lundi 10 mars 2014

le E-4B : poste de commandement avancé

La 55th Wing de l'US Air Force, basée à Offut AFB dans le Nebraska, dispose de quatre appareils très particuliers. Extérieurement, ils ressemblent à des Boeing 747 classiques…pourtant a y regarder de plus près, ces appareils sont très différents des 747 civils : ce sont des E-4B, connus sous le nom de "NAOC" ou "National Airborne Operation Center"…mais la presse à un autre nom : le "doomsday plane", l'avion de la fin du monde…

Scramble, scramble....


Pour mieux comprendre l'origine de ces appareils et leur rôle, il faut remonter aux années 60 : la course aux armements inquiète les américains, et le risque d'une frappe nucléaire dite "de décapitation" commence à voir le jour : l'ennemi pourrait raser Washington de la carte en quelques minutes, ou détruire les antennes de communication permettant au président de transmettre l'ordre de feu nucléaire : si cet ordre ne peut pas être transmis, tout l'appareil stratégique américain est bloqué…

Pour éviter d'arriver dans une telle situation, il faut un poste de commandement mobile qui ne soit pas menacé par les missiles et bombardiers ennemis…quoi de mieux qu'un avion de transport ! Equipé des meilleurs moyens de communication, il peut assurer la continuité du gouvernement en cas de crise.

Réunion de crise à bord d'un E-4A...heureusement il ne s'agit que d'un exercice...


Le premier de ces appareils sera un EC-135, le fameux "Looking Glass". Plusieurs EC-135N et EC-135J vont assurer l'alerte permanente pendant la guerre froide.

Au début des années 70, l'USAF cherche à remplacer ses EC-135 qui montrent leurs limites comme poste de commandement aéroporté : il faut un avion plus grand que le vénérable 707 : c'est le projet "Nightwatch". En 1973, Boeing fait face à des annulations de commandes, et se retrouve avec deux Boeing 747-200 sur les bras, la compagnie de Seattle va donc les proposer à l'US Air Force comme remplacement des EC-135 comme "NEACP" (prononcé "ni-cap") ou "National Emergency Airborne Command Post". l'USAF passe donc un contrat avec Boeing pour la livraison des deux avions "nu", auquel va s'adjoindre un troisième en juillet 1973. Parallèlement, la société E-Systems gagne le contrat pour équiper les avions.

Le E-4A au décollage...notez l'absence d'antenne satellite sur ce premier modèle


Le premier appareil est livré sur la base d'Andrews en décembre 1974, sous la dénomination de E-4A NEACP. Il reprend en fait les mêmes équipements que les EC-135, tout en offrant plus d'espace et plus d'endurance. Deux autres appareils seront livrés en 1975 au standard E-4A. Ils participeront tous aux missions "Looking Glass" en venant renforcer les EC-135.

L'USAF se rend rapidement compte que les équipements de l'appareil sont déjà vieux et limite obsolète : le département de la défense passe donc commande en 1975 d'un quatrième appareil, toujours un Boeing 747-200, mais qui doit être doté d'équipements beaucoup plus modernes, sous la dénomination E-4B. L'appareil est livré le 21 décembre 1979, portant le serial 75-0125. Extérieurement, il se différencie du E-4A par la présence d'une "bosse" sur le haut du fuselage, abritant une antenne de communication par satellite.

écorché du E-4A...


Les trois autres appareils seront ensuite modifiés au standard E-4B, le dernier étant livré en janvier 1985, le tout pour un coût (estimé) de 250 millions de dollars par appareil

L'E-4B ressemble à un Boeing 747 ordinaire, mais en réalité il bénéficie des meilleures protections possibles, et encore on ne sait pas tout !

Le E-4B possède des moyens de communications redondants et sécurisés couvrant à peu près toutes les fréquences possibles et imaginable, allant de la bande SHF pour son antenne satellite, à la bande ELF lui permettant de communiquer avec les sous-marins.

Le E-4B va subir des essais EMP très poussés...la toile d'araignée au dessus est un générateur d'impulsions électromagnétiques..

Le E-4 est également protégé contre les EMP, les impulsions électromagnétiques, qui peuvent "griller" les circuits électroniques à distance, et qui sont générés par des explosions nucléaires, ou par des générateurs électromagnétique. Pour être le plus "étanche" possible aux radiations, il a fallut transformer le E-4B en véritable cage de faraday, ce qui facile pour le fuselage qui est aluminium, mais a demandé de mettre des "écrans" sur les hublots assurant la continuité électrique (un peu comme sur les vitre des fours à micro-ondes, y compris pour le cockpit. Comme tous les 747-200, l'avion est équipé d'un cockpit classique à cadrans, qui sont également moins susceptibles aux perturbations électromagnétique.

En matière de protection contre les missiles, le E-4B sera également un des premiers appareils à être équipé d'un système de détection de tir de missiles, couplés à un système lance-leurrres pour échapper à d'éventuels missiles portables venus du sol (style SAM 7).

Equipé d'un réceptacle de ravitaillement en vol, l'avion peut rester en l'air tant qu'il reste du lubrifiant pour les moteurs (ou de la nourriture à bord !). Il faut pas moins de deux ravitailleurs KC-135 pour faire le plein de carburant d'un seul E-4B !

Ravitaillement en vol d'un E-4B par un KC-135

Avec un équipage de 48 à 112 personnes par E-4B, avoir tout un 747 peut sembler vaste…et pourtant au vu des équipements électroniques embarqués à bord, il n'y a pas tant de place que cela. L'avion est fortement modifié par rapport à un 747 traditionnel.

L'appareil possède trois niveaux : upper deck, middle deck et lower deck.

L'entrée dans l'avion se fait souvent par le pont inférieur, le lower deck : en effet, derrière les portes cargo avant et arrière typique des 747, il y a un sas avec un escalier intégré, ce qui permet d'éviter de devoir trouver une passerelle lorsque l'on veut accéder à l'appareil.

On débouche ensuite dans les soutes cargo, qui sont utilisés comme soute à équipement électronique. On trouve ainsi tous les panneaux électriques, les réservoirs d'eau potable, les équipements de communications (UHV, VHF, VLF et SHF - Satcom). Le E-4 peut presque communiquer dans toutes les bandes de fréquence existante !

L'accès se fait par une échelle intégrée


Tout à l'arrière se trouve une installation particulière : le treuil de la TWA ou "Trailing Wire Antenna". Il s'agit en réalité d'une antenne remorquée derrière l'avion, le treuil permet de la ranger lorsque l'appareil est au sol ou en phase de décollage/atterrissage. Cette antenne se compose d'un lest en forme de panier qui tire un très long cable, de plus de 8 kilomètres de long. Cette antenne abrite en fait plusieurs dizaines de moyens de communications différents, mais cette longueur impressionnante s'explique surtout par la présence à bord de l'avion d'un émetteur à basse fréquence, capable de communiquer avec les sous-marins en plongée. Un opérateur est assis là pour surveiller le bon fonctionnement de l'antenne.

Robert Gates en pleine conférence à bord du NAOC

Le pont principal est aménagé à la manière d'un véritable bureau mobile : suite de bureau, salles de conférences, etc…On y retrouve tout le confort des poste de commandement terrestre.

Tout à l'avant se trouve la suite du NCA ou "National Command Authority"…concrètement le président des Etats-unis ou un autre VIP qui commande à bord de l'avion. Il y a un bureau, ainsi que des couchettes et un lavabo. Le confort est beaucoup plus spartiate que à bord d'Air Force One, mais les moyens de communications sont beaucoup plus performants.

Bureau du NCA


En quittant la suite, on arrive dans les galleys et l'aire de repos du personnel, semblables aux 747 civils, permettant de préparer des plats pour tout l'équipage. En arrière on trouve une grande salle de réunion pouvant accueillir de dix à quinze personnes.

Un couloir permet de contourner cette salle, ce qui permet de ne pas déranger les réunions. Un peu plus en arrière se trouve une salle de briefing, équipé de sièges, d'un pupitre et d'un système de projection. Cette salle peut accueillir jusqu'à une vingtaine de personnes.

La salle de briefing et son pupitre...

Tout au fond, se trouve une baie vitrée qui sépare la salle de briefing de la salle suivante qui est le "battle staff area" : la salle des opérations de l'avion en quelque sorte. Une quinzaine de consoles sont disposées là, permettant à autant d'opérateurs de travailler dans des conditions similaires à celles que l'on pourrait trouver à terre. Il y a un total de 29 consoles. On retrouve dans cet espace sensiblement les mêmes rôles que à bord du "Looking Glass", mais les opérateurs disposent de beaucoup plus de place.

Encore en arrière, on trouve le central des communications, séparés par une cloison en plexiglas. Ici, des techniciens peuvent surveiller le bon fonctionnement des moyens de communication aussi bien en voix qu'en data (et ils sont nombreux comme je vous le disait plus haut). Il y a à tout moment entre 3 et 6 techniciens de l'USAF dans cette zone pour surveiller les équipements.

Les moyens de communications permettent de joindre presque tout le monde...


Enfin tout à l'arrière se trouve une salle de repos pour l'équipage, avec des sièges et des lits, et aussi des réserves de nourriture (principalement des "MRE" c'est-à-dire des rations de combat. On peut ensuite remonter le long du côté droit de l'appareil où une coursive est aménagée, qui permet de se déplacer sans déranger les opérateurs qui travaillent, pour retourner dans les galleys.

On franchit ensuite l'escalier en colimaçon typique des premier 747, avec le chandelier style 70's au dessus. Une fois en haut, on peut aller vers l'avant dans le cockpit. Il s'agit du cockpit traditionnel, avec toutefois une modification : l'appareil se pilote à 4 : deux pilotes, un mécanicien navigant et un navigateur qui possède sa propre console dans le cockpit, facilitant ainsi le pilotage de l'appareil, de la même manière que sur les VC-25A Air Force One.

Montée au pont supérieur

Plus en arrière, le pont supérieur a été transformé en logement de repos, avec des couchettes et des sièges pour que les membres d'équipage puissent se reposer ou se détendre lors de longues missions, où tout le staff n'a pas besoin d'être en alerte en permanence

La visite en vidéo si vous voulez en savoir plus...

Les "Doomsday planes" ont été mis en service en 1974, opérant depuis la base d'Andrews AFB dans le Maryland, permettant ainsi au président de monter à bord en cas d'alerte (la base est à 10 minutes d'hélicoptère de la Maison Blanche).

Plan de bord de l'appareil


Les appareils étant jugés vulnérables à Andrews, ils seront déménagés vers la base d'Offutt quelques années plus tard, mais jusqu'en 1994, il y avait à tout moment un "kneecap" en alerte à Andrews "au cas où", sous le nom de code "Silver Dollar", ou "Air Force One" dès que le président est à bord. L'appareil est en alerte immédiate ou "cocked" (terme signifiant armé ou prêt à détonner), avec un équipage complet à bord, prêt à partir, tous les systèmes étant déjà démarrés. En cas d'alerte, (on parle aussi de "klaxon launch") il n'y a qu'à lancer les quatre moteurs, débrancher les groupes de parc, et partir.

Parking d'Offutt AFB avec toute la flotte...


Entre la fin de la Guerre Froide et l'adoption du Boeing 747-200 en tant qu'Air Force One, le besoin du "kneecap" et de ses moyens de communication sophistiqué à diminué, et depuis 1994, on ne parle plus de "kneecap", mais du "NAOC" "National Airborne Operation Center", un terme moins guerrier ce qui reflète la nouvelle mission de ces appareils.Bien qu'ils soient encore utilisés comme poste d'alerte, les E-4B servent désormais en tant que transport VIP pour le secrétaire d'état à la défense ou d'autres membres du cabinet lorsqu'ils voyagent de part le monde, l'appareil permettant de rester en communication sécurisée les centres de commandement nationaux à tout moment.

Il est également utilisé par les services d'urgences américains en cas de catastrophe naturelle, où il peut servir de poste de commandement local, opérationnel dès son atterrissage sur les lieux !

PC mobile...dans les airs comme sur terre...


En 2006, Donald Rumsfeld avait annoncé le retrait de la flotte des E-4B pour 2009, décision annulée par son successeur, Robert Gates, deux années plus tard…il est vrai que le E-4B est unique dans l'inventaire de l'USAF, de par ses moyens de communications  hors norme. Les quatre appareils sont toujours opérationnels à Offut, même si ils ne sont plus en alerte permanente, et resteront sans doute encore en service pendant de longues années au vu des moyens de communications hors norme que possèdent ces appareils, qui peuvent servir de poste de commandement mobile (aérien ou au sol) que ce soit en cas de crise nucléaire…ou simplement en cas de catastrophe naturelle.

Takeoff !...

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