lundi 18 mars 2013

L'avion hypersonique : le X-15 (2/4)

Au printemps 1959, le programme X-15 prend forme, et le premier appareil sort d'usine. Il doit d'abord effectuer une série de vol d'essai pour la North American Aviation et ensuite être livré à la NASA pour les vols scientifiques.


Paré au largage !




Avec un appareil hypersonique, l'Air Force ne pouvait plus lancer le X-15 au dessus d'Edwards et d'attendre que le pilote revienne se poser à Edwards. Avec un appareil pouvant franchir 500 km en dix minutes, il fallait trouver des zones de lancement qui permettait de larguer le X-15 à portée d'Edwards, tout en assurant des points d'aterissages de secours en cas de besoin (si le moteur fusée ne démarrait pas ou en cas de retour d'urgence) Heureusement la région du Nevada ne manque pas de lac asséché pouvant être utilisé comme terrain d'urgence. 

Un total de 10 sites seront choisis, et l'Air Force formera des équipes à la récupération du X-15 pouvant être aéroportées sur les sites à la dernière minute. Composées de médecins, d'équipe sol du X-15 et de pompiers, ces équipes devait porter secours à un pilote en difficulté en cas de retour précipité. Des hélicoptères apportait les premières équipes, et un C-130 emportait ensuite le matériel lourd pour sécuriser l'avion.

Equipe de récupération du X-15 lors d'un entrainement


Les pilotes de X-15 devait connaitre par cœur les environs de chaque point d'atterrissage potentiel. En effet, contrairement à la navette spatiale, le X-15 ne disposait pas de HUD, ni même de vision vers l'avant d'ailleurs. Les pilotes devait donc repérer le site d'atterrissage depuis les hublots latéraux. Ils étaient aidés par les avions d'escorte du NACA, mais les pilotes devaient pouvoir se débrouiller seuls en cas de besoin.

Il fallait environ 30 jours de travail pour préparer un seul X-15 pour un vol de 10 minutes. Pourtant malgré toute cette préparation, les pilotes devait parfois annuler le vol pour cause de panne d'un équipement ou d'un autre

Avant de tester le X-15...il fallait aussi tester la combinaison...ici un test thermique pour vérifier la ventilation

Scott Crossfield, qui avait quitté le NACA pour rejoindre NAA comme pilote d'essai, effectuera la majorité des premiers vols avec le X-15-1, équipé du XLR-11. Le premier vol à lieu le 8 juin 1959. Il s'agit d'un vol non propulsé : le B-52 porteur largue le X-15 à haute altitude, et ce dernier descend en vol plané jusqu'au lac asséché d'Edwards. Il faudra attendre le 17 septembre pour qu'il puisse enfin mettre en route le XLR-11 pour un premier vol propulsé. Il n'atteindra "que" Mach 2,11 avant d'atterrir sur le lac de Rogers 9 minutes et 11 secondes après la lancement.  Comme je le disais plus haut, l'idée était d'explorer le domaine de vol de manière progressive. Le but de ces premiers vols d'essai était de valider la configuration et la stabilité de l'appareil.

Le vol s'est bien déroulé…hormis un incendie à l'atterrissage, du à une rupture de ligne d'alcool lors de l'arrêt du moteur…heuureusement, Crossfield a stoppé l'avion quasiment devant les pompiers qui éteignent le début d'incendie immédiatement !

Les deux types de missions : haute altitude et haute vitesse


Les résultats des premiers vols étaient assez pauvre d'un point de vue scientifique, mais on permis de connaître beaucoup plus de choses sur l'appareil en lui-même. C'est ainsi que le X-15 sera continuellement modernisé et amélioré.

Les ennuis commencent dès le troisième vol (le 2-3-9). Le X-15-2 est largué du B-52 le 5 novembre 1959. Scott Crossfield est encore aux commandes et allume le moteur dès son largage. Malheureusement, 13 secondes plus tard, une explosion secoue l'avion, et le moteur s'arrête…les F-104 escorteurs constatent que l'une des chambres du XLR-11 vient d'exploser et que l'arrière de l'appareil est endommagé. Crossfield commence une descente en urgence, mais ses 13 secondes de vol propulsé l'ont déjà emmené au-delà de Mach 1…ce qui signifie qu'il ne peut plus larguer le carburant en trop du fait de la pente de sa trajectoire. Il fonce donc vers le lac asséché de Rosamund. Les patins se posent gentiment à l'arrière, mais l'avion, beaucoup plus lourd que prévu retombe lourdement. Heureusement le train avant tient le coup ! C'est alors que l'appareil s'affaisse en freinant beaucoup plus que prévu : la "colonne vertébrale" du X-15 vient de céder, le fuselage s'ouvrant en deux comme un abricot trop mûr en son milieu…la partie arrière racle le sable pétrifié, créant un frein très efficace ! Le X-15-2 est bon pour retourner chez North American pour réparations.

Le X-15-2 avec sa colonne vertébrale brisée


Pendant les réparations, le X-15-1 ne restera pas inactif, atteignant Mach 2,53 sans effort particulier. Il sera officiellement livré au gouvernement le 3 février 1960, avant d'être prêté à la NASA (même si l'appareil ne change pas de place, restant à Edwards AFB), et sera suivi quelques mois plus tard du X-15-2

La NASA et l'Air Force vont alors coopérer pour mener les vols du X-15. C'est ainsi que deux pilotes seront "titularisés" comme principaux pilotes : il s'agit de Joseph Walker (NASA) et du Major Robert White (USAF), et ce malgré une petite guerre interne pour savoir qui ferait le premier vol…au final ce sera Joe Walker le 25 mars 1960.

Le X-15-1 fera ainsi la majorité des vols d'ouverture du domaine de vol, alors que le X-15-2 fera une majorité de vols de familiarisation pour les pilotes. Les principaux problèmes seront liés au système de contrôle ballistique, qui marchait très mal, avec des pannes à répétition, à tel point que les vols à basse altitude seront priviliégés jusqu'à ce que le système gagne en fiabilité. Ce système était constitué de 8 moteurs fusées dans le nez (deux dans chaque direction) et deux dans chaque aile, alimentés par au peroxyde d'hydrogène.

Il existait toujours à ce moment là un débat sur le fait de savoir si le système devait fonctionner de manière tout ou rien ou de manière proportionnelle en fonction du déplacement du manche du pilote. N'oublions pas que le vol spatial n'existait pas encore (Youri Gagarine ne fera son vol historique qu'une année plus tard) et aucun moyen de simulation réaliste n'était encore au point pour décider. Il faudrait tester en vol et voir…

Remise en état au retour de mission pour la flotte X-15


Un total de 30 vols seront effectués avec le XLR-11 moteur "temporaire", mais la NASA et l'Air Force attendaient avec impatience le nouveau moteur, le XLR-99, qui promettait enfin de franchir les vitesses hypersoniques ! Le X-15-3 était construit depuis le début avec le XLR-99, qui serait ensuite déployé à toute la flotte.

Le premier XLR-99 arrivera à Edwards le 7 juin 1959, et tournera au banc (sans X-15) le 26 Août. Le X-15-3 sera livré à Edwards le 29 juin 1959. C'est ainsi que les directeurs de programme X-15 décideront de retirer le X-15-2 des vols en attendant de lui changer son moteur, ce qui ne laissait que le X-15-1 de disponible, avec le X-15-3 qui était presque terminé. Mais avant de le mettre en service, il fallait tester le moteur au sol. Le 8 juin au soir, vers 19h30, Scott Crossfield s'installe dans le cockpit du numéro 3, pendant que le personnel de test va se planquer dans un bunker à côté, et les pompiers prennent position à quelques encablures de là. Le but est de tester le redémarrage et les variations de poussée du moteur.

La procédure de test était la suivante : démarrage du moteur au ralenti, puis mise en puissance à 50% et une fois la pression stabilisée, pleine puissance à 100% pendant 5 secondes et ralenti vol puis arrêt. Après 15 secondes, redémarrage du moteur. Jusque là, aucun problème, tout se passait parfaitement bien. Quelques secondes après le redémarrage, la pression dans la chambre de combustion baisse, et le moteur se met en sécurité, avec un voyant dans le cockpit. Crossfield coupe le moteur, et doit appuyer sur un bouton pour faire un reset des alarmes et remettre le moteur en état pour tenter un redémarrage. Il est 19h45 lorsqu'il presse le bouton. Dans la seconde qui suit, une immense explosion va déchiqueter le X-15-3. Une immense boule de feu suivi d'une déflagration qui fait trembler la porte du bunker d'essai. Heureusement, les pompiers sont là en moins de 30 secondes, suivi d'un deuxième camion moins d'une minute plus tard. Ils arrosent largement la zone d'essai pour noyer l'incendie qui menace de s'étendre aux installations d'essai. 5 minutes plus tard, l'incendie est éteint, et la fumée se dissipe, les pompiers peuvent alors constater que le X-15 s'est littéralement ouvert en deux au niveau de son réservoir d'oxygène liquide, et que l'avant à fait un bond de 15 mètres en avant, protégeant ainsi Crossfield de l'incendie. Pilote d'essai au calme légendaire, il avait activé sa réserve d'oxygène de secours, et attendait tranquillement les pompiers. Il confiera plus tard que son seul ennui était que les pompiers l'avait bien arrosé et qu'il était trempé…mais autrement aucune égratignure !

Le X-15-3 après son vol plané non prévu...


Il fallait à présent savoir ce qui s'était passé. L'enquête révélera que le moteur n'a pas explosé comme on le croyait initialement, mais que c'est le réservoir d'ammoniac qui avait été surpressurisé. Devant la nature toxique du produit et pour éviter tout accident, l'Air Force avait prévu une valve destinée à empêcher toute surpression accidentelle du réservoir. Malheureusement, un relais défectueux, couplé à une valve qui s'était bloquée en position fermée avait suffit pour pressuriser le réservoir au-delà de sa limite structurelle. Il faudra donc reconstruire le X-15-3, pour un coût de 4,75 millions de dollars…pour un programme de 9 millions de dollars de budget annuel, c'est énorme. La NASA et le Pentagone seront cependant assez large sur le budget nécessaire, même si le chef de programme devait toujours se battre vis-à-vis de la hiérarchie pour toute dépense non prévue…

Le X-15-2 fera son premier vol avec le XLR-11 le 15 novembre 1960 avec Scott Crossfield aux commandes, ce sera un succès. Il fera un total de trois vols d'essai, le dernier le 6 décembre. Ce sera le dernier vol du X-15 par la North American, et le dernier vol de Crossfield sur l'avion hypersonique.

Retour de mission pour le X-15, guidé par un F-104 d'escorte


Ainsi prenait fin la première période des vols du X-15. Au début de 1960, l'appareil était encore un appareil nouveau et qui restait à tester, mais à la fin de cette même année, il était déjà mature, avec déjà plusieurs records à son actif. 7 pilotes avait déjà réalisés 31 vols avec les deux premiers appareils. Une phase d'exploration plus poussée pouvait alors commencer avec le X-15-3 enfin réparé.

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