samedi 24 novembre 2012

Tout était mieux avant…ou pas

Tout était mieux avant…ou pas

Qu'il est difficile pour l'observateur du XXI° siècle que nous sommes de comprendre la rapidité avec laquelle l'aviation a évolué à la fin des années 50 et au début des années 60. A cette époque là, l'"avion de demain" sortait effectivement le lendemain. Un nombre incroyable de nouveaux prototypes sortait des usines tous les mois, avec des innovations marquantes et la course au record qui allait avec. En France, la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud Ouest (SNCASO) allait sortir pas moins de 22 nouveaux prototypes d'avion de chasse en à peine deux ans, soit presque un par mois…alors qu'aujourd'hui, le dernier avion de chasse  produit en France est le Rafale, sorti en 1987 et rien depuis…nous sommes en 2012 !

Le hall des prototypes du musée de l'air nous rappelle combien la France a été active dans l'après-guerre, pourtant il y eu très peu de grande production en série.

Alors on se lamente, que "les choses étaient bien mieux avant", qu'on "savait innover" etc…mais est-ce vrai ?

La question est très large, je vous l'accorde, mais je veux juste vous présenter deux aspects assez marquants, à savoir la durée du cycle de production d'un nouvel avion, et la sécurité des appareils.

A la fin de la seconde Guerre Mondiale, une vitesse de 700km/h était une excellente vitesse pour un chasseur. Deux ans plus tard, Chuck Yeager passe le mur du son, inaugurant une nouvelle ère. Beaucoup pensent alors que le supersonique est l'avenir. Il faudra pourtant attendre un nouveau moteur, le J-57 de Pratt & Whitney pour que cet exploit devienne routine, avec la sortie du F-100 "Super-Sabre", donnant naissance aux "Century Jets" qui vont définir l'Air Force pour les 20 années qui suivirent.

Sept avions formèrent la "Série des 100" : le F-100, F-101, F-102, F-104, F-105 et F-106, ainsi que deux autres qui ont finalement été abandonnés : le XF-103 et le F-107. Tous ces appareils firent leurs premier vol entre mai 1953 et décembre 1956, soit trois années et demi. Pendant ce laps de temps, des progrès impressionnants ont été réalisés, tant en terme d'électronique que  d'informatique ou d'aérodynamique.

Le F-100 de pré-série (crédit : USAF)

La vitesse à laquelle tout a changé est remarquable. Prenons l'exemple du F-100 : le contrat pour le développement fut annoncé le 1er novembre 1951, le premier vol du YF-100 le 25 mai 1953, sa livraison à l'Air Force en novembre 1953, et le première escadrille fut déclarée opérationnelle le 29 septembre 1954…trois années de la planche à dessin à une escadrille opérationnelle !

La génération suivante, le F-15, demanda plus de temps. Le contrat fut signé le 23 décembre 1969, avec un premier vol le 27 juillet 1972, et une première escadrille opérationnelle en juin 1976 : total 6 ans et demi, deux fois le temps pris par le F-100 !

Encore plus de contraste pour le F-22 "Raptor" : suite à un contrat signé en octobre 1986 pour un prototype, le contrat de développement fut attribué en 1991, et les premiers Raptor furent livrés en 2003, la première escadre étant déclarée opérationnelle en décembre 2005..19 ans de gestation, presque deux fois et demi plus de temps que pour le F-15..ou 14 ans depuis que le contrat pour l'appareil de série a été passé…

Le prototype du F-22 (crédit : USAF)
Passons au dernier (pas encore) né de l'USAF : le F-35 ! L'USAF avait annoncé en 1997 une phase de développement devant durer 12 ans soit jusqu'en 2019. Nous en sommes en 2012, et l'avion est déjà en retard, après l'explosion de budget la plus importante de l'histoire ! (budget total estimé à 1 trilliard de dollars, rien que ça)

L'effet secondaire de cet allongement du temps de gestation est que les concepteurs aéronautiques n'ont plus l'occasion d'exercer leur métier. Des concepteurs comme Kelly Johnston aux Etats-Unis ou Jean-Charles Parot en France ont conçu plus d'une douzaine de prototypes d'avions dans leur carrière, alors qu'un ingénieur aujourd'hui aura de la chance de pouvoir participer à un grand programme dans sa carrière.

L'arrivée des outils de conception sur ordinateur au tout début des années 80 (aérothèque).
De nombreuses raisons existent pour expliquer l'augmentation du temps de développement : le complexité des systèmes électroniques en est la raison principale. Pourtant, si les avions se sont complexifiés, les outils pour les concevoir ont eux aussi beaucoup évolué : la règle à calcul et la planche à dessin sont parties au musée, alors que les logiciels tel CATIA ou les machines commandes 3D numériques sont arrivés. Ces outils sont puissants, mais il ne faut pas oublier qu'ils ne doivent rester que des outils, et qu'une compréhension précise des mécanismes mis en jeu derrière est indispensable ! N'oublions les problèmes de câblage trop court de l'A380, suite à l'utilisation de deux versions de CATIA légèrement différentes en France et en Allemagne…

Alors tout était mieux avant ?

Regardons d'autres chiffres..ceux de la sécurité en vol par exemple…

Le F-100 (toujours lui) a accumulé près de 5,4 millions d'heures de vol pendant sa carrière (USAF uniquement) et pendant ce temps, 889 appareils ont été perdus par "non combat cause" c'est-à-dire autre chose que le feu ennemi (et 391 pilotes ont été tués, être veuve de pilote de chasse était malheureusement courant dans les années 50). Cela inclut les accidents, dus au pilote ou à l'avion. Cela signifie 16,25 appareils détruits par 100 000 heures de vol.

Premier vol du F-15 en 1972 (crédit : USAF)
Aucun appareil contemporain n'a autant volé, mais si on prend la marque des 5 millions d'heures de vol, on peut faire quelques comparaisons instructives :

  • Il a fallu 20 ans au F-100 pour accumuler ce temps de vol. Pendant ce temps, 853 appareils ont été détruits et 310 pilotes tués…ratio de 17,06 avions détruits par 100000 heures de vol
  • Prenons ensuite le F-15 : il lui a fallu 33 ans pour accumuler le même nombre d'heures de vol. Pendant ce temps, 107 avions ont été perdus et 45 membres d'équipages tués soit 2,14 avion détruits par 100000 heures de vol
  • Autre appareil : le F-16. Il a accumulé 5 millions d'heures de vol en 22 ans. Pendant ce laps de temps, 214 avions ont été détruits et 70 pilotes tués…soit un ratio de 4,37 appareils détruits par 100000 heures de vol

Un ratio de 17,06 en 1950 - 1970 et de 2,14 et 4,37 de 1970 - 2000 : c'est une amélioration assez remarquable, les avions modernes étant beaucoup plus sûrs que leurs équivalents des années 50.

le premier F-16 en vol (crédit : USAF)

En revanche, le ratio pilotes tués par rapport au nombre d'avions détruits n'a presque pas évolué, malgré beaucoup de progrès faits dans la conception des sièges éjectables.

Même si ce n'est pas directement comparable, le Boeing 777 a accumulé 7,7 millions d'heures de vol dans ses 10 premières années de mise en service, sans aucune perte d'appareil !

Donc, avant de dire que "c'était mieux avant", réfléchissez bien. Si effectivement il y avait plus d'avions et que leur mise au point était plus simple qu'aujourd'hui, au moins en terme de sécurité des vols, on a fait de nombreux progrès ! N'oublions pas non plus que "plus d'avions" signifiait également petites séries et nombreux prototypes sans suite...

Certaines choses étaient mieux avant, tout dépend du point de vue...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire