jeudi 15 août 2013

La fin du vol KAL007

Le major Gennady Osipovich était furieux…en attendant la permission du contrôle de la défense aérienne d'ouvrir le feu, il venait de dépasser sa cible…Quelques secondes plus tard, il reçoit l'ordre : détruire l'objectif…aussitôt il tourne en piquant vers le bas…avant de remonter en allumant le radar de tir de son Sukhoi 15. Il ne lui en faut pas plus pour accrocher sa cible, qui est peu agile et ne peut pas lui échapper…Il presse deux fois la détente, lançant deux missiles AA-3.

Un Sukoi 15, prêt à tirer




Nous sommes le 1er septembre 1983, et le vol Korean Air 007, reliant New-York à Seoul vient de se faire abattre. Malgré les deux impacts de missiles, il restera en vol encore 12 longues minutes, pendant que les pilotes essayent désespérément de reprendre le contrôle de l'avion, avant que ce dernier ne parte en vrille avant de s'abîmer dans l'océan.

La mort du vol Korean Air 007 est l'un des évènements les plus grave de la Guerre Froide, qui sans atteindre le paroxysme de la crise de Cuba a profondément tendu les relations américano-soviétique. 269 passagers seront tués ce jour là, dont un sénateur américain de Géorgie, Lawrence McDonald.

Dans les jours suivant la disparition du vol, l'URSS va nier l'incident, jusqu'à ce que les américains publient des interceptions d'écoutes montrant que le vol avait été intercepté. Dans un second temps, l'URSS reconnaitra le fait, mais prétendra que l'appareil était un avion espion envoyé la pour photographier les installations militaires de la région. Le discours de Ronald Reagan à la télévision parlant de "massacre" et "d'acte de barbarie" ne fera rien pour calmer le jeu : pour l'Ouest, les faits étaient clairs : un appareil civil en perdition avait été abattu de sang froid par un chasseur soviétique, sur ordre du Kremlin.

L'appareil de Korean Air était un Boeing 747


Et si…et si la vérité n'était pas aussi simple ?

Retour sur ce qui s'est (probablement) passé ce soir là.

Le vol KAL 007 avait décollé de New-York, se posant pour un bref stop en Alaska vers 4h du matin. Après avoir redécollé d'Anchorage, il se dirige vers un "waypoint", un point de référence de navigation, situé à Bethel en Alaska. L'appareil ne passe pas à la verticale, mais 18km plus au nord. Au fur et à mesure que le temps passe, l'écart entre la route planifiée et la position  réelle de l'appareil ne cesse d'augmenter, sans que les pilotes ne remarquent de problème. Arrivé au point de contrôle suivant, l'appareil accuse déjà un décalage de 150 km !

Le résultat, c'est que l'appareil passe beaucoup plus au nord que prévu, et rentre dans l'espace aérien soviétique au dessus de la péninsule du Kamchatka au cap 245. Il va rester sur ce cap…et en territoire aérien soviétique pendant plus de 5 heures, avant d'être abattu par un Su-15 envoyé pour l'intercepter.

La première observation que l'on peut faire sur cet évènement, c'est que le réseau de défense anti-aérienne soviétique, le "PVO", n'a pas du tout réagi comme il devait. Pendant plus de 5 heures, le vol KAL 007 a volé, tous feux allumés, transpondeur allumé, en ligne droite dans l'espace aérien soviétique…sans aucun problème. Le système conçu pour détecter en quelques minutes le moindre bombardier américain qui franchirait les frontières soviétiques à basse altitude a mis plus de 5 heures à repérer un Boeing 747 croisant à 10000 mètres sans aucune protection. Cela en dit long sur l'état de délabrement du système soviétique à cette époque.

L'appareil espion, le vrai : un RC-135 d'écoute électronique, chargé de "sonder" les frontières soviétiques
Dans la longue liste des erreurs et confusions de cette soirée, on pourra citer le fait qu'un "vrai" avion espion, un RC-135, se trouvait sur zone ce soir là…et sa présence  proximité a ajouté à la confusion des contrôleurs soviétiques.

Au bout de quatre heures de vol, l'appareil pénètre l'espace aérien interdit au dessus du Kamchatka…4 Mig-23 décollent pour l'intercepter, mais dans la nuit et mal guidés par le PVO, les pilotes doivent faire demi-tour sans avoir intercepté l'intrus.

Après le Kamchatka, le 747 survole l'île de Sakaline…nouvelle tentative d'interception, par le major Osipovitch et ses coéquipiers. Ils ont nerveux : un exercice de tir de missile est prévu dans la journée, mais la présence des américains en gêne la préparation. Malgré leurs appels sur les fréquences de détresse, aucune réponse n'est reçue…les pilotes ne surveillaient pas les fréquences.

Quelques minutes plus tard, le contrôle des vols de Tokyo demande à  KAL 007 de monter à 35000 pieds…les pilotes perçoivent le changement d'altitude comme une manœuvre évasive, et l'appareil est classé comme "RC-135 hostile". C'est le début de la fin pour KAL 007.

Le major Osipovitch, qui était aux commandes du Su-15

Les interceptions faites par les américains permettront de connaitre les circonstances du crash quelques heures après…pourtant l'Union Soviétique va annoncer par voie de presse et voie diplomatique qu'ils ont forcé l'avion à sortir de leur territoire sans recourir à la force, et que tout accident n'est pas de leur fait.

Ronald Reagan intervient à la télévision quelques jours après et dénonce un meurtre de sang froid…expliquant qu'un Boeing 747 ne peut pas être confondu avec un avion espion. Nous savons aujourd'hui que c'est ce qui s'est passé : Osipovitch, dans le noir et le feu de l'action n'a pas reconnu un 747, mais la version militaire du 707…cette erreur aura couté la vie à tous les passagers du vol

Le 9 septembre, le maréchal Nikolai Ogarkov, chef d'état-major de l'armée soviétique, va tenir une grande conférence de presse diffusée dans le monde entier où il va expliquer l'affaire, justifiant la réponse soviétique par le fait que "RC-135 ou Boeing 747, l'avion était clairement un avion espion"…et les documents déclassifiés depuis cette date tendent à montrer que ce discours n'était pas pure propagande, mais bien le point de vue des dirigeants soviétiques : l'appareil aurait été délibérément mis en danger pour recueillir des renseignements sur les défenses soviétiques, et en cas d'incident, les américains pouvait lancer une campagne mondiale antisoviétique...

Le maréchal Ogarkov lors de sa conférence de presse


Le fait que les américains ont précisément fait cela n'a fait que renforcer la paranoïa soviétique.

En 1992, Boris Elstine, dans un souci d'apaiser les tensions, rendra publique les transcriptions radio de la défense aérienne ainsi que les boites noires qui avaient été récupérées, ce qui nous a permis d'en apprendre plus sur le drame, et ainsi répondre à la fameuse question : comment KAL 007 à pu dévier autant de sa route sans que personne ne s'en aperçoive ?

La réponse se trouve au niveau du pilote automatique, ou plutôt au niveau de l'interaction entre le pilote automatique et les pilotes.

Sur le Boeing 747, le pilote automatique possède deux modes principaux : un mode dit "heading" (ou cap) dans lequel l'avion maintient un cap donné, et le mode "INS - Inertial Navigation System", système de navigation inertiel , qui guide l'avion le long de "waypoint", point de parcours dont les coordonnées sont rentrées avant le vol.

KAL 007 aurait du suivre une route selon la procédure INS, en suivant une route balisé par 10 "Waypoint" lui permettant de contourner le territoire soviétique…mais l'analyse du vol montre que l'appareil est resté dans le mode "heading" qu'il avait juste après le décollage, continuant au cap 245 et au milieu du territoire soviétique.

Comment expliquer que le pilote automatique n'ait pas changé de mode ? Nous ne le saurons jamais, mais il existe deux hypothèses : soit les pilotes ont oublié de changé de mode, soit l'avion était trop loin e sa route, et le mode "INS" ne s'est pas enclenché. Il faut en effet savoir que le mode INS ne s'active que si l'appareil est à moins de 10km du "waypoint" le plus proche…si l'avion était plus loin, le pilote auto est resté en mode "heading".

Ce problème est d'ailleurs arrivé des dizaines de fois avec des 747 de plusieurs nationalités, mais ça n'avait jamais provoqué mort d'hommes auparavant…le vol KAL 007 n'aura pas de chance, son pilote automatique l'emmenant au cœur du territoire soviétique, où il sera abattu sans sommation.

Trajectoire prévue et trajectoire réelle du vol KAL 007


Une tentative de repêchage de débris organisée par l'US Navy, dont les bâtiments seront harassés par les soviétiques, ne donnera rien de probant.

Le secret entourant cette disparition, ainsi que l'absence de preuves matérielles va, comme souvent, favoriser les théories du complot. On verra ainsi, au fil des ans, surgir plusieurs théories "alternatives" : l'avion était véritablement un avion espion, et des passagers auraient survécus et seraient encore emprisonnés quelque part. Aucune preuve irréfutable ne vient appuyer ces théories, mais elles persistent encore à l'heure actuelle. On notera également la théorie selon laquelle l'appareil ne serait pas du tout à l'endroit supposé, mais reposerait en mer du Japon, après avoir été abattu par un chasseur japonais (théorie de Michel brun…que je ne partage pas, mais n'hésitez pas à vous faire votre propre opinion !)

On sait cependant que l'appareil est resté en vol une douzaine de minutes après l'impact des missiles, mais rien ne prouve que l'appareil ait réussi à survivre, malgré l'absence d'épave retrouvée (mais n'oublions pas non plus que américains et japonais n'ont pas pu approcher le lieu du crash).

En l'absence de preuve du contraire, l'avion et ses passagers reposent toujours au fond de l'océan, et aucun relevage n'est prévu. Les passagers du vol KAL 007 sont devenus victimes collatérales de la Guerre Froide en cette nuit de septembre 1983. Ne les oublions pas

Le sénateur Lawrence MacDonald, une des 269 victimes du vol KAL 007

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