jeudi 9 mai 2013

Les disparus du 23 mars 1951

Le Douglas C-124 "Globemaster II", affectueusement surnommé "old shaky" (le vieux qui tremble) a été le cheval de trait de l'US Air Force pendant de nombreuses années. Utilisé pour tous les transports un peu volumineux de l'Air Force, de la Jeep au missile balistique en passant par les avions de chasse, peu d'éléments de l'inventaire US étaient trop grand pour lui.

Old Shaky...auprès duquel je me sens vraiment petit !

Extrapolé du C-74 "Globemaster" dont il reprenait la motorisation et les ailes, mais avec un fuselage sur deux ponts avec un plancher amovible, lui permettant d'emporter beaucoup plus de volume de cargo ou de passagers que son prédécesseur.

Son principal client était le MATS, le Military Air Transport Service, mais il y avait un second opérateur, beaucoup moins connu et qui volait pour des missions beaucoup plus discrètes : les SSS, ou Strategic Support Squadron. Dépendant non pas du MATS, mais directement du Strategic Air Command, les SSS étaient un peu le MATS au sein du SAC, avec une mission particulière et secrète : le transport des armes atomiques.

L'histoire qui va suivre est l'un des grand mystère jamais élucidé de la Guerre Froide



21 mars 1951. Le C-124 numéro 49-0244 affecté au 2ème SSS doit rallier l'Angleterre avec des équipements et des passagers du 509th Bomber Group. L'appareil décolle de la base de Walker AFB pour rallier Barksdale en Louisiane où l'appareil passe la nuit.

Un départ qui sera sans retour...


22 mars : l'appareil quitte Barksdale et met le cap sur la base aérienne de Loring, dernière étape avant l'atlantique. Lors de l'étape à Barksdale, un haut gradé et son état-major se joignent à l'expédition. Il s'agit du général de Brigade Paul T. Cullen, qui vient d'être nommé chef du 7th Air Group, unité nouvellement formée en Angleterre. L'appareil se pose sans encombre à Loring après 8 heures de vol. Il est alors 12h30 "Zulu", c'est-à-dire GMT.

Le général Paul Cullen (portrait pris alors qu'il était colonel lors de la seconde Guerre Mondiale)

Le général Paul Thomas Cullen est né en 1901. En commandement dans le pacifique, un accident au dos l'obligera à changer de spécialité, devenant un expert en reconnaissance aérienne. Il était responsable de l'observation des essais atomiques lors de l'opération "Crossroads" en 1946. Il supervisera également la transformation de chasseurs en avions espions pour espionner la Russie ou la Corée.  Faisant partie du SAC, il faisait partie des rares à connaitre les plans de guerre conçu par les équipes de Curtiss LeMay.

Une fois à Loring, les pilotes vont remplir leur plan de vol pendant que l'avion est ravitaillé. Leur destination est la base anglaise de Mildenhall, et leur destination finale la base de Lakenheath. Le Major Robert Bell est aux commandes lorsque l'appareil décolle et met le cap sur l'atlantique.

Isolé au dessus de l'océan

Il est une heure du matin, le vendredi 23 mars, lorsque Old Shaky entre en contact avec un navire relais britannique situé par 52° nord et 20° ouest, répondant au doux nom de 4YJ pour transmettre son rapport de position. L'appareil se trouve alors à environ 1200 km au sud-ouest de l'Irlande.

Quelques minutes plus tard, le C-124 lance un "Mayday" (appel de détresse) en rapportant un incendie dans les caisses situées dans la zone cargo. Le feu progresse et ne peut pas être maitrisé, et l'équipage du C-124 commence une descente en urgence pour tenter un amerrissage.

Dernier contact avec un navire météorologique...


L'appareil se pose par 50°45' nord et 24°3' ouest environ, et reste intact lors de l'amerrissage. Par miracle il flotte et ne prend l'eau que très lentement. Membres d'équipage et passagers quittent l'appareil et grimpent dans des canots de sauvetages gonflables de 5 hommes. Chaque canot est équipé de vêtements chauds, d'allumettes, de nourriture, d'eau, et surtout d'une radio à manivelle.

Alertés, les éléments du 509th Bomber group en Angleterre font décoller des B-29. Un des B-29, commandé par le Captain Muller va localiser les survivants. Il va rester sur place en attendant les secours, mais son appareil n'est pas équipé pour la recherche et le sauvetage. Il reste jusqu'au "bingo fuel" c'est-à-dire la limite de ses réserves de carburant avant de rentrer et de relever une dernière fois la position des survivants.

Un B-29 va repérer les survivants...


Les navires n'arriveront pas sur place avant les premières heures du dimanche matin le 25 mars…c'est-à-dire plus de 30 heures après le dernier contact visuel ! Les recherches se poursuivront plusieurs jours, mais rien, hormis des restes de caisses en bois et un radeau de sauvetage dégonflé (et ne contenant aucun effet personnel) ne sera retrouvé. L'équipage et les passagers du 49-0244 sont portés disparus présumés morts. Les 54 membres d'équipage ont tout simplement disparus, aucun corps ne sera retrouvé.

Beaucoup de mystères entourent cette disparition. On sait que des sous-marins soviétiques opéraient fréquemment dans cette zone…ont-il saisi l'opportunité de capturer un général de brigade de l'USAF ?

Il est vrai que le général Cullen était un spécialiste des armes atomiques, et connaissait les plans de guerre du SAC…la plupart des aviateurs avec lui étaient des spécialistes des armes atomiques du 509th Bomb Wing, ce qui en aurait fait des prisonniers de tout premiers choix pour les soviétiques…

Maintenant, il existe tout un tas de théorie concernant cette disparition, allant du sabotage de l'appareil grâce à une "taupe" soviétique pour forcer le C-124 à amerrir jusqu'à l'enlèvement par des aliens (le général venait de Walker AFB…situé à Roswell au nouveau Mexique…)

Stèle en mémoire du Captain Rafferty, un pilote qui accompagnait le général Cullen en Angleterre (cimetière d'Arlington)


On ne sait pas ce que transportait le C-124 dans ses mystérieuses caisses (et qui a pris feu au plein milieu de la nuit). Comment expliquer également qu'il ait fallut plus de 19 heures pour que les premiers navires arrivent sur le lieu du crash ? Les rapports d'enquête disponibles ne disent rien sur ce point…même si le temps était mauvais, ce n'était pas une raison pour ne rien tenter...

Pourtant il est évident que l'USAF connaissait la valeur du général Cullen…et ce que les soviétiques pourraient en tirer. Comment dès lors expliquer que tout les moyens n'ont pas été mis en œuvre pour le retrouver ?

Les nombreux soupçons sur l'interrogation et l'envoi aux goulags de prisonniers de guerre américains tout au long de la Guerre Froide permet d'imaginer une éventuelle capture des aviateurs par les soviétiques, mais ce n'est qu'une supposition.

Le mystère demeure entier à ce jour, le ministère de la défense US n'étant pas très bavard sur ce sujet...

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