jeudi 25 juillet 2013

Avant Air Force One...

Chaque pays possède ses symboles : un drapeau, un emblème, des lieux emblématique. Aux Etats-Unis, il existe de nombreux symboles patriotiques, mais aussi des symboles du pouvoir : la maison blanche, le Pentagone etc…

Mais il existe aussi un autre symbole, indissociable du président américain (et popularisé par le film éponyme) : ce symbole, c'est l'avion présidentiel ou "Air Force One". Il existe en 2013 deux appareils identiques qui portent ce nom, deux Boeing VC-25A (version militarisé du 747) avec une livrée bleu et blanche affichant "UNITED STATES OF AMERICA" le long du fuselage.

SAM27000 et SAM28000, les deux "Air Force One"
Pour mieux comprendre l'histoire de ces avions et des déplacements aériens des présidents américains, il faut remonter très loin au heures les plus sombres de la Seconde Guerre Mondiale.


1943 : alors que le cours de la Guerre est encore incertain, les alliés décident d'organiser une conférence au sommet entre chef de gouvernements. Cette conférence doit avoir lieu à Casablanca en afrique du nord. Seulement voilà, comment emmener le président Roosevelt jusque là-bas ? A ce moment, aucun président en exercice n'avait encore voyagé en avion, le Secret Service considérant ce moyen de transport comme peu fiable et trop risqué pour le chef de la nation, les présidents voyageaient en bateau…et encore ils voyageaient assez peu souvent. C'est ainsi que Woodrow Wilson recevra un déluge de critique lors de sa décision de venir passer plusieurs mois en France pour participer au traité de Versailles à l'issue de la 2ème Guerre Mondiale. Une coalition de sénateurs avait d'ailleurs essayé d'utiliser cette "fuite" pour destituer le président américain…sans succès heureusement.

Boeing 314 "Dixie Clipper"


Mais la situation est différente en cette été 1943. Alors que les U-BOOT sillonnent l'Atlantique, semant terreur et désolation parmi les convois marchands, Roosevelt et ses conseillers acceptent de partir par avion…ou plutôt par hydravion : deux Boeing 314 "Dixie Clipper" sont réquisitionnés à la Pan Am pour un transport VIP.

Deux avions, le "Dixie Clipper" et l'"Atlantic Clipper" sont réquisitionnés pour se rendre à Miami pour un "vol VIP". Les commandants sont Howard Cone et Richard Vinal, deux des officiers les plus expérimentés de la Pan Am. Chaque appareil part avec des vivres et un équipage de 10 hommes. Les deux appareils arrivent à Dinner Key au large de Miami le 11 janvier 1943 à l'aube. Cone n'a reçu qu'une simple note lui précisant qu'il devait transporter 9 passagers, mais aucun nom ne lui a été donné. 20 minutes avant le départ, il reçoit un manifeste de passagers : un certain M. Jones est en tête de liste. Quelle ne fut pas la surprise de l'équipage de voir arriver le président des Etats-Unis en personne !

Roosevelt déjeune à bord du "Dixie Clipper"

Bloqué dans son fauteuil roulant, conséquences de la polio qu'il a attrapé étant jeune, faire monter Roosevelt à bord du navire n'est pas des plus aisé, mais l'avantage de l'hydravion est justement d'avoir une porte d'accès basse comparé aux autres avions. Pour rallier Casablanca, il faudra près de 3 jours de voyage au président, avec 4 étapes et un changement d'avion, passant du "Dixie Clipper" à un C-54 pour effectuer la dernière portion du voyage. Il fallait construire une rampe spéciale pour permettre d'embarquer et de débarquer le président des portes hautes du C-4 "Skymaster".

Le voyage est un succès, mais la difficulté de devoir compter sur les avions commerciaux va amener les responsables militaires de la maison blanche à vouloir réserver un appareil de manière exclusive aux transports présidentiels. 

Un premier essai sera réalisé en modifiant un C-87A (version cargo du B-24), qui sera baptisé le "Guess Where II". Il fallait un avion…mais aussi un pilote de confiance. Le chef de l'Air Transport Command va recommander son pilote personnel : Henry Tift "Hank" Myers, un vétéran avec plus de 10 000 heures de vol au compteur. Pilote chez American Airways dans le civil, il n'était pas le meilleur militaire qui soit, ayant son propre franc-parler zt un sens de l'initiative ne plaisant pas toujours à sa hiérarchie, mais il pouvait amener n'importe quel avion a n'importe quel destination. Il deviendra ainsi le premier pilote présidentiel.

Le premier pilote présidentiel, le lt col Henry Tift "Hank" Myers

En novembre 1943, c'est la conférence de Téhéran, cette fois avec Staline et Roosevelt. Pourtant, le "Guess Where II" souffre d'un problème d'image suite à de nombreux problèmes sur les C-87. Le Secret Service préfère utiliser des avions commerciaux de la Pan Am plutôt que le "Guess Where II"

Le "Guess Where II" sera retiré dès le 30 octobre 1945, sans avoir jamais transporté le président.

Le "Guess Where II", qui ne transportera jamais de président

Début 1944, l'USAAF part en chasse d'un nouvel appareil pour son commandant en chef. C'est le DC-4 de chez Douglas qui est choisi, ou plutôt le C-54, sa désignation militaire. Les responsables de l'USAAF choisissent le fuselage No78 sur la ligne de montage. Il est mis à l'écart et surveillé en permanence par une armée d'inspecteurs qualités ! Extérieurement, les ailerons sont plus larges qu'un C-54, d'où sa désignation de VC-54C (ce sera d'ailleurs le seul construit).

Au niveau intérieur, l'appareil a été totalement réaménagé : un grand compartiment au niveau des ailes est réservé au président,   avec un canapé lit et un grand bureau utilisable en salle de conférence. Connaissant la grande curiosité de Roosevelt, "Hank" Myers fera placer des instruments de vol dans la cabine présidentiel, ainsi qu'un téléphone vers le cockpit. Le président pouvait ainsi suivre la vitesse, l'altitude et le cap de l'appareil, tout en communiquant avec le cockpit.

Vue du "bureau" de Roosevelt à bord du "Sacred Cow"


Au niveau extérieur, il fera également installer un grand hublot a côté du fauteuil du président…le Secret Service inquiet de ce détail demandera à ce qu'un cache puisse être installé par-dessus le hublot, avec la découpe d'un hublot standard de C-54, rendant l'appareil extérieurement identique aux appareils de série. Autre demande du Secret Service : le hublot devait être absolument blindé…l'USAAF s'exécute et trouvera un hublot en plexiglas capable d'arrêter les balles. 

Pour la petite histoire, si le hublot était blindé, la carlingue autour ne l'était pas du tout…un bon coup de tournevis serait passé à travers sans problème ! Je vous laisse imaginer pour une rafale de mitrailleuse ! En revanche, un autre détail sera très apprécié du président : les ingénieurs de Douglas vont réussir à mettre un ascenseur dans la soute ! Idéal pour pouvoir hisser le président sans qu'il ne quitte son fauteuil roulant, l'ascenseur descendait jusqu'au sol sous la puissance d'une batterie électrique, et permettait ensuite de monter le fauteuil et son passager jusqu'au pont principal via une trappe. Il redescendait ensuite dans la soute, où il devenait invisible, tant pour l'extérieur que pour les passagers à bord.

Le fameux ascenseur, ici en position basse

Extérieurement l'appareil n'arborait aucun marquage hormis les marquages règlementaires (dont son numéro, le 42-107451), lui permettant de rester anonyme : les C-54 de tout poils ne manquaient pas de par le monde à cette époque ! L'appareil est livré à l'USAAF le 12 juin 1944, et est surnommé par la presse la "vache sacrée" ! (Sacred Cow) au grand dam des officiels, trouvant que le nom manque de dignité pour un avion présidentiel !

Ironiquement, l'appareil ne transportera le président qu'une seule fois, en février 1945 pour emmener Roosevelt, fatigué et malade, jusqu'à Yalta pour la grande conférence avec Churchill et Staline. Le président reviendra par train et bateau pour se reposer.

Extérieurement, le "Sacred Cow" était on ne peut plus banal...

Le 12 avril 1945, c'est le choc : Roosevelt est mort. Un presque inconnu lui succède : il s'agit de Harry Truman, qui hérite du même coup de la fin de la Guerre, du sort du Japon, qui apprend l'existence de la bombe atomique car Roosevelt ne lui avait rien dit….bref, l'expression "le poids du monde sur les épaules" il sait ce que c'est !

C'est aussi un homme qui aime prendre l'avion, chose rare à l'époque, et il va faire beaucoup pour le transport présidentiel. Truman va devenir fan du "Sacred Cow" et va voler à bord même pour des courts trajets entre Washington et le Missouri, son état d'origine. Son premier trajet sera un Washington - Kansas City, toujours avec Hank Myers aux commandes, le 5 mai 1945.

Le "Sacred Cow" l'ammènera à Postdam pour son premier "test" politique grandeur nature, face à Staline où il se laissera intimider, par contre il fera le retour en bateau, sur l'insistance de son cabinet…et surtout de sa femme !

Truman et le fameux hublot blindé...

Truman était resté un homme simple et aimait beaucoup les petites facéties. Le dimanche 19 mai 1946 a lieu une grande parade avec démonstrations en vol des derniers nés des chasseurs à réaction américains. Truman prend alors deux gardes du corps et se rend à Bolling field où est basé "son" avion. Hank Myers décolle et l'emmène observer les avions de haut.

Quelques minutes après, le président vient voir son pilote pour lui dire que Bess et Margaret (sa femme et sa fille) sont sur le toit de la maison blanche, et demander si il pouvait les surprendre "en piquant sur la maison blanche…comme un chasseur…" Myers, qui n'est pas homme à refuser un petit défi lui répond "je n'y vois aucun inconvénient, mais il faudra un responsable et je dirai que c'est vous !" ce à quoi le président répond avec un grand sourire "c'est bon, j'ai les épaules larges !"

Vue du "Sacred Cow" au sol


Myers s'aligne donc à 1000 mètres d'altitude au dessus de l'obélisque (violant ainsi une dizaine de règlement fédéraux sur le survol des espaces aériens interdits) et pousse les quatre moteurs à fond de l'appareil…avant de piquer sur la maison blanche…le bruit est horrible, et les spectateurs sur le toit de la maison blanche sont paralysés…Myers redresse à à peine 150 mètres du sol, le président collé à la vitre, riant comme un écolier. Mais ce n'est pas fini…Myers remonte, et entame un second passage…cette fois, Bess et Margaret ont reconnu l'avion et lui font de grand signes…satisfait, le président donne l'ordre à Myers de filer sur Kansas City.

En revanche au sol, c'est la panique : militaires, contrôle aérien, police, secret service : tout le monde est sur le pied de guerre…sans compter que le Secret Service ne retrouve pas le président, qui n'a signalé à personne sa petite escapade ! C'est la panique à l'idée que le président puisse avoir été kidnappé à bord de son propre avion. Il faut plusieurs dizaines de minutes pour établir le contact avec Bolling field, puis avec l'avion présidentiel…l'occasion de rassurer tout le monde : oui le président est à bord de l'appareil, oui, il se porte bien, et c'est même lui qui a demandé à son pilote de faire cette acrobatie ! Le fait de savoir que c'est Truman lui-même qui a demandé de faire la manœuvre va calmer tout le monde au sol…et "Hank" Myers n'entendra plus jamais parler de cette histoire !

Peu de temps après, la Maison Blanche juge le "Sacred Cow" vieillissant, et un appareil de remplacement est trouvé. Le VC-54C sera affecté au transport de personnalités (de moindre importance…) avant d'être mis à la retraite le 4 décembre 1961, après plus de 12 000 heures de vol (dont moins de 400 pour le transport d'un président américain…)

Mais l'histoire d'Air Force One restait à écrire...

Le "Sacred Cow" à la retraite au musée de Dayton

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