça marche. La généralisation de l'ADS-B "in" permettrait de suivre les appareils au dessus des océans à l'aide des appareils à proximité

Le coût d'implémentation est estimé entre 7000$ et 10000$ pour un système ADS-B "out" par appareil, ou entre 15000$ et 30000$ pour un système ADS-B "in"...prix estimés en 2007, le prix actuel serait sans doute plus élevé....


Localisation de l'épave

AF447 ou MH370 ne sont pas les premières recherches d'envergure en haute mer. On peut citer le cas du vol South African Airways #295 qui s'est écrasé au large de l'île Maurice le 28 novembre 1987. L'épave gisant par 4400 mètres de fond, une seule des deux boites noires sera retrouvée, deux ans après le crash…Dans tous les cas, une fois passé les 60 jours d'autonomie de l'émetteur de la boite noire, c'est la localisation de l'épave qui permet de retrouver les boites noires et non l'inverse...

Il est souvent très difficile de remonter toutes les pièces lors d'un crash en haute mer...

La solution la plus simple est d'augmenter l'autonomie des balises, qui émettent un signal pendant 60 jours au minimum. Forcr les compagnies à utiliser des balises émettant au moins 90 jours donnerait plus de temps aux enquêteurs : lorsque l'on sait que déployer des moyens lourds et des robots sous-marins peut prendre plusieurs jours, on peut comprendre que 30 jours de plus offre une marge supplémentaire. On notera que de telles balises sont déjà commercialisées, mais elles ne sont pas obligatoires…donc peu répandues !

Que faire de plus ? A moyen terme, il y a deux solutions : la première est d'équiper les boites noires d'un émetteur à basse fréquence, et l'autre de ne plus émettre en continu.

Actuellement, les balises émettent un signal périodique en ultrasons à 37,5kHz…le fait de baissser cette fréquence dans la zone des 2 - 10kHz pourrrait permettre de multiplier la portée de détection par 4 sous l'eau, car les ondes à basse fréquence voyagent plus facilement dans l'eau. On pourrait ainsi passer d'une portée de détection de l'ordre de 2km à 8km. Concrètement, cela signifie aussi que pour un appareil qui s'abime vers 3000 mètres de profondeur, il serait possible de localiser les balises depuis la surface, plutôt que de devoir envoyer des robots en profondeur…De tels émetteurs existent déjà : ils étaient utilisés à bord de la navette spatiale américaine par exemple.

L'US Navy dispose d'un sonar remorqué spécial qui permet de repérer le signal des boites noires au fond de l'eau

Améliorer l'autonomie des émetteurs : il faudrait remplacer l'émetteur par un circuit d'écoute : les navires de recherche pourrait alors envoyer une "question" à laquelle la boite noire pourrait "répondre", ce qui consomme beaucoup moins d'énergie : la boite noire n'émet que si un navire lui envoie un signal sur la bonne fréquence. Il n'existe actuellement aucune boite noire de ce type…mais la technologie est assez simple à mettre en œuvre si cette solution est choisie.

Enfin une dernière solution serait une balisa de détresse largable. Elle ne contient pas de données de vol, mais elle flotte à la surface de l'eau et envoie sa position GPS par satellite aux secours. Il s'agit d'un système mature : plusieurs avions militaire disposent de ce genre de balise…mais il faut modifier tous les avions existants avec un "socle" spécifique, permettant d'acceuillir et de larguer si besoin cette balise…mais si on commence à modifier les appareils…pourquoi ne pas l'équiper de boite noires éjectables, ce qui accélérerai encore plus le travail des enquêteurs !


Ce DFIRS a été retrouvé six ans après le crash d'un F-18 "Hornet" américain...il n'aurait jamais été retrouvé si il avait coulé avec l'épave de l'appareil. Sa découverte permettra ainsi d'élucider le crash...


Voilà dans les grandes lignes les différentes technologies qui sont actuellement disponibles pour remplacer ou compléter les boites noires…rien n'empêche de les appliquer, ce n'est qu'un problème de réglementation : si l'EASA et la FAA prennent le problème à bras le corps, et qu'ils sont soutenus par les principales compagnies aériennes mondiales, alors rien n'empêchera de lancer une nouvelle réglementation…espérons que la disparition du vol de Malaysia Airline serve une bonne fois pour toute de leçon : la boite noire classique n'est plus suffisante aujourd'hui; il faut aller plus loin ! Nous le devons aux 467 familles des passagers et membres d'équipage des vols AF447 et MH370.

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