jeudi 11 juillet 2013

YAL-1, le laser volant

Au début des années 80, le président des Etats-Unis nouvellement élu, Ronald Reagan, embarque son pays dans une course à l'armement d'une ampleur jamais vue. Parmi les nombreux projets, on trouve le fameux "Strategic Defense initiative", plus connu sous le nom de "Guerre des Etoiles". Annoncé le 23 mars 1983, ce projet intégrait de nombreuses solutions techniques qui ressemblaient à de la science fiction. Le but était de se prémunir des missiles balistiques ennemis pendant les différentes phases de vol avant que la tête nucléaire ne détonne au dessus du territoire américain.

Un Boeing 747 très particulier



Un missile balistique suit une trajectoire parabolique, et on peut en distinguer grosso-modo trois phases de vol : une phase ascendante, une phase de croisière et une phase de rentrée ou phase terminale. L'interception en phase terminale se fait grâce à des missiles anti-missiles, comme le "PATRIOT" pour l'US Army ou le "SM-3" pour l'US Navy. En phase de croisière, il faut un "satellite tueur" capable d'intercepter le missile...plus compliqué à réaliser. Et pour la phase ascensionnelle, il faut encore autre chose.

La phase ascensionnelle est particulière : le missile va lentement et peut donc être suivi plus facilement. Il est encore au dessus du territoire ennemi et donc les éventuels débris sont moins problématiques (selon la vision de l'administration américaine de "c'est les méchants, ils seront punis"). Il est donc intéressant de pouvoir intercepter un missile dans cette phase, le seul inconvénient étant qu'il faut réagir dans les secondes suivant le lancement.

Il existait une solution pour régler ce problème : le LASER chimique, un laser de haute puissance capable de détruire un missile à distance...et pour le transporter et l'utiliser il fallait un satellite...ou un avion. Devant les nombreux inconvénients de la solution satellite (poids élevé...et prix qui va avec, trajectoire connue à l'avance, maintenance impossible), l'USAF va se tourner vers la solution avion. Ainsi est né un des projets les plus ambitieux qui soit : abattre un missile balistique en vol à l'aide d'un LASER monté sur un appareil en mouvement.

Le démonstrateur NKC-135A


Dans un premier temps, les américains vont mettre au point un démonstrateur : le NKC-135A ou ALL (Airborne Laser Laboratory). Constitué d'un Boeing C-135 équipé d'un Laser de 100 kilowatt au CO2, ce démonstrateur parvient à abattre un missile AIM-9 "Sidewinder". C'est un bon début, qui est suivi de deux autres tests couronnés de succès, mais l'appareil, classé comme expérimental, est mis à la retraite et démantelé en 1984 et le projet mis en sommeil.

Cependant, l'expérience des SCUD irakien lors de la première guerre du Golfe va amener l'administration Clinton a ré ouvrir le projet, et à lancer des recherches permettant de mettre au point un LASER capable d'abattre un missile balistique. En 1996, c'est un budget de 1,1 milliards de dollars qui est donné à Boeing pour faire passer le concept du papier à la réalité en cinq ans.

Le YAL-1A au parking

Il faudra cependant attendre 2002 pour que le premier appareil YAL-1A prenne l'air. Conçu sous maîtrise d'œuvre de Boeing, le YAL-1 est un Boeing 747-400 militarisé, qui possède un radôme orientable abritant la lentille du laser tueur. Un second laser de plus faible puissance est monté sur le toit de l'appareil, et permet de mesurer la distance ainsi que la distorsion atmosphérique jusqu'à la cible. Un détecteur infrarouge permet également de détecter la signature thermique du missile à abattre. Le fuselage de l'appareil abrite un centre tactique et surtout les réserves de carburant pour le générateur laser, avec suffisamment de réserves pour assurer de 30 à 40 tirs.

SUr le toit, on trouve la tourelle du laser de mesure de distance et de distorsion atmosphérique


L'idée est de disposer d'une flotte d'appareils capables de se relayer aux frontières des états "voyous", prêt à détecter et intercepter tout tir de missile au dessus même du territoire ennemi. En cas de tir, la signature thermique est détectée par l'avion, et le laser de faible puissance est dirigé vers le missile, ce qui permet de détecter la distance et la distorsion atmosphérique jusqu'à la cible. Une fois ces informations connues, la tourelle de nez est orientée et le laser chimique de forte puissance est mis en action.

Illustration de la grande tourelle de nez


Le rayon laser va "chauffer" la peau du missile, qui est très fine pour des raisons de poids. Chauffée, la peau se détend, et le missile va se disloquer sous l'action des forces aérodynamiques, les débris retombant sur le pays agresseur. Bien sûr, pour que cela marche, il faut que le YAL-1 entre en action dans les secondes qui suivent le lancement, ce qui ne laisse droit à aucun problème.

Ecorché du YAL-1A


Sur le papier, le concept est bien rodé, mais dans les faits…c'est plus complexe ! Il faudra de nombreux essais et ratés avant de mettre au point le démonstrateur.

Le nez, avant découpage


Pourtant, les efforts déployés par Boeing (avion) , Lockeed Martin (tourelle de nez) et Northrop Gruman (laser) finissent par payer : le 3 février 2010, un premier essai est couronné de succès. l'ABL parvient à abattre un missile à carburant solide lancé depuis un périmètre de tir  situé au dessus des côtes de la Californie. Ce premier essai ne sera pas rendu public tout de suite, car il n'est pas représentatif. Le 11 février, nouvel essai, cette fois contre un missile à propulsion liquide, plus représentatif d'un missile "scud", objectif principal visé par le programme.

"Les avoir pendant qu'ils sont encore chauds" pour traduire la devise du badge

La nuit est tombée depuis plusieurs heures lorsque le test démarre. Le 747 est déjà en position depuis plusieurs heures au dessus de l'océan, le long des côtes de la Californie. Il connait son objectif, mais ne connait ni sa position exacte de lancement, ni l'heure de lancement, mais les six capteurs infra rouges scrutent le sol pour détecter la moindre signature thermique de lancement de missile.

En position, prêt au tir !


"Missile lancé, missile lancé"

L'avertissement résonne dans tout l'avion, et aussitôt, une chorégraphie très silencieuse se met en route. Le Track Illuminator (laser de la classe kilowatt) se met en route pour illuminer la cible. L'opérateur vérifie le suivi, avant de passer les coordonnées au laser de puissance, tout en calculant la distorsion atmosphérique à compenser. La phase du "kill" à proprement parler peut alors commencer : le laser de puissance est déclenché, et vient frapper le missile dont la structure commence à chauffer. Quelques secondes plus tard le missile se désintègre en ne laissant que quelques débris enflammés. Cela fait à peine deux minutes que le missile à été lancé !

Vue infrarouge de l'essai


Le test est un succès total, Boeing et Lockheed Martin ne se privent pas pour le faire savoir à la presse, rendant publique par la même occasion le succès du test effectué à peine six jours auparavant ! Un troisième test est tenté quelque temps après, mais sera un échec, lié à une panne informatique. Malgré cela, l'USAF vient de prouver la faisabilité du concept, et se prépare à aller plus loin.

Pourtant, les opposants du projet font valoir le coût exorbitant du programme, qui promet d'être le plus coûteux de l'histoire juste après le B-2. Il est vrai que les contraintes logistiques sont lourdes : en plus des exigences classiques d'un 747, il faut une usine de conditionnement  du carburant pour le laser. Il doit être réalisé à la demande et ne peut pas être stocké plus de 15 jours avant de se dégrader,

Le "tableau de chasse" de l'avion : 7 missiles suivis avec succès, 2 détruits en plein vol


En 2006, George Bush, en proie à de graves difficultés en Irak, se trouve contraint de revoir les dépenses à la baisse, et annonce que l'Airborne Laser passe du statut de pré-production à démonstrateur technologique. Toutes les commandes d'avions supplémentaires sont annulées, les exigences revues à la baisse. D'autres tests sont réalisés avec l'appareil, mais plus aucune interception "grandeur nature". Le programme est finalement annulé quatre années plus tard, en étant effacé du budget fédéral 2010. C'est la fin de l'aventure, même si l'interception a été couronnée de succès, l'avion est vu comme trop complexe et sa logistique trop complexe pour pouvoir le déployer de manière opérationnelle.

Au total, le 747 aura coûté près de 5 milliards de dollars à concevoir. Le montant de cette dépense a été maintes fois critiqué et revu ( toujours à la hausse bien sûr) et à juste été multiplié par 5...juste pour le YAL-1, c'est sans compter sur les programmes antérieurs, dont les coûts ne sont pas connus.

Démantèlement de l'appareil avant son stockage


14 février 2012, le YAL-1 est convoyé sur la base de Davis-Monthan. Il est mis en stockage longue durée, ses équipements sensibles sont démontés. Parqué à l'écart des autres appareils, il attend son démantèlement. L'USAF a fini par trancher : ce démonstrateur n'aura aucune suite, les priorités ont changées, et surtout le budget disponible se réduit comme peau de chagrin. Ainsi se termine le programme : un succès technologique, mais qui arrive trop tard, et qui n'aura finalement aucune suite. Il a cependant permis la maîtrise de l'utilisation d'un laser "tueur" en haute atmosphère. Notons que une fois de plus, l'Europe n'a lancé aucun projet concret dans ce domaine, alors même que les américains et les russes travaillent sur le sujet sans discontinuer depuis les années 80...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire