vendredi 30 novembre 2012

Détruire (stupidement) un avion

Comment détruire un avion ?

Facile me direz-vous : missile, bombes, crash, la liste des actions de type "aéronophages" (ça n'existe pas dans le dictionnaire, je sais bien !) est longue. On pourrait aussi citer oiseaux, chariot élévateur, piste glissante comme autres causes…Petit joueur tout ça : moi je vais vous raconter comment détruire un avion avec un manomètre !

Pour ceux qui ne savent pas, un manomètre est un indicateur de pression. Concrètement, c"est ce que vous utilisez pour mesurer la pression de vos pneus (entre autre).

Le ravitailleur le plus connu au monde : le KC-135R, cousin pas si lointain du Boeing 707 (crédit : USAF)

L'avion concerné est un KC-135R "Stratotanker", avion de ravitaillement en vol de l'US Air Force, dérivé du Boeing 707. Il portait le numéro de série 17489 (57-1418), et avait effectué son premier vol  en mai 1958, soit presque 41 ans de service lorsqu'un accident bête mis fin définitivement à sa carrière.L'appareil avait récemment été modernisé, et ses vieux moteurs JTD-8 remplacés par des CFM à double flux, beaucoup moins gourmands en carburant

L'histoire se déroule sur la base aérienne de Tinker AFB (Oklahoma) le 7 avril 1999. Notre infortuné KC-135R doit subir un test de pressurisation suite au remplacement de joint d'étanchéité. C'est une procédure standard : il faut amener la pressurisation de l'appareil au niveau attendu en vol de croisière, et vérifier qu'aucune fuite importante ne survient. C'est un technicien civil qui effectue la procédure à l'aide d'un manomètre. Il ne possède aucune procédure écrite détaillée, mais à déjà effectué ce type de test de nombreuses fois, et sait donc ce qu'il fait.

Le test se déroule sans problème jusqu'à ce qu'un craquement se fasse entendre à proximité de l'appareil. Une fraction de seconde plus tard, un grand bang sourd se fait entendre suivi de nombreux bruits métalliques.

En un mot : oups...
L'appareil vient d'exploser tel un ballon de baudruche, sa cloison pressurisée arrière ayant cédée. L'avant de l'appareil est intact, mais tout l'arrière est détruit, la carlingue déchiquetée comme une boite de conserve et la queue est tombée sur le sol. Fort heureusement, personne n'est blessé au sol. On retrouvera pourtant des bouts de l'appareil encastrés dans un mur anti-bruit à 80 mètres de son emplacement de parking ! Il ne faut pas longtemps aux ingénieurs de l'Air Force pour comprendre que l'avion est irrémédiablement  perdu : c'est un "write-off" : l'appareil est rayé de l'inventaire de l'Air Force le jour même, toutes les pièces encore utilisables sont enlevées, et la carcasse restante est démolie sur place.

On a retrouvé des morceaux à presque 80 mètres de l'appareil.

Que s'est-il passé ?

L'enquête de l'US Air Force déterminera deux facteurs qui mit bout à bout explique l'accident.

Tout d'abord, on analyse la procédure de test : premier problème, le sous-traitant ne possède pas de procédure écrite, ce qui est normalement obligatoire. Aucune directive écrite, aucune checklist : même si cet employé avait déjà effectué la procédure plusieurs fois, il est interdit de conduire un test sur un avion sans directive écrite et approuvée par l'Air Force.

Second problème : ce sous-traitant n'utilisait pas un instrument standard et approuvé par l'Air Force pour mesurer la pression à l'intérieur de l'avion. Il utilisait à la place un manomètre acheté dans le civil et qu'il avait modifié lui-même. Hautement irrégulier comme procédé. L'employé se défendra en expliquant qu'il avait "toujours procédé de cette manière" (ce qui ne l'aidera pas). L'instrument est testé, mais montre une pression correcte, à première vue.

En analysant ce manomètre, l'USAF va trouver comment l'avion à été détruit. Il s'agit d'un manomètre analogique à aiguille. Une aiguille tourne sur un cadran circulaire gradué, qui donne la pression en PSI mesurée. Seulement voilà : ce manomètre ne possède pas de butée maximum, autrement dit lorsque l'aiguille arrive en fin de course du cercle gradué, il n'y a rien pour l'arrêter. Lors de son test, notre homme à quitté le manomètre des yeux plusieurs minutes, et pendant ce temps là, l'aiguille à fait un tour complet sur elle-même pour revenir au 0. Comme rien ne l'arrête, elle continue et effectue un second tour. Lorsque il revient lire son manomètre, le sous-traitant n'a plus de données fiables : son aiguille en est au deuxième tour du cadran, et la pression est donc beaucoup plus élevée qu'indiquée. Ce comportement du manomètre à permis au civil de pressuriser l'avion à presque deux fois sa pressurisation maximale prévue…en toute bonne foi ! Ce premier facteur est la cause directe de l'accident.

Les dégâts sont considérables

Pourtant, il existe un système qui empêche la surpression de l'avion : il s'agit de valves qui s'ouvrent automatiquement dès que la pressurisation dépasse un certain seuil : elles s'assurent justement qu'une explosion de surcompression ne puisse pas survenir ! Et là l'US Air Force va faire une découverte choquante : ces valves fonctionnent, mais sont bouchées. L'enquête permettra ainsi de montrer que plusieurs mois auparavant, lors d'une révision de l'avion, ces valves ont été bouchées, mais n'ont jamais été rouvertes en sortie de hangar. Cette erreur, qui n'avait été vue par aucune inspection, menaçait la sécurité de l'avion depuis des mois. Il faut savoir qu'il existe un fort risque d'explosion en vol si l'avion à besoin de faire un brusque changement d'altitude (piqué violent par exemple) et que ces valves ne peuvent pas équilibrer la pression interne de l'avion. C'est donc une chance que cet avion ait été détruit au sol, sans victime, plutôt qu'en vol où tout sont équipage y serait resté. Ce deuxième facteur identifié, l'accident peut-être expliqué. Les inspections seront renforcées sur l'ensemble de la flotte, et des rappels seront faits aux sous-traitants pour leur rappeler les bonnes procédures à suivre.

Avouons quand même que c'est une manière assez stupide de détruire un avion pour une histoire d'aiguille de manomètre !

L'appareil sera rayé des listes sur le champ

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