jeudi 21 mars 2013

L'avion hypersonique : le X-15 (4/4)

L'arrivée du X-15-A2 va permettre d'étendre encore plus le domaine de vol du X-15, même si la NASA jugeait que le bénéfice serait minime d'un point de vue scientifique..mais l'Air Force ne l'entendait pas de cette oreille et insistera pour mettre en service ce nouvel appareil. Les réservoirs externes lui permettant d'emporter 70% de carburant en plus, soit 60 secondes de combustion de plus pour le XLR-99. La course vers Mach 8 était ouverte.

Le X-15-A2 sous son B-52 porteur


Un autre système mis au point pour le A2 était un "ramjet" expérimental destiné à être monté sous la dérive ventral. Une maquette sera emmenée sur plusieurs vol, mais le moteur ne sera jamais allumé suite à des retards de mise au point.

Autre nouveauté sur le X-15-A2 : l'extrémité des ailes ainsi que la dérive étaient modifiés pour permettre de tester d'autres matériaux, en particulier des revêtements ablatifs (qui se subliment sous l'effet de la chaleur lors de la rentrée) destinés au programme spatial. Le A2 volera ainsi sous différentes couleurs : Avec L'inconel X d'origine, ou avec un revêtement ablatif gris, blanc...voire même rose, correspondant à différents alliages que la NASA souhaitait tester à haute température. North American montera en plus une "aile démontable" à droite. En fait elle ne sera jamais démontée, correspondant simplement à la partie qui avait été endommagée au-delà de toute réparation lors du crash de 1962.

Différence du X-15-A2 par rapport à l'avion d'origine


L'appareil sera officiellement livré au gouvernement le 24 février 1964, pour un vol d'essai…à Mach 4,59 tout de même ! Succès total, l'appareil se comportant comme le X-15 d'origine à quelques différences près.

Le second vol d'essai sera plus mouvementé…Bob Rushworth aux commandes  atteint Mach 5,23 avant de rentrer. Arrivé vers Mach 4,2, il entent un bang sourd suivi de fumée dans le cockpit. Son appareil commence à osciller, heureusement il reprend vite la main. En fait, sa roue avant vient de se déployer sans prévenir…il parvient à poser l'appareil, après que les chasseurs d'escorte lui ai confirmé que même si les pneus n'était plus là, le train d'atterrissage était structurellement intact !

L'enquête révélera que cet incident était du à l'échauffement aérodynamique. Sur le X-15, le pilote devait tirer une commande qui actionnait un long câble pour libérer le train grâce à une poulie et un crochet. Rudimentaire mais efficace…du moins jusqu'à ce que le câble se tende suite à l'élongation de l'appareil en vol à cause des contraintes thermiques ! Le problème sera simple à résoudre : augmenter la longueur de câble à tirer…mais il aurait pu être beaucoup plus grave !

Jack McKay vérifiera au cours d'un vol d'essai que le système fonctionne bien…avant que Rushworth ne reparte sur le vol suivant…et là, encore une fois au cours de la rentrée, son train avant se déploie…encore une fois. Heureusement plus de peur que de mal, Le X-15 se pose sans problème. Suite à ces deux incidents, Rushworth trouvera toujours dans le cockpit avant ses vols une pancarte rouge marquée "Ne pas déployer le train au dessus de Mach 4".

La NASA fera encore cinq vols d'essais avant de se lancer dans les essais avec les réservoirs externes. Equipés d'un parachute, le pilote devait les larguer avant de dépasser mach 2,6..et ne pouvait pas se poser avec. Une attention particulière avait donc été accordée au système de largage…à la différence près que les simulations n'avait prévu que deux cas : largage avec les réservoirs vides ou pleins, mais pas à moitié pleins…Finalement trois boutons seront montés dans le cockpit : séparation avec les réservoirs vides, pleins…ou entre les deux. Le pilote devait bien contrôler l'avion au moment du largage : avec un centre de gravité situé 20 cm en dessous et 4 cm à droite du fait d'un réservoir plus lourd que l'autre, une inattention du pilote aurait pu emmener l'appareil au-delà du domaine de vol prévu.

Les deux réservoirs externes du X-15-A2


Après un premier vol d'essai avec les réservoirs vides pour vérifier le système en vol, la course vers Mach 8 était de nouveau ouverte ! Beaucoup de vols seront effectués par Joe Engle. Joe Engle était "chanceux" avec le X-15 : la grande majorité de ses vols se dérouleront sans problème…et il est peut-être l'homme qui aura le plus d'expérience des engins hypersoniques : il est le seul à avoir piloté le X-15 et la navette spatiale, comme commandant de bord de STS-2.

Au début de 1966, le programme X-15 s'arrête net…l'hiver 1965 à été très humide. Il est en effet tombé presque 15cm d'eau en deux mois sur les lacs qui ne sont plus asséchés. L'un est sous l'eau, l'autre sous la neige, un autre boueux…les X-15 n'ont donc plus de piste d'atterrissage.

Le programme à cette époque pour la NASA était de continuer les vols jusqu'en 1968, en transformer le X-15-3 en X-15-A3, ce qui consistait à remplacer le XLR-99 par un moteur encore plus puissant, et à remplacer les ailes par une paire d'ailes delta. Il était de plus envisagé de larguer le X-15 non plus depuis un B-52, mais depuis le dos du XB-70 Valkyrie.

Il faudra attendre mai pour la reprise des vols. Le X-15 allait pouvoir tester les réservoirs externes…mais pleins cette fois ! Bob Rushworth quittera le programme à ce moment là, et il sera remplacé par un jeune pilote brillant, sorti major de la promotion des pilotes d'essais : Michael Adams. Il fera son premier vol en octobre 1966, qui se terminera prématurément lorsque le réservoir d'ammoniac se rompt en plein vol…heureusement, il peut ramener l'appareil à bon port.

Michael Adams pose à côté du X-15-1


L'hiver 1966 sera également l'occasion d'apporter (encore) des modifications aux appareils. Pete Knight se fera des frayeurs lors de la reprise des vols. A bord du X-15-1, il est en pleine montée lorsque son moteur s'arrête…suivi du système de stabilisation…et enfin des deux APU, plongeant le cockpit dans le noir..Knight est bon pour rentrer en mode manuel…il n'a plus de radio ni de transpondeur, ce qui signifie que le contrôle au sol à également perdu sa trace…Le problème sera tracé à l'expérience scientifique, qui était connectée directement au bus principal avionique. Un court-circuit ayant surchargé le système, les deux APU se sont arrêtés nets.

Cette rentrée sera la seule rentrée manuelle du programme…et les ingénieurs aurait donné cher pour connaître la performance de Knight aux commandes, mais la perte d'énergie signifiait également la perte des enregistreurs de vol…et l'arrêt du transpondeur n'avait pas permis au sol de suivre la course du X-15…il n'y aurait donc pas de données…

Cette période est aussi la période des essais sur les matériaux ablatifs, permettant de protéger encore davantage l'avion que l'InconelX. Ces matériaux étaient indispensables à la mise au point du X-15 capable d'atteindre Mach 8. Il faut en effet savoir que l'échauffement n'est pas proportionnel à la vitesse : de Mach 5 à Mach 8, l'échauffement est multiplié par deux : l'Inconel X ne permettrait donc pas d'atteindre ces vitesses. Il fallait tester des dizaines de mélanges qui devait résister thermiquement mais aussi mécaniquement et ne pas poser de soucis lorsqu'il étaient mis en contact avec les différents éléments du X-15 (dont l'oxygène liquide et l'ammoniac). Un revêtement sera choisi : le MA-25S de Martin-Marietta. Un premier essai à grande échelle sur tout le X-15 sera tentée le 18 mai 1966. Les résultats étant acceptables, le X-15-A2 sera encore une fois modifié, avec l'ajout d'une "paupière" sur le hublot gauche, car à la vitesse maximum, il n'était pas sûr que les vitres résistent sans devenir opaque.

Le X-15-A2 recouvert du MA-25S


L'application du matériau ablatif sur l'ensemble de l'appareil posera également de nombreux problèmes, et il faudra inventer de nouvelles méthodes pour nettoyer l'avion avant d'appliquer le matériau, qui se présentait sous forme de peinture épaisse. Le temps et les efforts investis pour couvrir un "petit" appareil comme le X-15 laissait mal augurer l'entretien d'une navette spatiale bien plus grande. Un "problème" se posait à la NASA : la couleur rose du revêtement, qui n'était pas jugée très sexy pour l'appareil le plus rapide du monde…Heureusement, il fallait rajouter une autre couche par-dessus le MA-25S : une couche d'un prosuit nommé poétiquement DC92-007…qui était blanc ! Ouf, le X-15 n'avait certes plus sa couleur d'origine, mais ce n'était pas rose !

Comme il existait beaucoup d'inconnues, il faudra faire de nombreux vols d'essais avant de qualifier ce nouveau revêtement. Pete Knight fera le premier vol avec le X-15-A2 entièrement recouvert MA-25S le 21 Août 1967, avec succès, la protection ayant bien fonctionné.

Le vol qui aurait pu mal se terminer


3 octobre 1967, lors de la mission 188, le X-15-A2 va battre le record absolu du programme : Mach 6,7 à 7274 km/h avec Pete Knight aux commandes. Pendant son retour, une alarme s'allume sur son tableau de bord, et il tente un retour accéléré en éjectant son carburant superflu…mais sans succès. Le retour se passe bien, mais Knight à la surprise de découvrir des trous de plusieurs mètres de long à l'arrière de son appareil expliquant ses soucis de contrôle. L'appareil a tellement souffert de la chaleur que le revêtement à fondu, laissant l'Inconel X exposé aux fortes températures…à tel point que ce sera le dernier vol du A2 !

En réalité, la maquette du Ramjet avait généré des ondes de choc beaucoup plus sévères que prévu, ce qui fait que la température avait dépassé de plusieurs centaines de degrés ce qui avait été calculé sur le bas de l'appareil. Le résultat aurait pu être beaucoup plus grave !

les dégâts après le vol de Pete Knight


Le 15 novembre 1967, c'est le drame. Ce jour là, le X-15-3 est largué pour le 191° vol du programme avec Michael Adams aux commandes. Un problème électrique survient pendant la phase propulsée, obligeant le pilote à reprendre le contrôle manuel de l'appareil. La surcharge de travail fait qu'il coupe son moteur fusée trop tard et ne s'aperçoit pas que son appareil est dans une mauvaise position…il entre dans une première puis une deuxième vrille à Mach 5. Soumis à des forces du plus de 18G, le pilote s'évanouit et l'appareil se disloque en morceaux. Les débris s'éparpillent sur plusieurs de dizaines de km², et le corps de Michael Adams est retrouvé encore sanglé sur son siège.

Les restes du X-15-3


Le coup est dur pour la NASA, qui décide alors d'annuler le programme. Pourtant, comme il reste des expériences et que les budgets ont déjà été votés, la NASA décide de poursuivre le programme jusqu'à la fin de l'années 1968.

Seulement 9 vols sont programmés pour l'ensemble de 1968, dont huit se déroulent sans incidents majeurs, dont le 199° le 24 octotbre 1968. Un 200° vol était prévu le 21 novembre 1968 avec Pete Knight aux commandes du X-15-1. Repoussé plusieurs fois à cause de la météo, il sera annulé le 20 décembre 1968, les vols du X-15 n'ayant été autorisés que jusqu'à la fin de l'année 1968.

Au total, les trois X-15 auront totalisés 30 heures de vol libre...en 10 ans de programme ! Un peu plus de 400 heures si on compte le temps passé sous les ailes des B-52 en plus…mais les cellules avait beaucoup soufferts de part les environnements extrêmes des régimes de vol à haute altitude et haute vitesse. Le X-15 aura dépassé Mach 6 lors de quatre vols seulement…mais aura dépassé Mach 5 au cours de 108 vols soit un total de 1 heure 25 minutes à des vitesses hypersoniques

Le X-15-1 sera donné au musée de l'air et de l'espace à Washington D.C, où il côtoie le X-1 de Chuck Yeager ou le "Spirit of Saint Louis" de Lindbergh…le X-15 s'inscrit bien en descendant de ces illustres appareils, qui tous ont contribué à repousser les limites du vol humain. Le X-15-2 sera quand à lui donné au musée de l'US Air Force à Dayton dans l'Ohio, où il se trouve toujours.

Le X-15 a été l'appareil le plus rapide de son temps, et beaucoup de ses records sont encore valable aujourd'hui. Au niveau des connaissances concernant le vol hypersonique, le X-15 représente plus de 95% de ce que nous savons sur  le vol au-delà de Mach 4.

Le X-15-A2 retrouve ses couleurs d'origine

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