mardi 26 février 2013

Le Rafale (1/2)

Vous connaissez tous le "Rafale". Même si vous n'avez que peu de lien avec l'aviation, vous connaissez l'appareil, au moins de nom. On en entend souvent parler, que ce soit pour des problèmes d'export ou simplement parce que l'appareil participe à des OPEX (Opérations Extérieures) comme en Libye, ou plus récemment au Mali, avec ce leitmotiv qu'il est le meilleur avion du monde. Mais au-delà de cela, que savez-vous de son histoire, de son enfance et de sa mise en service ?

Un avion qui recèle bien des secrets... (US Navy)


Pour répondre à ces questions, je vous propose une présentation de l'appareil ainsi qu'un petit historique pour bien comprendre d'où il vient, et pourquoi, alors que l'Europe s'est fédérée pour développer un avion de chasse, la France a voulu jouer cavalier seul.

Pour mieux comprendre l'histoire du Rafale, il faut remonter à 1975. A cet époque, le Mirage 2000 vient d'être mis en service, et le bureau d'étude de Saint Cloud de Dassault se remet déjà au travail pour préparer la suite. Plusieurs configurations sont étudiées, et celle qui semble prometteuse est la voilure delta conjuguée à des plans canards pour une meilleure manœuvrabilité. Pour tester le concept, un Mirage III est modifié : ce sera le MILAN. Equipé de petites "moustaches", il va donner une première expérience des plans canard chez Dassault.

D'autres études sont entreprises afin de créer de nouvelles entrées d'air, plus optimisées que celles des Mirage. Pour cela Dassault organise de grandes simulations sur informatique pour étudier une nouvelle entrée d'air pour un bimoteur, en poussant l'étude des écoulements instationnaires, là où le pompage du compresseur se produit. Lors d'un pompage, le compresseur n'est plus alimenté avec suffisamment d'air et tourne à vide, produisant des bruits de détonations en formant des ondes de choc. Si cet état perdure, la chambre de combustion n'est plus suffisamment alimentée, et le moteur s'éteint. Pour contourner ce problème, Dassault imagine des entrées d'air ventrales et latérales, totalement séparées par l'avant du fuselage. Le fait d'avoir un fuselage allongé couplé à deux entrées d'air indépendantes permet de bien séparer les flux d'air, et diminue le risque qu'un état instable  puisse provoquer le pompage et l'arrêt des deux moteurs.

Le projet ACX de Dassault...pas loin de la réalité !
Ces études débouchent sur un projet : l'ACX ou Avion de Combat eXpérimental. Imaginé comme successeur au Jaguar et Mirage F1, ce programme n'est pas officiellement lancé, mais l'armée de l'air commande quand même quelques études "au cas où". En 1980, un nouveau programme est lancé, il s'agit de l'ACE, l'Avion de Combat Européen, ou encore EAP (European Aircraft Program). L'idée est simple : construire un avion tout seul coûte trop cher, donc on demande à 6 pays de collaborer pour définir un besoin commun pour un avion multirôle. On réunit ainsi les besoins français, allemands, anglais et italiens . Les négociations ne sont pas faciles : les anglais veulent remplacer le Tornado (= appareil d'attaque à basse altitude), les allemands veulent intercepter les MiG-25 (= Intercepteur à Mach 2,5 a 18 000 mètres), les italiens veulent remplacer leurs F-104 vieillissants…et la France veut beaucoup de choses !

Le démonstrateur Rafale A, avec le Mirage 4000 en arrière plan

Le problème de la France c'est que le cahier des charges est très long : il s'agit de remplacer le Mirage IVP, le Mirage III, le Mirage F1, le Jaguar…mais aussi de remplacer le Super-Etendard de la marine, et surtout ses crusaders totalement obsolètes. Il faut de plus un appareil qui soit capable de transporter le successeur du missile nucléaire lancé par avion, l'ASMP. La coopération dure jusqu'en 1985, où Charles Hernu, alors ministre de la défense, prévient le président Mitterand qu'il vaut mieux ne pas participer à la coopération, car l'appareil ne répond pas au besoin français : pas assez de place pour emporter l'ASMP-A, avion non renforcé pour la Marine, qui ne pense alors qu'à acheter des "Super Hornet" américains en remplacement des crusaders, déja américains. Un autre problème se pose : dans le cadre de la coopération, c'est Rolls Royce qui doit propulser l'appareil…condition imposée par les anglais et non négociable malgré les tentatives : cela ne laisse aucune place à la SNECMA, qui planche déjà sur le successeur du M-53, le futur M-88.

Mitterand décide de retirer la France du programme "Eurofighter", et Dassault continue seul. Après le Mirage, l'ère du Rafale commence, puisque l'ACX est ainsi renommé. Première étape : il faut mettre au point un démonstrateur pour faciliter la mise au point, et aussi montrer à la Marine qu'un avion en delta-canard peut opérer depuis porte-avions (chose jamais tentée auparavant).

Le démonstrateur, appelé Rafale "A" sort du hangar début juillet 1986, et fait son premier vol le 4 juillet à Istres. Ce premier vol confirme la pertinence des choix technologiques. Il s'agit également de convaincre l'armée de l'air et la marine, qui ne croit pas du tout au delta canard et est déjà en discussion avec McDonnell pour tester le F-18 "Hornet" sur le Foch. Le "A" est d'ailleurs le premier appareil au monde à voler en commande de vol numérique lors de son premier vol d'essai, contrairement à beaucoup d'autres prototypes qui volent en secours manuel lors du premier vol pour éviter les surprises (du moins à l'époque, aujourd'hui ce n'est plus possible) ! A peine deux semaines plus tard, revoilà le Rafale A au salon de Farnborough, en démonstration en vol, alors que l'EAP "Typhoon" n'est présent qu'en maquettes. Les équipes de Dassault reprendront le terme "EAP" lui donnant la signification "Encore Au Parking" !

Atterrir sans atterrir...done !

Le Rafale A n'est donc pas du tout un appareil de série, mais bien un démonstrateur pur. Il n'est d'ailleurs pas équipé du M-88 de Snecma qui n'est pas encore suffisamment fiable, mais du General Electric F-404, le moteur du F-18 "Hornet", moteur de substitution ayant un gabarit proche. Quelques mois après son premier vol, il part faire des essais d'appontages sur le porte-avions "Foch". Pourtant, le train de l'appareil n'est pas du tout renforcé, et l'appareil ne peut donc pas apponter "pour de vrai" sans risque que le train ne s'affaisse et reste sur le pont. Le pilote d'essai a donc une mission impossible : prouver au marin que le Rafale peut apponter sur un porte-avions…avec interdiction absolue de se poser sur le pont…pas facile tout cela !

Les essais se passent à merveille malgré une frayeur : lors d'une approche, on calculera que les roues sont passées à 10cm à peine au dessus du pont…il s'en est fallu d'un cheveu pour que la démonstration tourne à la catastrophe ! Mais la campagne est un succès : les marins sont désormais convaincus que même avec sa voilure delta-canard, le Rafale pourra se poser sur le pont d'envol ! Sa très faible vitesse d'approche est un facteur de poids vis-à-vis des amiraux.

Un train haut et fragile pour un appontage...

Convaincus, les marins signent ! La demande au parlement est faite, et le programme Rafale débute sa phase d'industrialisation en 1988, avec trois versions différentes à construire : le Rafale "B", biplace pour l'armée de l'air, le "C" monoplace pour l'armée de l'air et le "M" pour la Marine Nationale.

L'enjeu est de taille : il s'agit ni plus ni moins de remplacer 6 types d'appareils différents : Mirage III, F1 et IVP, Jaguar, Super Etendard marine et les Crusader grabataires..Dassault n'a pas le droit à l'erreur ou la France se retrouvera sans avion de première ligne…un peu à l'image des américains avec le F-35 aujourd'hui…mais ils ont vu plus grand…sans doute même trop…mais c'est une autre histoire !

Le chemin jusqu'au Rafale tel que nous le connaissons allait se révéler encore long et semé d'obstacles !

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