lundi 5 août 2013

Air Force One : un Boeing nommé SAM 26000

Trouver un avion à réaction fiable et digne du président des Etats-Unis n'est pas chose facile. Le choix se portera sur le VC-137 (ou commercialement : Boeing 707). Le 1254th Wing, qui gère les missions VIP, appelées SAM pour Special AirForce Mission demande donc l'acquisition de trois Boeing 707.


Maquette des nouveaux Boeing 707, encore aux couleurs du MATS



C'est alors qu'une polémique va éclater au sein de l'état major de l'USAF : le général Curtiss leMay, tout puissant patron du SAC estime que puisque le SAC gère déjà les avions ravitailleurs KC-135, autant qu'il gère aussi les 707…ce qui n'est pas du goût du général Tunner, le patron du Military Air Transport Service (MATS) qui gère les missions SAM. Le chef d'état-major de l'Air Force finira par donner raison au MATS après d'âpres négociations…et la formation des pilotes du MATS se fera par le SAC, le May n'avait pas tout perdu…

Le tout puissant général le May


Le premier pilote transformé sur VC-137 (dénomination militaire du Boeing 707) sera le capitaine Ralph Albertazzie…destiné à devenir pilote présidentiel de Richard Nixon quelques années plus tard. Il réceptionne donc le premier 707 gouvernemental chez Boeing à Renton le 12 mai 1959, le 58-6970, qui sera plus connu sous le nom de SAM970. Il sera rejoint par deux autres appareils identiques, SAM971 et SAM972, pour un coût de 6,5 millions de dollars par appareil…hors customisation VIP !

L'introduction du 707 va amener de grands changements au sein du SAM. Auparavant, il était d'usage d'affecter un appareil pour un voyage, même si celui-ci devait rester au sol plusieurs jours à l'étranger…hors avec des Boeing 707 qui coûtent beaucoup plus chers (et qui sont très sollicités) il faut planifier les missions, et dorénavant ce ne sont plus les pilotes, mais bien le quartier général des SAM qui gère le planning. On en arrive rapidement à des situations ubuesques, tel Ralph Albertazzie qui un jour doit se rendre à Londres pour emmener un officiel, puis doit se dépêcher de rentrer à Washington, pour emmener un sénateur dans le Missouri, avant de retourner à Londres rechercher l'officiel qu'il avait laissé deux jours auparavant…il faudra un peu de temps avant de parvenir à une rationalisation plus sensée de la gestion de la flotte VIP.

Ike descend de SAM970 à l'issue d'un voyage

Evidemment, il n'en va pas de même pour le président, qui dispose en permanence d'un avion à sa disposition en cas de besoin, avec le Colombine jouant la doublure en cas de souci sur le grand jet. Eisenhower appréciait beaucoup le 707, et l'utilisera beaucoup durant la dernière année de sa présidence. La décoration extérieure reprend celle des appareils du MATS de l'époque : un finish aluminium avec des bandes rouges au niveau du nez et de la dérive.

Kennedy descend de SAM970

John Kennedy arrive au pouvoir en janvier 1961, et le SAM lui affecte un nouvel appareil, un DC-6, le 53-3240, qui sera baptisé de manière officieuse le "Caroline II". Mais Kennedy prenait un 707, dès qu'i l le pouvait, ne gardant le DC-6 que pour de courts trajets entre Boston et Washington. Il nomme le colonel James Swindal comme pilote présidentiel.

Le colonel James Swindal et le président Kennedy

Conscient que le commandant en chef à besoin de son propre 707, l'USAF va finalement céder et commander un autre Boeing, cette fois à l'usage exclusif du président. Ce nouvel appareil sera le 62-6000 (c/n 20630) ou SAM26000. Il s'agit d'un Boeing 707 intercontinental (707-320B), propulsé par des JT3D-3B, version amélioré du SAM970. Il peut utiliser des pistes plus courtes, et possède une autonomie de 10500km, soit 3500 de plus que SAM970. Il ne possède qu'un défaut : son aménagement est obsolète : le président possède en effet une suite à l'arrière de l'appareil, alors que les passagers sont à l'avant. C'est le contraire de ce qui se pratique sur tous les jets, où la 1ère classe est à l'avant de l'appareil, et la classe éco à l'arrière, mais c'est conforme à ce qui se faisait sur les avions à moteurs à pistons, où le bruit et les vibrations sont concentrées au niveau des ailes, et où la partie arrière est plus calme.

Le nouvel Air Force One, avec une livrée familière..

Qu'importe : Kennedy est fier comme un gamin de sa nouvelle acquisition, et va s'en servir dès que possible. Pour la décoration extérieure, Kennedy ne veut pas des marquages de l'USAF, et veut un look "distinctif". Le créateur Raymond Loewy, ami de Jackie Kennedy va créer un schéma à base de bleu et de blanc, tout en laissant le bas de l'appareil couleur aluminium poli. Le haut du fuselage est blanc avec l'inscription "UNITES STATES OF AMERICA" écrit en lettres géantes sur toute la longueur du fuselage. Le sceau présidentiel est apposé de chaque côte de l'appareil, entre la porte avant et le cockpit.

Le design de Loewy plait au président, qui donne son aval. Cette livrée est à peu de choses près celle qui est encore en vigueur aujourd'hui sur les 747 d'Obama. Pas moins de neuf présidents américains plus tard, aucun n'a osé changé cette livrée qui est devenue mythique !

JFK arrive à Dallas, un certain 22 novembre

Contrairement à ses prédécesseurs, Kennedy utilisait Air Force One principalement pour se reposer plutôt que de travailler.

JFK n'en profitera pas beaucoup. Le 22 novembre 1963, Air Force One le dépose à Dallas, et repartira avec son cercueil et un nouveau président quelques heures plus tard. SAM 26000 jouera un rôle crucial lors de cette funeste journée, devenant l'unique sanctuaire du gouvernement, où Lyndon Johnston prêtera serment avant de rentrer à Washington.

Tiste mission pour SAM26000 en ce 22 novembre 1963

James Swindal, le pilote de JFK, ne s'entendant pas très bien avec le nouveau président, demandera à changer d'affectation peu de temps après. A sa place, Johnson nommera le colonel James Cross comme pilote présidentiel.

Au contraire de JFK qui aimait se relaxer à bord, Johnson tient sa cour à bord. Il fera modifier la salle de conférence, avec une table en forme arrondie, lui s'asseyant au centre sur un grand fauteuil de cuir dont la hauteur (ainsi que celle de la table) s'ajustait en hauteur électriquement, ce que "LBJ" adorait montrer à ses invités ! Cela lui permettait d'avoir tour à tour un bureau pour travailler, une table pour manger, ou une table basse pour prendre un verre. Johnson, texan impétueux, est sans doute celui qui fera le plus de modifications à l'intérieur de l'avion. James Chappell, mécanicien navigant se souvient que le président voulait "changer au moins une chose après chaque vol". Pour info, plus de 5 millions de dollars seront engloutis dans diverses modifications cosmétiques de l'avion durant les années Johnson…au frais du contribuable, naturellement, et au grand dam de l'équipage, qui trouvait parfois difficile de "gérer" un président aussi capricieux ! Un jour Johnson fera monter son vélo d'appartement dans l'avion..casse tête pour les techniciens des SAM qui devront trouver un moyen de boulonner l'engin au plancher…mais en gardant la possibilité de le ranger lorsque le président recevait des invités en audience sur son "trône" !

Johnson et les femmes…tout un chapitre ! Sans forcément faire des choses que la morale réprouve, Johnson aimait s'entourer de femme, et leur faire (plus ou moins) la cour…sans faire aucun effort pour se cacher vis-à-vis de sa femme…et l'équipage de SAM 26000 en sera quitte pour des virées plutôt épuisantes.

Aux commandes de SAM 26000


Vers 1962, Johnson (encore vice-président) part pour un court vol à Kansas City, donner un discours…arrivé sur place, un feu se déclare dans la cuisine de l'hotel, et le dîner est annulé…immédiatement, Albertazzie et son équipage préparent un vol de retour sur Washington…le vice-président à bord, l'avion part…il roule sur le taxiway, prêt à partir lorsque Johnson annonce au pilote qu'il ne veut pas rentrer à Washington, il veut aller au Texas passer la nuit dans son ranch…changement de plan (avec les récriminations de la tour de contrôle, et direction Bergstrom AFB…et l'équipage dort sur place, prêt à repartir à l'aube pour Washington le lendemain matin. Johnson est attendu à 9h…arrive 10h30, toujours personne ! C'est alors que le chef du détachement du "Secret Service" appelle la base "il ne veut plus aller à Washington, il veut aller retrouver Mary Margaret Wiley", une membre du staff de Johnson, avec qui il "s'entendait bien"..bref, pas besoin de vous faire un dessin !…à New York ! Pratique pour la sécurité…Le plan est simple, il veut aller voir un film, puis dîner avec elle, avant de repartir à Washington. Le voyage se passe bien, l'équipage reste à bord de l'avion…22h, 23h..et finalement vers minuit, l'adjoint de LBJ appelle l'équipage : finalement il reste à New-York cette nuit…départ pour Washington demain à 9h. Le temps de garer l'avion dans un hangar sécurisé, de le fermer pour la nuit, de trouver des chambres de motel…l'équipage est au lit vers 1h30…avant de se lever à 5h30 pour préparer l'avion pour  un départ à 9h. Dur la vie de chauffeur de VIP ! 9h arrive, puis 10h..11h, enfin un appel d'un aide de camp "Il se fait couper les cheveux, et veut déjeuner après, on part en début d'après-midi…et évidemment, début d'après-midi, personne…il faudra attendre presque 17h pour que Johnson arrive…l'équipage est à la limite des applaudissements ! Une fois en l'air, Johnson ordonne au pilote de mettre manette au tableau, car il a un rendez-vous important à 19h à Washington, et qu'il ne veut pas être en retard…la fin du safari de trois jours est enfin arrivé, Albertazzie peut enfin rentrer chez lui, ainsi que son équipage…et Johnson arriver à son rendez-vous, merci aux hommes du SAM.

Le colonel James Cross, pilote présidentiel de LBJ


Les sautes d'humeur de Johnson..autre chapitre ! Le Sergent Joe Ayres, stewart de Johnson en sait quelque chose...lors d'un vol de retour sur Washington, Johnson a  une envie de bière…mais d'une marque particulière…en peu de temps, il consomme l'intégralité du seul pack stocké à bord. Lorsqu'il demande une 7ème bière…Ayres vient s'excuser car il n'y en a plus. c'est alors que Johnson pète un câble, en criant sur l'infortuné sergent que il faut stocker cette bière sur Air Force One, et plus que ça, s'emportant que "on peut acheter ce p##n de truc partout aux States, dites le à tous les commandants de base de cette p##n d'Air Force qu'ils en stockent partout !"…typique d'une colère de Johnson : tempête qui retombe dix minutes après…mais Ayres en est tellement secoué qu'il demande un transfert le lendemain ! Le colonel Cross sera également remplacé par le lt-col Paul Thornhill comme pilote présidentiel à partir de 1968.

Johnson accorde les "audiences" depuis son bureau à bord d'Air Force One

En 1969, Johnson, redevenu simple citoyen, retourne dans son ranch au texas à bord de SAM 26000 "prêté" par le président Nixon nouvellement élu.. Arrivé au Texas, les hommes de LBJ vont monter à bord pour emporter "quelques" souvenirs…Ralph Albertazzie, devenu le nouveau pilote présidentiel, aura un choc en montant à bord : l'avion est vide…tout est parti. Dans leur chasse aux souvenirs, les hommes de Johnson ont emmené les souvenirs, les couvertures, la vaisselle (commandée par Jackie Kennedy et à bord de SAM 26000 depuis sa mise en service), ils ont même déboulonné et emmené le fauteuil et le bureau de l'éx-président, dans un pillage en règle…

Le colonel Paul Thornhill

SAM 26000 a déjà 7 ans au compteur lorsque Nixon devient président…il est temps de faire une "grande visite". SAM 26000 passe 6 mois d'immobilisation, et est complètement démonté, pièce par pièce et inspecté chez Boeing. L'appareil repart ensuite..avec un aménagement intérieur entièrement nouveau, conçu par John Haldemann, conseiller de Nixon, mais Nixon lui-même ne voulait pas s'en occuper...une nouvelle ère pour Air Force One commençait !

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