jeudi 27 mars 2014

Quel avenir pour les boites noires ?

Le 1er juin 2009, le vol AF447 d'Air France s’abîme en mer. Il faudra plus de trois années pour comprendre l'origine de ce crash, qui n'a pu être pleinement élucidé que grâce à la découverte des fameuses "boites noires"

Les "boites noires" que vous connaissez bien, il s'agissait d'ailleurs d'un des premiers article de ce blog.

Les boites noires sont logés dans la queue de l'appareil

Avec la disparition récente du vol MH370 de Malaysia Airline, la question est tout de suite revenue sur le tapis dans les médias et sur les réseaux sociaux : comment, en 2014, peut-on perdre un avion ? Alors que je peux retrouver mon Iphone à distance, un avion de plusieurs centaines de millions de dollars peut se volatiliser purement et simplement ?

La réponse est malheureusement simple : oui, même avec toute la technologie dont nous disposons, un avion complet peut se volatiliser…croire que l'on peut suivre en temps réel tous les avions du monde est une illusion...du moins à l'heure actuelle...

Dans les mois qui ont suivi le crash d'AF447, aussi bien en France qu'aux Etats-Unis , des groupes de travail ont commencé à réfléchir à une question simple : comment éviter de "perdre" un avion sans aucun signal de détresse ?

Une recherche souvent longue et frustrante...


Ces travaux avait duré plusieurs mois et mobilisés de nombreux experts : leur conclusion était unanime : les boites noires, qui ne font qu'enregistrer les principaux paramètres du vol sont devenus archaïques. Dans le cas d'un crash au dessus de la terre ferme, on peut retrouver ces fameuses boites noires facilement dans la plupart des cas…mais dans le cas d'un crash dans l'océan, c'est une autre paire de manche…or nous allons le voir, il existe des pistes d'améliorations, certaines complexes et chères, que l'on ne verra pas de sitôt…mais d'autres qui sont implémentables facilement pour un coût assez modeste…

Pourquoi est-ce que les recommandations concernant le crash de l'AF447 n'ont pas été appliquée ? Tout simplement parce qu'il n'existe aucune réglementation qui a rendu ces recommandations obligatoires ! Face à une dépense importante pour lutter contre un risque qui a un taux d'occurrence faible, les compagnies aériennes ont tendance à ne pas investir...La sécurité des passagers n'a pas de prix…mais malheureusement elle a un coût…

L'enregistreur à bande magnétique a été remplacé sur la plupart des avions en service par des modules mémoires...mais le format de la boite noire n'a pas évolué...


Quelles sont donc les solutions techniques pour éviter une nouvelle disparition de la sorte ?

Face aux différentes options, on peut distinguer deux voire trois axes d'améliorations :

  • Améliorer les boites noire pour pouvoir les retrouver plus facilement
  • Transmettre les données de vol en temps réel à des stations au sol
  • Si par malheur un crash survient quand même, il est important, tant pour les familles que pour l'enquête de retrouver l'épave. Comment dès lors améliorer les moyens de localisation d'une épave ?


Voyons donc d'un peu plus près ce qu'il serait possible de faire :

Amélioration des boites noires

La boite noire sous sa forme actuelle n'a pas connu beaucoup de changement depuis sa conception, même si la cassette a été remplacée par un enregistreur numérique, il s'agit toujours d'un caisson blindé, censé résister à l'eau et au choc d'un crash…l'unique moyen de localisation incorporé est son émetteur à ultrasons d'une durée de vie de 60 jours…ce qui est peu dans le cas d'une disparition en mer…

Malgré son apparence, cette boite noire à joué son rôle...le module mémoire est encore intact !


Serait-il possible d'améliorer le concept des boites noires ? Il s'agit pourtant d'un boitier tout ce qu'il y a de plus résistant : imaginez un peu, il doit résister à une accélération de plus de 3400G pendant 6,5 millisecondes, et supporter un feu de 1100° pendant 30 minutes au minimum. Progressivement les vieilles cassettes sont remplacés par des puces mémoire (comme des clés USB)…mais rien n'est indestructible : il est déjà arrivé que les boites noires soient tellement endommagées qu'aucune donnée exploitable n'a pu en être récupéré (cas de l'A320 du mont Saint Odile, qui témoigne de la violence du choc)...

Est-ce qu'il existe une autre approche ?

La réponse est oui…et l'industrie y planche depuis plus longtemps que vous ne le pensez : cela fait plus de 40 ans que les avions militaires sont équipés de boites noires éjectables (1967 pour être précis). Il existe même des modèles certifiés pour l'aviation civile depuis 1997 ! Le principe de cette boite noire est d'être montée dans un logement du fuselage équipé d'un ressort, et en cas de problème (forte décélération, impact etc..), la boite noire est éjectée de l'appareil. Elle a ainsi de plus grande chance de survie, et surtout elle est équipée d'un flotteur qui l'empêche de couler avec l'épave, ce qui permet de la localiser beaucoup plus rapidement.

L'ELT ou balise de détresse est installée dans l'avion, mais souvent détruite en cas de crash...


Ces "DFIRS" ou "Deployable Flight Incident Recorder Set" sont capables de flotter et possèdent un "ELT" ou "Emergency Locator Transmitter", c'est-à-dire une balise de secours qui envoie un signal radio et/ou satellite pour qu'on puisse la localiser facilement. Avec cet équipement il n'est plus simplement question pour l'enregistreur de survivre au crash, mais bien de l'éviter…quitte à ne pas être au même endroit que l'épave de l'avion…il faut mieux retrouver un enregistreur à 100km du crash que de chercher des milliers de km carrés d'océan pour trouver une épave au fond. Ces enregistreurs sont parfaitement opérationnels, ayant accumulés plusieurs dizaines de milliers d'heures de vol à bord des F-18 "Hornet" voire même à bord des F-104 "Starfighter". Même le F-35 doit recevoir un DFIRS de dernière génération  avec largage électromagnétique en moins de 50ms pour un poids total de 2,25kg. Le DFIRS est plat, et ne dépasse pas du fuselage, il est intégré dans la structure de l'appareil, et se déploie à la manière d'un aérofrein, le tout grâce à une cartouche de gaz ou un ressort, ce qui va le séparer de l'avion et lui permettre de retomber à proximité immédiate du lieu du crash…

Un boitier blindé entoure les cartes mémoire pour les protéger d'un impact trop rude avec le sol…car il arrive que le DFIRS ne se déploie pas avant le crash, il importe donc qu'il soit protégé pour survivre à un crash.

Un DFIRS après crash et avant analyse...


Un DFIR équipé d'un émetteur satellite aurait sans doute permis de clore le dossier du crash de l'AF447 deux années plus tôt..en économisant des millions d'euros au passage…De nombreuses voix s'étaient alors élevées dans la communauté aéronautique pour que ce système soit adapté sur les avions commerciaux pour éviter pareille mésaventure à l'avenir…force est de constater que cela ne fut suivi d'aucun effet…

En 2012, Airbus avait même proposé un système novateur, ne nécessitant aucune électricité ou charge pyrotechnique. L'idée est simple : un enregistreur de vol est posé dans un logement et bloqué par une grille. La grille est conçue de manière à se rompre au-delà d'une certaine force, elle-même calculée en fonction de l'accélération maximale que peut subir l'avion sans dommages. L'enregistreur est ainsi littéralement "arraché" si les contraintes deviennent trop violentes…mais ça ne marche pas dans toutes les positions…un parachute se déploie ensuite pour que l'enregistreur arrive intact au sol.

Un DFIRS pour hélicoptère, avec module mémoire protégé et émetteur radio


Le coût du rétrofit est estimé à entre 25000 et 30000€ par avion pour un enregistreur de vol compatible ED-112 ("Minimum Operational Performance Specification for Crash Protected Airborne Recorder Systems" ou la norme qui spécifie ce que doivent supporter les boites noires), et permet de remplacer une boite noire et une balise de détresse par appareil par un DFIR combinant les deux. Le coût serait sensiblement inférieur pour un enregistreur de vol suivant la norme ED-155 (une norme moins contraignante que la ED-112)

Transmission des données en temps réel

L'autre cheval de bataille qui semble indispensable aujourd’hui, c'est la transmission des données en temps réel…on en parle, mais est-ce faisable ?

La réponse est "ça dépend" : quelles données transmettre ? A quelle fréquence ? Faut-il transmettre une fois par minute ou 10 fois par seconde ?

On peut distinguer trois catégories de données : les données de vol, la piste audio du cockpit et les images vidéo du cockpit (recommandé par les organismes de certification, mais pas obligatoire).

La transmission doit se faire via la liaison satellite de l'avion, déjà utilisée aujourd'hui sur de nombreux vols long-courriers pour que les passagers puissent avoir le WiFi…il suffit de rajouter une liaison montante et un centre de recueillement des données au sol (au siège de la compagnie, par exemple).

L'A350 MSN2 au décollage : la bosse blanche sur le dos abrite l'antenne SATCOM...de plus en plus d'appareils sont équipés...


Les études montrent que pour transmettre une vidéo du poste de pilotage à raison de 4 image par seconde, avec un bon algorithme de compression, il faudrait un débit entre 256 Kbit/s et 8 Mbits/s, ce qui est trop pour les systèmes actuels : il faudrait une antenne directive qui doit bien "viser" le satellite..mais si l'avion bouge soudainement, on risque d'interrompre la liaison…or un appareil va souvent prendre des positions inusuelles avant un crash…ce qui rendrait le système inutile dans bien des cas…

On se heurte au même soucis avec la transmission d'un flux audio depuis le cockpit : il faudrait un débit de 256 Kbit/s pour une piste audio de qualité convenable, le cockpit étant un environnement bruyant.

Quid des données de vol ? On arrive à un niveau de données "raisonnable" pour être transmis en temps réel…disons une fois par seconde. Si on veut transmettre l'intégralité des données de vol, il faut envoyer à peu près 1024 mots, et un débit de 12,3 Kbits/s…on a déjà divisé par 10 le volume de données à transmettre. Si on envie que les 64 mots les plus essentiels, on tombe à 0,8 Kbit/s et si on ne transmet que la position GPS, il ne faut plus que 0,072 Kbits/s…autant dire rien à l'échelle de l'avion…à condition qu'il soit déjà équipé d'une antenne satellite ! Dans le cas contraire il faudrait en installer une, ce qui évidemment à un coût important.

On peut aussi imaginer ne pas transmettre ces données en temps réel, mais uniquement si un événement est détecté (forte accélération, alarme générale, perte d'alimentation électrique etc…) mais les critères de déclenchement sont encore à définir…il y a également un risque que l'antenne ne puisse émettre, si la liaison est interrompue (avion dans une position inusuelle par exemple). Concrètement, le déclenchement sur événement n'est pas mature : il reste encore trop de cas ou l'appareil pourrait disparaître et ne pas envoyer de données…un peu bête.

l'ADS-B permet de connaitre les appareils dans un environnement proche.


Il existe encore une autre technologie qui gagnerait à être utilisée : l'ADS-B. L'ADS-B ou "Automatic Dependent Surveillance-Broadcast" est un système de surveillance coopératif des avions. Par coopératif s'entend chaque avion est équipé

  • soit d'un émetteur radio qui transmet ses données de vol (position GPS, altitude et vitesse une fois par seconde) (ADS-B "out")
  • soit d'un émetteur/récepteur qui transmet les données de vol et reçoit les données de vols des appareils à proximité (ADS-B "in")
Le but de l'ADS-B est de remplacer les radars conventionnels par un système en réseau où les avions communiquent entre eux et avec des stations sol pour un suivi en temps réel. L'équipement est assez simple à monter à bord de l'avion : il se compose d'une unité GPS et d'un transpondeur modifié opérant à 1090MHz. L'ADS-B "in" est plus complexe à installer car il faut traiter les échos renvoyés par les autres avions aux alentours, mais ça ne demande pas de revoir toute l'avionique non plus !

L'ADS-B "out" est très répandu aux Etats-Unis à l'heure actuelle où il deviendra obligatoire en 2020 pour tous les avions commerciaux...mais ce système reste encore facultatif ailleurs dans le monde. Le point faile du système étant qu'il faut être à portée radio d'une station sol équipée d'un décodeur ADS-B pour que ça marche. La généralisation de l'ADS-B "in" permettrait de suivre les appareils au dessus des océans à l'aide des appareils à proximité

Le coût d'implémentation est estimé entre 7000$ et 10000$ pour un système ADS-B "out" par appareil, ou entre 15000$ et 30000$ pour un système ADS-B "in"...prix estimés en 2007, le prix actuel serait sans doute plus élevé....


Localisation de l'épave

AF447 ou MH370 ne sont pas les premières recherches d'envergure en haute mer. On peut citer le cas du vol South African Airways #295 qui s'est écrasé au large de l'île Maurice le 28 novembre 1987. L'épave gisant par 4400 mètres de fond, une seule des deux boites noires sera retrouvée, deux ans après le crash…Dans tous les cas, une fois passé les 60 jours d'autonomie de l'émetteur de la boite noire, c'est la localisation de l'épave qui permet de retrouver les boites noires et non l'inverse...

Il est souvent très difficile de remonter toutes les pièces lors d'un crash en haute mer...

La solution la plus simple est d'augmenter l'autonomie des balises, qui émettent un signal pendant 60 jours au minimum. Forcr les compagnies à utiliser des balises émettant au moins 90 jours donnerait plus de temps aux enquêteurs : lorsque l'on sait que déployer des moyens lourds et des robots sous-marins peut prendre plusieurs jours, on peut comprendre que 30 jours de plus offre une marge supplémentaire. On notera que de telles balises sont déjà commercialisées, mais elles ne sont pas obligatoires…donc peu répandues !

Que faire de plus ? A moyen terme, il y a deux solutions : la première est d'équiper les boites noires d'un émetteur à basse fréquence, et l'autre de ne plus émettre en continu.

Actuellement, les balises émettent un signal périodique en ultrasons à 37,5kHz…le fait de baissser cette fréquence dans la zone des 2 - 10kHz pourrrait permettre de multiplier la portée de détection par 4 sous l'eau, car les ondes à basse fréquence voyagent plus facilement dans l'eau. On pourrait ainsi passer d'une portée de détection de l'ordre de 2km à 8km. Concrètement, cela signifie aussi que pour un appareil qui s'abime vers 3000 mètres de profondeur, il serait possible de localiser les balises depuis la surface, plutôt que de devoir envoyer des robots en profondeur…De tels émetteurs existent déjà : ils étaient utilisés à bord de la navette spatiale américaine par exemple.

L'US Navy dispose d'un sonar remorqué spécial qui permet de repérer le signal des boites noires au fond de l'eau

Améliorer l'autonomie des émetteurs : il faudrait remplacer l'émetteur par un circuit d'écoute : les navires de recherche pourrait alors envoyer une "question" à laquelle la boite noire pourrait "répondre", ce qui consomme beaucoup moins d'énergie : la boite noire n'émet que si un navire lui envoie un signal sur la bonne fréquence. Il n'existe actuellement aucune boite noire de ce type…mais la technologie est assez simple à mettre en œuvre si cette solution est choisie.

Enfin une dernière solution serait une balisa de détresse largable. Elle ne contient pas de données de vol, mais elle flotte à la surface de l'eau et envoie sa position GPS par satellite aux secours. Il s'agit d'un système mature : plusieurs avions militaire disposent de ce genre de balise…mais il faut modifier tous les avions existants avec un "socle" spécifique, permettant d'acceuillir et de larguer si besoin cette balise…mais si on commence à modifier les appareils…pourquoi ne pas l'équiper de boite noires éjectables, ce qui accélérerai encore plus le travail des enquêteurs !


Ce DFIRS a été retrouvé six ans après le crash d'un F-18 "Hornet" américain...il n'aurait jamais été retrouvé si il avait coulé avec l'épave de l'appareil. Sa découverte permettra ainsi d'élucider le crash...


Voilà dans les grandes lignes les différentes technologies qui sont actuellement disponibles pour remplacer ou compléter les boites noires…rien n'empêche de les appliquer, ce n'est qu'un problème de réglementation : si l'EASA et la FAA prennent le problème à bras le corps, et qu'ils sont soutenus par les principales compagnies aériennes mondiales, alors rien n'empêchera de lancer une nouvelle réglementation…espérons que la disparition du vol de Malaysia Airline serve une bonne fois pour toute de leçon : la boite noire classique n'est plus suffisante aujourd'hui; il faut aller plus loin ! Nous le devons aux 467 familles des passagers et membres d'équipage des vols AF447 et MH370.

lundi 24 mars 2014

L'histoire des commandes de vol électriques (1/3)

Grande question : quel fut le premier appareil équipé de commandes de vol électriques ou "CDVE" ? Vous allez soit me répondre "je ne sais pas" ou "facile, l'A320 !". La deuxième réponse est la bonne mais ce n'est pas si simple que ça. Comme beaucoup d'innovations techniques, il y a eu des essais et des erreurs avant d'arriver à la fiabilité des systèmes actuels. Comment est-on passé d'un système purement mécanique à un véritable système numérique capable de piloter l'avion tout seul (ou presque) ?

Un avion, une révolution ?

Pour mieux comprendre ce que sont les CDVE et d'où elles viennent, il va falloir faire un petit retour en arrière. Des débuts de l'aviation aux années 40, malgré quelques modernisations, le principe des commandes de vol est resté le même : commandes mécaniques à câbles. Dans ce système, le manche du pilote agit sur des câbles, qui via des poulies et renvois, permettent de contrôler les surfaces de vol sur les trois axes. On trouve en outre des commandes de trim permettant d'équilibrer l'avion au neutre, de telle sorte que l'avion reste stable lorsque le pilote lâche le manche. Pour de plus amples renseignements, je vous invite à vous reporter à mon autre blog où je traitais le cas des commandes de vol du Super-Guppy, identique à celles du Stratocruiser et des avions des années 50.

A la fin des années 40, l'apparition des turboréacteurs va faire faire un bond en avant en terme de performance aux avions : on passe d'un régime de vol subsonique à un régime transsonique voire même supersonique à partir de 1947. Or de telles variations de vitesses et d'altitude modifient le comportement des gouvernes : l'avion répond bien près du sol, mais répond moins bien à haute altitude, ou l'inverse. Le Boeing 707 sera le premier équipé de trim (compensateurs) électriques, mais ce sera un échec : trop puissant et mal maitrisé il conduira à des crashs, dont celui du "château de Sully" d'Air France à Orly en 1962.

Les restes du "Chateau de Sully" après son crash, du à un moteur électrique de trim bloqué ayant empêché l'appareil de décoller


L'électricité n'est pas prête, mais c'est l'énergie hydraulique qui va apporter une réponse : les servo-commandes hydrauliques vont apparaitre et vite devenir populaire sur les avions à réactions d'après guerre, comme le Comet, la Caravelle…mais aussi le Vautour, Mystère IV et Mirage III. Dans ce système, le manche du pilote reste le même, et toute la timonerie de commande reste inchangée. En revanche, la timonerie n'est plus connectée à des commandes, mais à des tiroirs d'admission des servo-commandes, qui contrôlent directement les gouvernes. Problème : le pilote ne "sent" plus l'avion. Pour obtenir un sentiment comparable à celui de l'air sur les surfaces mobiles, il faut donc installer un système de retour de force artificiel, donnant au pilote des sensations d'effort correctes.

Sur Caravelle : une timonerie de commande "classique"...
...mais le pilote en réalité ne commande plus les gouvernes, mais des servodynes, constitués de deux vérins montés dos à dos...
...chaque vérin est alimenté par un circuit hydraulique différent....


Les servo-commandes permettent de réduire l'effort musculaire du pilote…mais la timonerie de commandes reste inchangée, et elles ne permettent pas d'améliorer la stabilité de l'avion. Dès 1952, les anglais (bombardier Avro "Vulcan") et canadiens (sur le CF-105 "Arrow") testent des vérins electrohydrauliques en boucle ouverte, et en France, le concept de commandes de vol électrique (CDVE) apparait dès 1955 dans des recherches au STAé (Service Technique de l'Aéronautique).

Mais avant d'aller plus loin, arrêtons nous un instant sur une différence fondamentale entre "commandes électriques", et "commandes de vol électrique CDVE". Les commandes électriques agissent en "boucle ouverte", c'est-à-dire que à chaque déplacement du manche correspond un déplacement des gouvernes, et ce pour tous les domaines de vol. C'est ensuite au pilote de vérifier le comportement de l'avion. Ce système est plus simple, et permet d'éliminer l'encombrante tringlerie des commandes de vol, mais c'est à peu près tout. Dans le cas des CDVE, le déplacement du manche correspond à une consigne (par exemple à un déplacement du manche correspond un facteur de charge) et l'avion maintient cette consigne tant que le pilote n'a pas relâché le manche. Ce système est plus complexe, car du coup pour une même consigne, il faudra un grand déplacement des ailerons à basse altitude et basse vitesse, mais un tout petit débattement obtient le même résultat à haute vitesse et haute altitude : l'avion devient malin, car il sait envoyer un ordre à la gouverne, et vérifier que cet ordre est bien compris et obtient le résultat attendu. Pour le pilote, cela veut dire que le comportement de l'avion ne se sent plus à travers le manche, mais directement à travers les instruments.

Les différents types de commandes de vol.
A : simple assistance hydraulique (Mystère IV)
B : asservissement : le pilote n'a plus directement la main sur les commandes (Brabazon)
C : amélioration de la stabilité (Caravelle)
D amélioration des qualités de vol (Mirage IV)
E : Fly by Wire : CDVE avec système de réversion manuel (Concorde)
F : Fly By Wire total : plus aucun secours mécanique (A320)

Un tel système CDVE permet également d'ajouter des automatismes transparents pour le pilote. Prenons l'exemple d'un avion à voilure delta : à vitesse supersonique, le foyer de portance recule à cause de la formation d'on de de choc, et cela provoque un couple piqueur puissant qu'il faut contrer par la gouverne de profondeur : une compensation automatique facilite le travail du pilote. C'est ainsi que la Mirage IV ou l'Avro Arrow (tout deux conçus à la fin des années 50) ont bénéficié de CDVE avec compensation automatique en profondeur.

En 1962, va avoir lieu une "expérience" sur un Mirage IIIB, le c/n 225 : modifié, l'appareil devient à stabilité variable. Même si il conservait ses commandes hydrauliques, le pilote ne le contrôlait plus directement, mais par l'intermédiaire de calculateurs à loi variables. Il était le fruit des travaux de Gilbert Klopstein, un ingénieur pilote du CEV. Ainsi équipé, l'appareil pouvait simuler d'autres avions, donner l'illusion au pilote que le moteur était haut perché sur le dos, ou haut contraire pendu sous une nacelle bien en deçà du fuselage ! L'appareil était génial et plaisait beaucoup, mais aux dires du général Alain Brossier, il possédait un gros défaut : "il était indispensable  que le "Klop" (Klopstein), lui et personne d'autre, soit à la place arrière, lui seul pouvant jouer de tous les potards (potentiomètres) et bitards (boutons) qu'il y avait installés"…en clair, seul Klopstein savait faire voler l'avion. Il pouvait concocter n'importe quelle loi de pilotage depuis la place arrière, permettant au pilote de voler comme si il était sur Concorde ou sur Mirage IV, voire des avions farfelus !

Le "jouet" de Klopstein : le Mirage IIIB no 225


Les commandes électriques sont nés, et vont d'abord être installé en doublement des commandes mécaniques, avant d'être mise en œuvre seules sur le F-16 en 1974 puis sur le Mirage 2000 en 1978…pourtant, il ne faut pas négliger un autre avion qui sera capital pour la mise au point des CDVE : Concorde. Sur Concorde, les CDVE avaient été choisies en raison de l'échauffement et de la dilatation de la cellule, qui risquait d'empêcher une bonne utilisation des câbles de commandes classique…mais en même temps sera installé un système de secours par câble, permettant une réversion mécanique par câble en cas de pannes des CDVE (le cas de la foudre était particulièrement redouté).

Schéma de principe des commandes de vol électriques de Concorde, avec deux voies : une de commande et une de suivi. Les PFCU (Primary Flying Control Unit) sont les vérins hydrauliques....


Pourtant Concorde n'a pas de calculateurs numériques : de simples calculateurs analogiques, qui répliquent le fonctionnement que l'appareil aurait eu avec une timonerie de commandes "classique", mais dans tous les domaines de vol, car le comportement de Concorde n'était pas du tout le même en subsonique que en supersonique, étant naturellement instable sur ses 3 axes. Le maintien de la stabilité dans le domaine transonique était particulièrement important, à la fois pour le confort et la sécurité de l'avion tout court. On peut ainsi voir les CDVE de Concorde comme un système de compensation automatique ultra-perfectionné. Deux circuits de commande et de surveillance fonctionnent en parallèle, et sont en plus redondés pour assurer la sécurité du système...

Les PFCU de Concorde étaient particulièrement impressionnants... 
....PFCU de Concorde : double corps et double alimentation hydraulique séparées


Le système a déjà bien avancé, mais une autre révolution se prépare : la révolution du numérique...

jeudi 20 mars 2014

Un appareil nommé "Vautour" (2/2)

Nous avons vu précédemment l'histoire du "Vautour" dans l'armée de l'air, qui avait réceptionné un total de 112 Vautour…mais 140 furent produits…que sont devenus les 28 autres ? En réalité l'armée de l'air ne fut pas le seul client  : une autre armée de l'air va utiliser le "Vautour" : c'est l'armée israélienne.

Ce Vautour IIN codé 30-ML est dans les réserves du Bourget est le 330...il a servi plusieurs années dans les forces israéliennes...


Israël est un pays en guerre depuis avant même sa création, qui a sans cesse du lutter pour se procurer les armements les plus modernes malgré des menaces d'embargo plus au moins fortes selon les époques. L'opération "Kadesh', plus connu en France sous le nom de campagne de Suez va servir de véritable électrochoc à l'état major de l'armée israélienne.

L'aviation israélienne à cette période était constituée de chasseur dépassés ou sur le point de l'être : P-51 "Mustang", B-17, Meteor NF-11 et Mosquito, et Dassault "Ouragan". A l'exception de l'Ouragan, tous montrèrent leurs limites lors de cette campagne. Il manque surtout un "jet" d'attaque et de reconnaissance, ainsi qu'un intercepteur nocturne - un nouveau "Mosquito" en somme.

En 1954, le seul appareil disponible était le "Canberra" britannique…mais il manqauit de puissance défensive et de capacité d'emport. Les américains l'avait modifié en donnant naissance au B-57…mais ces derniers ne voulaient pas le vendre au moyen-orient. Juste à cette époque là, apparu le "Vautour" en France, qui répondait au dilemme israélien : un fuselage commun pour une version d'attaque, chasse de nuit et bombardement...

La capacité d'emport du IIN sera très appréciée


Le gouvernement israélien approche le gouvernement français en 1956 à propos de la possibilité d'acheter le "Vautour". En avril, une délégation menée par Danni Shapira arrive visite le CEV de Brétigny et de Mont de Marsan pour évaluer les exemplaires de pré-production du "Vautour". Les israéliens sont satisfaits, et le 21 juin, c'est le colonel Shlomo Lahat, numéro 2 des forces aériennes israéliennes qui fait un vol de familiarisation en "Vautour".

Les négociations avec la SNCASO seront courtes, ce qui laisse suggérer que le gouvernement français était plutôt favorable à la vente de l'appareil. Les négociations ont pourtant lieu dans le secret le plus absolu, l'embargo contre Israël étant en vigeur à cette époque par tous les pays de l'Ouest. Les israéliens demandent en plus une majorité de Vautour IIA, en production et dont la commande a été annulée par l'armée de l'air…ce qui satisfait tout le monde.

Les négociations aboutissent à une offre de la part du gouvernement français : un lot de 18 appareils (12 "A" plus 6 "B") pour un prix de 742 850$ par unité (incluant les pièces de rechange et équipements divers). La commande finale passée en avril 1957 portera sur 28 appareils (17 "IIA", 7 "IIN" et 4 "IIB").

Un Vautour IIA monoplace...le plus rare de la famille...


Ce délai entre le début des négociations et commandes fermes est du aux hésitations d'Israël face à un effort financier aussi important : l'appareil n'est pas encore en service, ses capacités ne sont pas connues avec précision, et il n'est pas de chez Dassault…mais les rapports de Dani Shapira, qui est resté à Mont de Marsan pour évaluer l'appareil plus en détail sont très positifs, incitant Israël à passer commande.

Le total de la commande va s'élever à 20 millions de dollars, pour un total de 31 appareils (dont trois qui furent utilisés par l'armée de l'air avant d'être reversés à Israël plusieurs années après). Le chiffre de 25 est souvent avancé dans les ouvrages spécialisés…mais il est faux…

Les 28 appareils commandés arrivèrent en Israël entre Août 1957 et mars 1959, après entrainement des pilotes et radaristes israéliens à Tour et Saint-Nazaire. Deux escadrilles vont recevoir le "Vautour" en Israël : la 110 "Yehezkel Somekh" et 119 "Yoash Tsiddon"

Le Vautour IIA sera très apprécié par l'armée israélienne


Le premier appareil livré sera un Vautour IIA dont l'armée de l'air ne voulait plus. Il quitte la France le 31 juillet 1957. L'embargo étant toujours en place, il faut garder le secret : l'appareil va donc décoller de Saint-nazaire en pleine nuit, et va mettre le cap sur Bizerte en Tunisie, où il se pose 1h30 plus tard. Il redécolle le lendemain et met le cap sur Israël, avant de se poser à Hatzor le 1er Août 1957 après un vol de 3 heures, mouvementés car le compas est tombé en panne, il a fallut naviguer avec les procédures de secours…

Un groupe de VIP discrets attend l'appareil lorsqu'il arrive au parking, dont le premier ministre en personne, David ben Gourion, arrivé en catimini par une entrée dérobée de la base ! Une fois la petite cérémonie d'arrivée terminée, l'appareil est remorqué dans un hangar isolé, et gardé en permanence...

Pour la petite histoire, les services secrets français avaient donnés aux deux pilotes israéliens des uniformes, tenues de vol et des papiers français, et le Vautour avait été peint aux couleurs françaises de sorte que en cas de déroutement personne n'irait soupçonner que le vol était un vol de convoyage au profit de l'état hébreux…

Le "69"..celui qui est dans les réserves du musée de l'air...


Les vols de convoyage vont ainsi se poursuivre tout au long de l'année 1958, toujours suivant le même principe : départ de nuit dans un appareil aux cocardes tricolores, avec des pilotes en tenue française (mais parlant un français avec un bel accent…), avec une formation de 2 à 4 avions à chaque fois. Durant ces vols de convoyage, il y aura au moins deux interceptions de "Vautour" par des "Sabre" grecques…mais sans suite : les Vautour vont littéralement laisser les "Sabre" sur place à chaque fois…qui ont sans doute du penser avoir affaire à des "Yak 27" soviétiques ressemblant de loin au "Vautour"...

Les derniers appareils livrés seront les Vautour "IIB", les derniers à avoir été construits. Israël aura d'ailleurs le douteux privilège d'avoir le premier exemplaire "IIB" équipé d'une dérive monobloc, le no 616…

Je dis douteux, car le vol va mal se finir…lors de l'arrivée en Israël, une fuite hydraulique va bloquer la dérive, et le système de secours doit lutter contre un vérin bloqué : le pilote réussi à se poser en catastrophe au prix d'un effort surhumain pour manœuvrer la gouverne (la SNCASO dira par la suite que la maneouvrer tenait du miracle)…et l'appareil fait un crash-landing plutôt violent sur le terrain de Tel-Noff…le navigateur en place avant sentait la piste à quelques 20cm sous ses fesses…les deux pilotes sont blessés, mais s'en remettront et l'appareil sera réparé. Il sera remis en service pas loin de 10 mois plus tard.

A peine arrivé...déjà bon pour être réparé...

En revanche, nous sommes le dimanche, et trois Vautour IIB français identiques doivent décoller de Saint-Nazaire le lendemain… potentiellement avec le même défaut. Les équipes israéliennes tentent d'appeler Saint-Nazaire et Mont de Marsan…mais c'est dimanche, il n'y a personne. Le lendemain en début de journée, deux "Vautour IIB", les 616 et 617 s'écraseront à l’atterrissage à cause du même défaut, les quatre membres d'équipage sont tués…(NB : je n'ai qu'une source assez peu précise sur cet événement...si vous en savez plus, faites moi signe !)

Avec ces derniers appareils livrés, Israël est la seule force aérienne à posséder en escadre de première ligne les 3 versions du "Vautour"…pourtant, durant les 8 premiers mois, ils ne sortiront pas de leur hangar. Ce n'est que lorsque le "contrat Vautour" sera rendu public en France en juil(let 1958 que les israéliens pourront enfin les sortir et les déployer en escadrille. Et encore, le communiqué n'est pas exact : il parle seulement d'une dizaine de Vautour "A"…mais évite soigneusement de parler du vautour "N" ou encore "B", vu comme bombardier et donc arme offensive. Les vols de convoyage pourront alors avoir lieu de manière officielle entre la France et l'état hébreu.

Vautour de l'IAF en approche, le train monotrace est bien visible sur cette photo


Les Vautour israéliens seront continuellement modernisés, plus que leurs homologues français : les "B" seront convertis en avion de photo-reconnaissance, par montage d'un pod de caméra, les "N" seront équipés de pod de guerre électronique et aussi pour la photo reconnaissance.

Le "Vautour" va commencer son baptême du feu à partir de 1964 : il va être mis à contribution pour des attaques contre des positions syriennes, emportant une charge de bombe comme auun autre avion ne pouvait le faire dans les forces israéliennes. Il s'illustrera en "dogfight" contre des MiG-17 et s'en sortira brillament. En revanche le Vautour IIN aura moins de succès : les tentatives d'intercepter des Il-28 de nuit seront en partie un échec…même si ce n'est pas que la faute du "Vautour" : la petite taille du territoire israélien donne assez peu de temps pour intercepter des appareils ennemis survolant son territoire : le temps disponible pour accrocher et se rapprocher de la cible était extrêmement court et demandait une extrême concentration de la part des équipages, ce qui explique le faible nombre d'interceptions réussies.

Composants du radar d'interception du IIN


Tout au cours de la décennie, les "Vautour" vont réaliser un nombre de vols impressionnants : sorties opérationnelles, entrainement, conversion, reconnaissance…un rythme de vol très intensif. Il y aura aussi des pertes : 3 pilotes et 10 "Vautour" seront perdus durant cette première décennie d'utilisation…ce qui au final est assez peu face au rythme plus qu'intensif d'utilisation de la flotte.

Le Vautour sera utilisé de manière intensive pour l'éxécution du plan "Moked"…plus connu sous le nom de guerre des six jours. Cette courte guerre fut l'occasion pour Israël d'attaquer ses voisins arabes par surprise, afin de détruire leur aviation au sol, tout en se lançant dans une campagne terrestre permettant de consolider son territoire.

Les "Vautour" de reconnaissance pourront ainsi photographier les aérodromes cibles en Egypte et en Jordanie à de nombreuses reprises, sans être inquiétés, permettant à tsahal de disposer de renseignements de première main pour lancer sa grande attaque.

Deux Vautour IIA en ravitaillement
Les Vautour auront un rôle important dans toute la campagne des six jours; capable de transporter un chargement important et disposant d'un radar de nuit, ils seront très utilisés…mais subiront de lourdes pertes : en plus des 10 appareils déjà perdus, quatre seront très fortement endommagés pendant la guerre des six jours. Cette guerre est vue comme une guerre d'agression en France, oùm le général de Gaulle va décider d'un embargo contre Israël, qui ne pourra plus compter sur l'aide de Sud-Aviation pour remettre ses "Vautour" en état…ce sera le début de la fin.

Plus de maintenance, plus de pièces détachées…Israël aligne en 1968 péniblement 14 Vautour…dont la moitié ne sont pas opérationnels pour des raisons de manque de pièces détachées. Heureusement pour Israël, la relève arrive : les A-4 "Skyhawk" américains entrent en service au début 1968, ce qui permet de reléguer le "Vautour" au second plan. La mission des Vautours se limite ainsi à un rôle d'intercepeur ou d'attaque au sol rapproché. Israël parviendra cependant à "racheter" de manière plus ou moins clandestine 2 Vautours supplémentaires (disons que les bonnes personnes ont fermés les yeux dans l'administration française…).

Le Vautour restera utilisé pour des missions de guerre électronique tout au long de l'année 1970, mais l'heure de la retraite sonne enfin pour ce vieux guerrier : en mars 1972, après presque quinze années de bons et loyaux service, Israël remplace ses derniers Vautour par des F-4 "Phantom" américains, beaucoup plus modernes.

Ainsi se termina la carrière de ce bel avion, qui avait ses défauts, mais était très apprécié de ses équipages pour sa polyvalence, sa solidité et sa fiabilité.

Le Vautour est désormais à la retraite...

lundi 17 mars 2014

Un appareil nommé "Vautour" (1/2)

L'après-guerre en France correspond à un véritable renouveau en matière aéronautique. Après une brève période occupée à terminer des projets d'avant-guerre ou à reprendre des projets allemands, l'industrie aéronautique française va progressivement s'embarquer dans de nouveaux programmes, plus ambitieux, et surtout plus modernes. C'est ainsi qu'en 1951, la SNCASO (Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud Ouest) va s'embarquer dans la réalisation d'un avion d'attaque au sol et de bombardement. Il se nommera le SO4050…mais tout le monde le connait sous le nom de "Vautour"

Le "Vautour", ici un IIB (des Ailes Anciennes Toulouse)


En juin 1951, l'état major de l'armée de l'air passe commande pour un chasseur/bombardier. Bimoteur de fabrication française de préférence, il devra remplir des missions de chasse de nuit, attaque au sol (on ne parlait pas encore "d'appui tactique" à l'époque…

La SNACSO répond présent, et son bureau d'étude dirigé par Jean Charles Parot se met au travail. Ils repartent d'un projet déjà existant : le SO4000, un bombardier moyen dont les études avaient été lancées, mais la commande jamais réalisée.

Le SO4000 sera un fiasco...mais il servira de base pour le SO4050 "Vautour"


Le SO4000 était un projet d'avion entièrement métallique très en avance sur son temps. Il ne sera jamais réalisé, mais deux maquettes de vol seront mises au point : les SO.M1 et SO.M2. L'expérience gagnée avec ces deux maquettes permet à la SNCASO de découvrir les avantages de l'aile en flèche et de se frotter aux problème aérodynamiques inhérents à ce design. Aucune commande ne viendra cependant pour le SO4000 et le projet sera abandonné. Au vu de son besoin de moteurs puissants, il n'est pas sûr que l'appareil aurait eu un grand succès…Pourtant, Parot pense tout de suite à repartir de ce projet lorsqu'il lui faut mettre au point un avion beaucoup plus petit, un bombardier léger d'attaque au sol.

Un avant goût du "Vautour", les moteurs en moins : c'est ainsi que l'on pourrait définir le SO4000

En partant de cette base, Jean Charles Parot va concevoir non pas un appareil, mais plusieurs déclinaisons du même appareil : un fuselage, des moteurs et des ailes communs, avec un nez différent suivant qu'il s'agit d'une version de chasse de nuit ou de bombardement. Les trois modèles ont cependant près de 90% de leurs pièces en commun.

Le moteur choisi est de fabrication française, avec l'aide d'ingénieurs allemands : le SNECMA "Atar" 101, qui n'a encore jamais tourné au banc, mais dont on espère beaucoup. Parot est prudent : en cas de problème, il pourront être substitués par des moteurs américains ou anglais. Le moteur pose cependant problème : les moteurs français sont de technologie inférieure à celle des moteurs britanniques…leur poussée est donc moindre. Qu'importe, il faudra faire avec : la solution nationale prime (la SNCASO étant société publique…certains choix ne sont pas vraiment ouverts à discussion…)

L'ATAR-101 : fiable...mais un peu limité en puissance pour l'appareil...


Finalement, le SO-4050 se déclinera en trois versions :

  • Vautour "A" : version d'attaque au sol, monoplace
  • Vautour "B" : version biplace de bombardement, avec un nez vitré
  • Vautour "N" : version de chasse nocturne (ou tout temps) biplace, équipé d'un radar.
  • Une version Vautour "R" de reconnaissance photo avait été envisagée, mais sera abandonnée par l'état major de l'Armée de l'air.


Présentation du Vautour "N" avec son radar en pointe avant


Les trois versions possèdent cependant une silhouette commune : un grand train principal monotrace (une roulette avant et une roulette arrière), ainsi que des balancines sur les ailes pour donner de la stabilité à l'appareil. La formule retenue est similaire à celle du B-47 américain par exemple, et possède le même défaut : les pilotes veulent poser l'appareil "à plat"…or si le diabolo avant touche le sol avant le diabolo arrière, l'appareil va rebondir sur la piste : une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, on dit aussi un "atterrissage de commandant" en référence au nombre de galons ! Le summum étant l'"atterrissage de colonel", 5 rebonds ! Sans casser l'avion, c'est rare ! Oui, au bout d'un certain nombre de rebond, on peut casser le train…pour un jeune pilote, c'est le début d'une longue journée… Les quatre pneus étaient de typa basse pression, ce qui devait permettre au Vautour d'opérer à partir de pistes sommairement aménagées. Les balancines étant cependant plus fragiles, je ne sais pas si le Vautour aurait tenu longtemps sur ce type de terrain...

Le train atterrissage monotrace est complété par des balancines sous les nacelles moteurs...

L'avantage du train monotrace est qu'il laisse beaucoup de place sous le ventre de l'appareil, ce qui permet de loger une importante soute à bombe (ou roquettes). Les versions "A" et "N" emportaient également quatre canons D.E.F.A. de 30mm. La construction des prototypes est confiée à l'usine de Courbevoie de la SNACSO. Les appareils sont ensuite acheminés démontés par la route jusqu'à Villaroche pour les essais. Le plan prévoit la réalisation de trois prototypes (un de chaque type), numérotés 001, 002 et 003. Ils seront suivis par six avions de présérie numérotés 04 à 09, avant de lancer la production en série.

Octobre 1952, seulement 16 mois après l'émission de la fiche programme, le "Vautour" N.001  (F-ZWRU) décolle de la piste de Melun Villaroche, équipés de deux Atar 101B qui ont été à la hauteur des espoirs placés en eux. Nous sommes le 16 octobre 1952, et Jacques Guignard est en place avant, secondé par Michel rétif en place arrière viennent de faire voler un des premier appareil de conception 100% française (cellule et moteurs…mais il y a tout de même quelques éléments indigènes à bord !). Lors de son 30ème vol, cet appareil deviendra la premier appareil européen à franchir le mur du son en léger piqué !

Les commandes de vol sont classiques avec des servocommandes hydrauliques


Nous sommes encore dans une époque pré-numérique et pré-simulation : l'avion 001 est encore un prototype qui va subir de nombreuses modifications : passage à un pare-brise plan pour une meilleure vision, ajout d'une arête dorsale, ajout de la quille ventrale qui va devenir standard sur Vautour, logement du parachute frein redessiné etc… Ces modifications donneront ainsi naissance au Vautour A, le 002, monoplace, qui effectue son premier vol plus d'un an après, le 16 décembre 1953, avec des ATAR 101C.

Encore une année plus tard, le premier Vautour "B" vole le 5 décembre 1954, ce qui permet de compléter la famille, tout en lançant la réalisation des appareils de pré-série. C'est ainsi qu'entre 1954 et 1955 ce ne sont pas moins de neuf appareils qui vont se partager le programme des essais et de mise au point. Et malgré tout le soin apporté à la conception de l'appareil, plusieurs mauvaises surprises vont se faire jour au niveau aérodynamique : modification de l'empennage, pour une meilleure stabilité à Mach critique, ainsi que le montage de cloison d'ailes plus importants pour améliorer la manœuvrabilité à basse altitude. Ces cloisons d'ailes présentaient la particularité d'être collées, grâce à un nouveau procédé de collage métal/métal, inventé par SNCASO. Ce fut d'ailleurs un semi-échec, plusieurs événements d'arrachage de ces cloisons ayant été signalés par les pilotes.

Plan 3 vue du "Vautour"


Pendant ce temps, le 001 sera essayé par des pilotes des pays de l'OTAN, qui seront favorablement impressionnés…pourtant l'appareil ne décroche aucune commande d'export de la part des pays de l'OTAN. Le 001 aura pourtant une carrière plutôt courte : le 12 décembre 1954, il se pose durement sur la piste de Villaroche, et passera 4 mois en immobilisation…mais le répit sera de courte durée : le 16 mai 1956, l'avion part en vrille à haute altitude…l'équipage s'éjecte mais  l'appareil s'écrase au sol.

L'armement du Vautour était très diversifié.


Les premiers avions de série sortent dès 1956 des usines de la SNCASO, principalement Saint Nazaire, société qui devient Sud Aviation en 1958. Cette même année, le bureau d'étude va introduire une nouvelle forme d'aile : plus de générateurs de tourbillons, des cloisons d'ailes rapprochés du centre du fuselage, et surtout un bord d'attaque très cambré, améliorant la vitesse de décrochage. Cette nouvelle voilure était beaucoup plus stable que l'ancienne, et tous les avions déjà produits durent revenir en usine pour recevoir la nouvelle voilure.

La dérive "monobloc" signe distinctif du Vautour II

L'armée de l'air, même si elle voulait le Vautour, changeait d'avis très souvent quand au nombre et aux modèles à commander : de 300 appareils en 1953, dont 140 en version "N", les restrictions budgétaires touchant la France en 1958 (oui, déjà !) vont faire annuler une bonne partie de la commande : plus de version "A" au-delà de celles déjà livrés, et une commande ramené à 160 exemplaires. Au final, les chaines d'assemblage vont en produire un peu moins que cela : 140 appareils de série, soit un total de 149 Vautour si on compte les prototypes. Le dernier exemplaire sera livré à l'armée de l'air en 1959. Les Vautour "A" seront numérotés 1 à 30, les Vautour "N" de 301 à 370 et enfin les Vautour "B" de 601 à 640.

On notera que cette période 1957 - 1958 correspond à une compression budgétaire très lourde qui va toucher tous les programmes d'armements, à l'exception de ceux des forces stratégiques…le "Vautour" sera cependant maintenu malgré une réduction drastique des commandes, contrairement à d'autres programmes tel le Leduc 022. D'un autre côté, les américains, peu enclins à voir une industrie étrangère concurrencer la leur, vont vendre à la France 200 chasseur F-84F "Thunderstreak", à prix que l'on qualifierait de dumping aujourd'hui…Ainsi équipée, l'armée de l'air n'avait plus besoin de Vautour en si grande quantité…ce sera d'ailleurs la fin du Vautour IIA. Dans le même temps la Belgique qui réfléchissait à une commande de "Vautour" va s'équiper en CF-100 canadien.

L'avant du Vautour "IIB" avec le logement du bombardier, et la vue imprenable vers l'avant...

Grâce à son aile cambrée et son empennage monobloc (modifications valant à l'avion le nom de Vautour II), le Vautour pouvait atteindre la vitesse remarquable pour l'époque de mach 1.2, avec un armement très diversifié : canon ou panier à roquettes, bombes classiques, ainsi que quatre points d'attache sous la voilure, le tout donnant une capacité d'emport de près de 1,8 tonne sous les ailes…et 4 tonnes dans la soute à bombe. L'utilisation de structures en nid d'abeilles permettait d'alléger la structure. L'appareil possédait un excellent rayon d'action, grâce à d'immenses réservoirs d'une capacité de 10 700 litres au total. Cependant tout n'est pas si rose : en réalité les contraintes sont telles qu'il faut choisir entre bombes ou carburant : charge offensive ou rayon d'action…on ne peut pas avoir les deux ! Trois heures d'autonomie sans chargement ou presque…ou armé jusqu'au dents, avec une heure d'autonomie à peine…

Le plafond maximum, dicté par la résistance de la verrière, était de 48 000 pieds tout de même ! Même à cette altitude, l'avion était particulièrement stable, et très agréable à piloter au dire des pilotes. Le pilotage au servo-commandes venait très vite, même pour les pilotes qui avaient toujours connus des appareils classiques à câbles.

Planche de bord du pilote


L'appareil était bien conçu au niveau aérodynamique, mais question équipements, il pêchait d'un certain nombre de défauts de conception impensables aujourd'hui : le bombardement était effectué grâce à..un viseur Norden, héritier des bombardiers américains de la Guerre…d'une précision toute relative à l'ère du radar. Côté équipage, la principale plainte était la climatisation : même à pleine puissance, à haute altitude, la cabine était froide…vraiment froide : un pilote curieux emporta un jour un thermomètre…qui descendit à -17°C pendant le vol. De la même manière rien n'avait été prévu pour les besoins naturels…sur des missions de trois voire quatre heures c'est un peu limite…les équipages se débrouillaient donc avec des sacs en plastiques…posé contre la cloison, le "contenu" gelait en quelques minutes ! Système D quand tu nous tiens…

Dernier problème : les moteurs : malgré tout le soin apporté à leur conception, les ATAR ne pouvaient rivaliser avec les "Avon" britannique : le Vautour était donc sous-motorisé..et ce malgré le fait que l'appareil de pré-série 09 avait été testé avec les "Avon" : il fallait une motorisation "nationale", donc Snecma : seuls une amélioration tardive des ATAR permettra de redonner de la puissance à l'appareil.

Le Vautour "N" sera très apprécié par le CEV

Malgré ces quelques défauts, les Vautour vont jouer un rôle déterminant dans la mise au point des forces aériennes stratégiques, les Vautour B servant d'avion d'entrainement au bombardement pour les futurs équipages de Mirage IV, et les Vautour N servant à la mise au point des procédures de ravitaillement en vol avant l'arrivée de C-135. Dans ce cadre, les Vautour serviront aussi bien de ravitailleur que de ravitaillé, notamment grâce à des nacelles Douglas équipées d'un système de tuyau souple. Les pilotes pourront ainsi s’entraîner sur Vautour, avant de passer sur Mirage IV.

Pour beaucoup de pilotes, le Vautour représentait le nec plus ultra, et des dizaines d'équipages feront leur transformation de moteurs à pistons au réacteur sur cet appareil. L'arrivée du "Vautour" va permettre la mise à la retraite du "Meteor" NF-11 qui équipait plusieurs escadres de chasse à l'époque. C'est en juin 1957 que le 3/30 "Lorraine" sera la première escadre transformée sur "Vautour", bientôt suivi par le 1/30 "Loire" et 2/6 (plus tard 2/30) "Normandie-Niemen".

Essai de ravitaillement d'un Mirage IV par un Vautour


En 1965, l'avion aura les honneurs de la presse lorsqu'un "Vautour" intercepte un F-101 "Voodoo" de l'US Air Force qui s'était "accidentellement perdu" au dessus de l'usine de Marcoule, centre de production de plutonium militaire, cette incursion va créer un incident diplomatique car les pilotes du "Vautour" ont eu tout le loisir d'identifier l'intrus et de le reconduire chez lui…

C'est également en 1965 que l'escadron "Loire" est dissous, et ses "Vautour" seront versés en partie à des unités de calibration, en partie au Centre d'essais en vol et en partie au groupe de marche 85, stationné à Mururoa, sur la base de Hao. Les avions affectés à Mururoa devaient prélever des échantillons de poussières dans les nuages radioactifs juste après un tir nucléaire, ces échantillons permettant de confirmer le bon fonctionnement de l'arme nucléaire.

Plusieurs Vautour sont restés là-bas, immergés dans le lagon au vu de leur radioactivité…le traitement des pilotes de ces appareils fait encore aujourd'hui polémique…

Un vautour "radioactif" à Mururoa...avec ses caissons de prélèvements d'échantillons


La carrière du Vautour IIN en première ligne se termine vers 1973, avec l'arrivée d'appareils plus modernes comme le Mirage F1, et en 1978-79, c'est le retrait des versions IIB. Pourtant le Vautour restera encore de nombreuses années en service pour l'armée de l'air, que ce soit comme banc d'essai volant au CEV ou comme "plastron" remorqueur de cible à Cazaux, ou encore comme avion d'entrainement pour les équipages de bombardiers, et ce jusqu'au milieu des années 80.

Ainsi s'est terminée la carrière de cet appareil de transition fiable et robuste, qui a permis à la France d'aborder des domaines de vol qui ne seront pleinement maîtrisés qu'avec l'arrivée des mirage III, IV et F1…

Pourtant je ne vous ai pas encore tout dit sur le Vautour…j'ai "oublié" le fait que le "Vautour" avait eu une commande à l'export…et le fait que le "Vautour" à connu le baptême du feu…mais ce sera l'objet d'un prochain article

Une retraite bien méritée...

lundi 10 mars 2014

le E-4B : poste de commandement avancé

La 55th Wing de l'US Air Force, basée à Offut AFB dans le Nebraska, dispose de quatre appareils très particuliers. Extérieurement, ils ressemblent à des Boeing 747 classiques…pourtant a y regarder de plus près, ces appareils sont très différents des 747 civils : ce sont des E-4B, connus sous le nom de "NAOC" ou "National Airborne Operation Center"…mais la presse à un autre nom : le "doomsday plane", l'avion de la fin du monde…

Scramble, scramble....


Pour mieux comprendre l'origine de ces appareils et leur rôle, il faut remonter aux années 60 : la course aux armements inquiète les américains, et le risque d'une frappe nucléaire dite "de décapitation" commence à voir le jour : l'ennemi pourrait raser Washington de la carte en quelques minutes, ou détruire les antennes de communication permettant au président de transmettre l'ordre de feu nucléaire : si cet ordre ne peut pas être transmis, tout l'appareil stratégique américain est bloqué…

Pour éviter d'arriver dans une telle situation, il faut un poste de commandement mobile qui ne soit pas menacé par les missiles et bombardiers ennemis…quoi de mieux qu'un avion de transport ! Equipé des meilleurs moyens de communication, il peut assurer la continuité du gouvernement en cas de crise.

Réunion de crise à bord d'un E-4A...heureusement il ne s'agit que d'un exercice...


Le premier de ces appareils sera un EC-135, le fameux "Looking Glass". Plusieurs EC-135N et EC-135J vont assurer l'alerte permanente pendant la guerre froide.

Au début des années 70, l'USAF cherche à remplacer ses EC-135 qui montrent leurs limites comme poste de commandement aéroporté : il faut un avion plus grand que le vénérable 707 : c'est le projet "Nightwatch". En 1973, Boeing fait face à des annulations de commandes, et se retrouve avec deux Boeing 747-200 sur les bras, la compagnie de Seattle va donc les proposer à l'US Air Force comme remplacement des EC-135 comme "NEACP" (prononcé "ni-cap") ou "National Emergency Airborne Command Post". l'USAF passe donc un contrat avec Boeing pour la livraison des deux avions "nu", auquel va s'adjoindre un troisième en juillet 1973. Parallèlement, la société E-Systems gagne le contrat pour équiper les avions.

Le E-4A au décollage...notez l'absence d'antenne satellite sur ce premier modèle


Le premier appareil est livré sur la base d'Andrews en décembre 1974, sous la dénomination de E-4A NEACP. Il reprend en fait les mêmes équipements que les EC-135, tout en offrant plus d'espace et plus d'endurance. Deux autres appareils seront livrés en 1975 au standard E-4A. Ils participeront tous aux missions "Looking Glass" en venant renforcer les EC-135.

L'USAF se rend rapidement compte que les équipements de l'appareil sont déjà vieux et limite obsolète : le département de la défense passe donc commande en 1975 d'un quatrième appareil, toujours un Boeing 747-200, mais qui doit être doté d'équipements beaucoup plus modernes, sous la dénomination E-4B. L'appareil est livré le 21 décembre 1979, portant le serial 75-0125. Extérieurement, il se différencie du E-4A par la présence d'une "bosse" sur le haut du fuselage, abritant une antenne de communication par satellite.

écorché du E-4A...


Les trois autres appareils seront ensuite modifiés au standard E-4B, le dernier étant livré en janvier 1985, le tout pour un coût (estimé) de 250 millions de dollars par appareil

L'E-4B ressemble à un Boeing 747 ordinaire, mais en réalité il bénéficie des meilleures protections possibles, et encore on ne sait pas tout !

Le E-4B possède des moyens de communications redondants et sécurisés couvrant à peu près toutes les fréquences possibles et imaginable, allant de la bande SHF pour son antenne satellite, à la bande ELF lui permettant de communiquer avec les sous-marins.

Le E-4B va subir des essais EMP très poussés...la toile d'araignée au dessus est un générateur d'impulsions électromagnétiques..

Le E-4 est également protégé contre les EMP, les impulsions électromagnétiques, qui peuvent "griller" les circuits électroniques à distance, et qui sont générés par des explosions nucléaires, ou par des générateurs électromagnétique. Pour être le plus "étanche" possible aux radiations, il a fallut transformer le E-4B en véritable cage de faraday, ce qui facile pour le fuselage qui est aluminium, mais a demandé de mettre des "écrans" sur les hublots assurant la continuité électrique (un peu comme sur les vitre des fours à micro-ondes, y compris pour le cockpit. Comme tous les 747-200, l'avion est équipé d'un cockpit classique à cadrans, qui sont également moins susceptibles aux perturbations électromagnétique.

En matière de protection contre les missiles, le E-4B sera également un des premiers appareils à être équipé d'un système de détection de tir de missiles, couplés à un système lance-leurrres pour échapper à d'éventuels missiles portables venus du sol (style SAM 7).

Equipé d'un réceptacle de ravitaillement en vol, l'avion peut rester en l'air tant qu'il reste du lubrifiant pour les moteurs (ou de la nourriture à bord !). Il faut pas moins de deux ravitailleurs KC-135 pour faire le plein de carburant d'un seul E-4B !

Ravitaillement en vol d'un E-4B par un KC-135

Avec un équipage de 48 à 112 personnes par E-4B, avoir tout un 747 peut sembler vaste…et pourtant au vu des équipements électroniques embarqués à bord, il n'y a pas tant de place que cela. L'avion est fortement modifié par rapport à un 747 traditionnel.

L'appareil possède trois niveaux : upper deck, middle deck et lower deck.

L'entrée dans l'avion se fait souvent par le pont inférieur, le lower deck : en effet, derrière les portes cargo avant et arrière typique des 747, il y a un sas avec un escalier intégré, ce qui permet d'éviter de devoir trouver une passerelle lorsque l'on veut accéder à l'appareil.

On débouche ensuite dans les soutes cargo, qui sont utilisés comme soute à équipement électronique. On trouve ainsi tous les panneaux électriques, les réservoirs d'eau potable, les équipements de communications (UHV, VHF, VLF et SHF - Satcom). Le E-4 peut presque communiquer dans toutes les bandes de fréquence existante !

L'accès se fait par une échelle intégrée


Tout à l'arrière se trouve une installation particulière : le treuil de la TWA ou "Trailing Wire Antenna". Il s'agit en réalité d'une antenne remorquée derrière l'avion, le treuil permet de la ranger lorsque l'appareil est au sol ou en phase de décollage/atterrissage. Cette antenne se compose d'un lest en forme de panier qui tire un très long cable, de plus de 8 kilomètres de long. Cette antenne abrite en fait plusieurs dizaines de moyens de communications différents, mais cette longueur impressionnante s'explique surtout par la présence à bord de l'avion d'un émetteur à basse fréquence, capable de communiquer avec les sous-marins en plongée. Un opérateur est assis là pour surveiller le bon fonctionnement de l'antenne.

Robert Gates en pleine conférence à bord du NAOC

Le pont principal est aménagé à la manière d'un véritable bureau mobile : suite de bureau, salles de conférences, etc…On y retrouve tout le confort des poste de commandement terrestre.

Tout à l'avant se trouve la suite du NCA ou "National Command Authority"…concrètement le président des Etats-unis ou un autre VIP qui commande à bord de l'avion. Il y a un bureau, ainsi que des couchettes et un lavabo. Le confort est beaucoup plus spartiate que à bord d'Air Force One, mais les moyens de communications sont beaucoup plus performants.

Bureau du NCA


En quittant la suite, on arrive dans les galleys et l'aire de repos du personnel, semblables aux 747 civils, permettant de préparer des plats pour tout l'équipage. En arrière on trouve une grande salle de réunion pouvant accueillir de dix à quinze personnes.

Un couloir permet de contourner cette salle, ce qui permet de ne pas déranger les réunions. Un peu plus en arrière se trouve une salle de briefing, équipé de sièges, d'un pupitre et d'un système de projection. Cette salle peut accueillir jusqu'à une vingtaine de personnes.

La salle de briefing et son pupitre...

Tout au fond, se trouve une baie vitrée qui sépare la salle de briefing de la salle suivante qui est le "battle staff area" : la salle des opérations de l'avion en quelque sorte. Une quinzaine de consoles sont disposées là, permettant à autant d'opérateurs de travailler dans des conditions similaires à celles que l'on pourrait trouver à terre. Il y a un total de 29 consoles. On retrouve dans cet espace sensiblement les mêmes rôles que à bord du "Looking Glass", mais les opérateurs disposent de beaucoup plus de place.

Encore en arrière, on trouve le central des communications, séparés par une cloison en plexiglas. Ici, des techniciens peuvent surveiller le bon fonctionnement des moyens de communication aussi bien en voix qu'en data (et ils sont nombreux comme je vous le disait plus haut). Il y a à tout moment entre 3 et 6 techniciens de l'USAF dans cette zone pour surveiller les équipements.

Les moyens de communications permettent de joindre presque tout le monde...


Enfin tout à l'arrière se trouve une salle de repos pour l'équipage, avec des sièges et des lits, et aussi des réserves de nourriture (principalement des "MRE" c'est-à-dire des rations de combat. On peut ensuite remonter le long du côté droit de l'appareil où une coursive est aménagée, qui permet de se déplacer sans déranger les opérateurs qui travaillent, pour retourner dans les galleys.

On franchit ensuite l'escalier en colimaçon typique des premier 747, avec le chandelier style 70's au dessus. Une fois en haut, on peut aller vers l'avant dans le cockpit. Il s'agit du cockpit traditionnel, avec toutefois une modification : l'appareil se pilote à 4 : deux pilotes, un mécanicien navigant et un navigateur qui possède sa propre console dans le cockpit, facilitant ainsi le pilotage de l'appareil, de la même manière que sur les VC-25A Air Force One.

Montée au pont supérieur

Plus en arrière, le pont supérieur a été transformé en logement de repos, avec des couchettes et des sièges pour que les membres d'équipage puissent se reposer ou se détendre lors de longues missions, où tout le staff n'a pas besoin d'être en alerte en permanence

La visite en vidéo si vous voulez en savoir plus...

Les "Doomsday planes" ont été mis en service en 1974, opérant depuis la base d'Andrews AFB dans le Maryland, permettant ainsi au président de monter à bord en cas d'alerte (la base est à 10 minutes d'hélicoptère de la Maison Blanche).

Plan de bord de l'appareil


Les appareils étant jugés vulnérables à Andrews, ils seront déménagés vers la base d'Offutt quelques années plus tard, mais jusqu'en 1994, il y avait à tout moment un "kneecap" en alerte à Andrews "au cas où", sous le nom de code "Silver Dollar", ou "Air Force One" dès que le président est à bord. L'appareil est en alerte immédiate ou "cocked" (terme signifiant armé ou prêt à détonner), avec un équipage complet à bord, prêt à partir, tous les systèmes étant déjà démarrés. En cas d'alerte, (on parle aussi de "klaxon launch") il n'y a qu'à lancer les quatre moteurs, débrancher les groupes de parc, et partir.

Parking d'Offutt AFB avec toute la flotte...


Entre la fin de la Guerre Froide et l'adoption du Boeing 747-200 en tant qu'Air Force One, le besoin du "kneecap" et de ses moyens de communication sophistiqué à diminué, et depuis 1994, on ne parle plus de "kneecap", mais du "NAOC" "National Airborne Operation Center", un terme moins guerrier ce qui reflète la nouvelle mission de ces appareils.Bien qu'ils soient encore utilisés comme poste d'alerte, les E-4B servent désormais en tant que transport VIP pour le secrétaire d'état à la défense ou d'autres membres du cabinet lorsqu'ils voyagent de part le monde, l'appareil permettant de rester en communication sécurisée les centres de commandement nationaux à tout moment.

Il est également utilisé par les services d'urgences américains en cas de catastrophe naturelle, où il peut servir de poste de commandement local, opérationnel dès son atterrissage sur les lieux !

PC mobile...dans les airs comme sur terre...


En 2006, Donald Rumsfeld avait annoncé le retrait de la flotte des E-4B pour 2009, décision annulée par son successeur, Robert Gates, deux années plus tard…il est vrai que le E-4B est unique dans l'inventaire de l'USAF, de par ses moyens de communications  hors norme. Les quatre appareils sont toujours opérationnels à Offut, même si ils ne sont plus en alerte permanente, et resteront sans doute encore en service pendant de longues années au vu des moyens de communications hors norme que possèdent ces appareils, qui peuvent servir de poste de commandement mobile (aérien ou au sol) que ce soit en cas de crise nucléaire…ou simplement en cas de catastrophe naturelle.

Takeoff !...